Janvier 2023: grévistes de la National Iranian Gas Company – شرکت ملی گاز ایران


Les grèves et manifestations dans l’industrie pétrogazière iranienne durent depuis des mois. Le régime y répond par la répression.

Le 13 mai, les services de sécurité ont annoncé l’arrestation de huit personnes (des responsables syndicaux) accusées d’avoir «dirigé» la grève des travailleurs de l’industrie pétrogazière du méga-gisement de gaz de South Pars. Plus de 40.000 personnes travaillent directement sur la plus grande réserve de gaz connue au monde, que l’Iran partage avec le Qatar. Ces arrestations sont un épisode de plus dans la répression du mouvement social qui secoue depuis des mois l’industrie gazière, pétrolière et pétrochimique dans le sud-ouest du pays principalement. Fin avril, les autorités ont annoncé avoir commencé à remplacer 4000 travailleurs qui étaient en grève pour dénoncer les bas salaires et les conditions de travail déplorables, et qui avaient été licenciés. Début mai, huit sociétés et chefs d’entreprises ont été mis sur liste noire pour incitation à la grève…


Dans le pétrole et le gaz, juillet 2021 (South Pars) et octobre 2022 (Boucheir)


Le regard presque exclusivement géopolitique porté par les médias occidentaux sur l’Iran ces dernières décennies occulte très largement la « question sociale » : la précarité des emplois ; la faiblesse des salaires des ouvriers et des fonctionnaires (quand ils sont versés), en permanence érodés par une inflation galopante ; les conditions de travail très dures, en particulier dans les régions pétrolières du Golfe, frappées par la sécheresse et la pollution ; la crise permanente du logement (beaucoup d’ouvriers logent dans des baraquements sur les sites industriels); la répression brutale des mouvements sociaux et des organisations syndicales à peine tolérées, etc. . La récurrence des grèves sectorielles, locales et régionales, parfois nationales, souvent très longues, témoignent et de l’acuité de la question sociale, et de la violence répressive d’autorités locales et nationales dont la corruption systémique est l’une des caractéristiques structurelles.

On ne compte plus les grèves de la dernière décennie. Ne serait-ce que depuis 2017 : les enseignants (majoritairement des femmes), aux salaires dérisoires ; les camionneurs, dont l’activité est vitale dans ce pays ; les ouvriers des aciéries et de la métallurgie ; les ouvrières du textile ; les ouvriers des cimenteries et des raffineries de sucre ; les chauffeurs de bus urbains et de cars interurbains; les ouvriers de l’automobile, etc ; etc. Les réseaux sociaux et l’internet documentent ces milliers de grèves et de manifestations, pancartes revendicatives à l’appui.


Grèves des enseignant(e)s, septembre 2018 et décembre 2021


Grèves dans la métallurgie et dans les sucreries, février 2018


Le secteur pétrogazier revêt évidemment une importance particulière dans la « question sociale ». Par sa place centrale dans l’économie du pays ; par la concentration de dizaines de milliers de travailleurs sur les principaux sites – au sud-ouest (région d’Abadan, coeur battant historique du pétrole), sur la rive orientale du Golfe, dans les régions politiquement sensibles (largement arabophones et sunnites) du Khouzistan. Par le poids de cette industrie et des ouvriers iraniens du pétrole dans l’histoire aussi : les grèves de 1950-1953 lors de la nationalisation de l’Anglo-Iranian par le Dr. Mossadegh ; et l’entrée en grève, le 31 octobre 1978, des 30 à 40000 ouvriers du pétrole à Abadan1, qui sera décisive dans la chute du régime du shah quelques semaines plus tard. Il y a donc toujours une dimension politique et symbolique dans les grèves ouvrières dans le secteur pétrolier. Mises en avant dans la propagande du régime, qui sait ce qu’il leur doit dans la victoire de la révolution fin 1978-1979. Et brutalement réprimées par ce même régime, qui craint toujours un effet de contagion.


Grève des chauffeurs routiers, mai 2018


Pour autant, comme nous l’avons souligné par ailleurs, une des caractéristiques – et l’une des faiblesses majeures- des mouvements sociaux de ces dernières années – y compris lors des temps forts d’une contestation nationale, en 2018-2019, 2019-2020, et plus récemment en 2022-2023, est ce que l’on qualifiera de « non-convergence des luttes ». C’est une grande différence d’avec l’année 1978, quand les différents mouvements avaient fini par se cumuler, avec le basculement qu’avait été l’entrée en grève du secteur pétrolier. A l’automne 2022 et en ce début 2023, et quoi qu’en disent des organisations d’opposition principalement basées à l’étranger, il y a d’un côté de nombreuses grèves ouvrières et luttes syndicales, et de l’autre des manifestions plus directement politiques (parfois à forte dimension identitaire régionaliste) et sociétales (les luttes des femmes, à partir de Mahsa Zina Amini). Il y a parfois des slogans partagés, sur la crise économique et sociale, et contre la nature du régime, mais pas de convergences dans l’espace et dans le temps susceptibles de menacer un régime qui, en réprimant tous azimuts, veille à maintenir la segmentation des revendications et des manifestations.

Le Guide suprême Ali Khamenei a déclaré fin avril que « certaines manifestations syndicales [avaient] été utiles au pays, car elles ont aidé l’Etat à comprendre les revendications des travailleurs. » Moyennant quoi, après ces doctes paroles, la répression continue : licenciements massifs, arrestations, disparitions, lourdes condamnations, inévitable « complot de l’étranger », etc….


Grèves d’enseignants au Baloutchistan, mai 2018


NOTES

1 La contestation politique à Abadan est en partie consécutive à un des épisodes les plus sanglants de l’année révolutionnaire 1978 : l’incendie du cinéma Rex, qui a fait plus de 500 victimes le 19 août 1978. L’origine de l’incendie, peut-être politique, n’a jamais été élucidée.

Sources des illustrations: réseaux sociaux iraniens, via internet et Google Images


Grève de mineurs de charbon, septembre 2021; et des chauffeurs de bus de Téhéran, mai 2022