Carte du premier tour de la présidentielle, le 14 mai 2023 (les nuances de rouge renvoient au candidat d’opposition Kılıçdaroğlu; de jaune au candidat sortant Erdoğan)

Carte du deuxième tour de la présidentielle, le 28 mai 2023 (les nuances de rouge renvoient au candidat d’opposition Kılıçdaroğlu; de jaune au candidat sortant Erdoğan)
[Texte du 15 mai, non actualisé pour le deuxième tour, sauf la carte ci-dessus] Le dépouillement des bulletins pour la présidentielle et les législatives est quasiment achevé au 15 mai mi-journée (14h), et les résultats paraissent désormais consolidés sans contestation majeure susceptible de modifier les principales données statistiques et politiques. La participation, toujours très forte en Turquie, a été de 86,87%, ce qui traduit une indéniable mobilisation des électeurs et électrices. L’agence officielle Anadolu a publié les cartes et tableaux pratiquement définitifs relayés, par exemple, par le quotidien Hürriyet :https://secim2023.hurriyet.com.tr/14-mayis-2023-secimleri/cumhurbaskanligi-secim-sonuclari/ . Nous en avons retenu, sans commentaires développés, quelques cartes et tableaux qui nous paraissent à ce stade significatifs (et que vous pouvez visionner en grand écran en cliquant sur « Ouvrir l’image dans un nouvel onglet »…).
Les spécialistes ès science électorale devront se pencher sur la hiérarchisation des multiples variables éclairant ce vote présidentiel. Dans le désordre: les qualités à la tribune du candidat sortant; le quadrillage de l’électorat par les réseaux AKP tissés depuis deux décennies (l’AKP revendique plus de 11 millions d’adhérents); les effets de la démocratie illibérale qui préserve les intérêts électoraux du parti au pouvoir; la monopolisation des médias par Erdoğan; la violence difficilement imaginable des attaques contre le candidat d’opposition formulées par plusieurs ministres (en particulier celui de l’Intérieur); le nationalisme exacerbé et paranoïaque largement partagé; l’hostilité à « l’Occident »; le sunnisme anti-alévi (contre le candidat alévi Kılıçdaroğlu); l’anti-kurdisme (contre le candidat aux origines kurdes Kılıçdaroğlu, soutenu par une partie de l’électorat kurde); le patriarcat islamique et islamiste; l’anti-féminisme (y compris chez les électrices); l’hétérogénéité de la « Table-des-Six » et la personnalité un peu fade de Kılıçdaroğlu face au tribun Erdoğan ; la peur du changement en période de crise; la préférence pour « l’homme fort » charismatique reconnu à l’international, face au « candidat normal » dans sa modeste cuisine; la surestimation par les observateurs de la variable « difficultés économiques », alors que le candidat sortant a grand ouvert ces dernières semaines les vannes clientélistes des subventions, augmentation des aides sociales et des salaires; la suppression de la limite d’âge minimum pour prendre sa retraite; la dépendance au clientélisme dans les régions frappées par le tremblement de terre; la répartition du vote (d’une partie majoritaire) des jeunes, des femmes, des Kurdes – qui pourront sans doute surprendre quand on raisonne en termes simplificateurs « d’intérêts objectifs » supposés, etc. Une fois de plus, on a sous-estimé les facteurs idéologiques structurels (l’islamo-nationalisme à la fois turcique et néo-ottoman; le culte de l’homme fort; le conservatisme islamo-patriarcal, etc.) au profit des facteurs socio-économiques et moraux vus des démocraties occidentales comme prioritaires et déterminants (la crise économique, la défense des libertés et des droits humains, p.ex.)…

La présidentielle (à gauche) et les législatives (à droite)
L’élection présidentielle : avantage Erdoğan au premier tour
Pour la présidentielle, le sortant Recep Tayyip Erdoğan obtient 49,5 % des suffrages, devant Kemal Kılıçdaroğlu – 44,89 %. Le « troisième homme », le nationaliste d’extrême-droite Sinan Oğan (d’origine azérie, ultranationaliste et violemment anti-kurde et anti-arménien) obtient 5,17 % des voix – qui se pourraient se porter plutôt vers Erdoğan. Celui-ci est donc a priori en position très favorable pour le deuxième tour. L’une des leçons de ce premier tour est que les multiples sondages qui donnaient une avance de plusieurs points à Kemal Kılıçdaroğlu, voire sa victoire dès le premier tour, se sont assez lourdement trompés. Et les espoirs de nombreuses chancelleries européennes d’un changement significatif à Ankara sont d’ors-et-déjà déçus. On n’oubliera pas les innombrables prisonniers politiques, et les exilés, pour lesquels la perspective d’une amnistie annoncée par le candidat Kılıçdaroğlu s’éloigne.

Une géographie électorale habituelle pour les principales forces politiques: les côtes méditerranéennes et le « sud-est » à majorité kurde pour Kılıçdaroğlu ; et le plateau anatolien et la mer Noire pour le sortant Erdoğan…

La présidentielle dans les principales métropoles

La présidentielle dans les principales régions – le tableau renvoie à la carte ci-dessus


Le résultat des deux candidats dans leurs bastions régionaux d’origine: Rize pour Erdoğan (en jaune) ; Tunceli pour Kılıçdaroğlu (en rouge)

Le résultat provisoire de la présidentielle en France et en Allemagne: Erdoğan (en jaune) ; Kılıçdaroğlu (en rouge)
Les élections législatives : majorité pro-Erdoğan
Pour les législatives (scrutin à un seul tour) :
– la coalition erdoğaniste Cumhur Ittifaki (AKP-MHP-YRP- en jaune), bien qu’en recul par rapport à 2018, obtient la majorité absolue avec 49,46 % des suffrages et 322 députés . L’AKP perd des plumes, mais le MHP se renforce.
– la coalition de la Table des Six Millet Ittifaki (CHP-IYI – en rouge) recueille 35,02 % des suffrages et 213 sièges ;
– l’alliance dite « prokurde ex-HDP » (YSP-TIP – en violet) obtient 10,54 % des suffrages et 65 sièges.
Quel que soit le résultat du 2e tour de la présidentielle le 28 mai, la majorité législative restera donc favorable à Erdoğan et à une extrême-droite nationaliste renforcée.



Les résultats des législatives à Istanbul

Les résultats (provisoires) pour les législatives au Danemark, en Egypte, en Finlande, en France et en Allemagne. Le jaune est pour la coalition pro-Erdogan, le rouge pro-Kılıçdaroğlu; le violet correspond au vote dit « pro-kurde »
REFERENCES
On pourra utilement se reporter, sur le Blog de Sciences Po Grenoble, aux analyses de Jean Marcou en amont du 14 mai :
« La Turquie aux urnes » (9 mai 2023), avec l’ouverture du vote à la diaspora turque à l’étranger : http://blog.sciencespo-grenoble.fr/index.php/2023/05/11/la-turquie-aux-urnes/
« Turquie : les élections du centenaire avancées au 14 mai 2023 » (30 janvier 2023), sur les enjeux juridiques et les modalités juridiques de la présidentielle : http://blog.sciencespo-grenoble.fr/index.php/2023/01/30/turquie-les-elections-du-centenaire-avancees-au-14-mai-2023/
On pourra également se reporter aux posts récents sur ces élections, disponibles sur ce blog, ici, et ici.