L’état de santé du sultan Qabous (sur le trône de Mascate depuis 1970, quand il avait, avec l’aide des Britanniques, déposé son père) retenait l’attention des observateurs depuis des années, et entretenait les spéculations sur sa succession, faute d’héritier direct ou nommément désigné. Son décès (à 79 ans) était attendu depuis ses récents séjours médicaux en Europe.

Le sultan Qabous en 1970 et en 2019

Le sultanat d’Oman perd avec Qabous un « père de la nation » (nation qui n’existait pas au temps du sultanat de Mascate et Oman, alors gouverné depuis Salalah au Dhofar), et un « autocrate éclairé », au sens de l’Europe des Lumières : les despotes ne manquent pas dans la région, mais aucun n’a à ce jour fait preuve de la même intelligence d’esprit que Qabous, par ailleurs mélomane (il a fait construire un grand opéra à Mascate, en y invitant des formations de musique classique) et homosexuel (deux qualités qui font sens dans une péninsule Arabique obsédée par la charia wahhabite). En cinq décennies, il aura réussi à développer son pays avec les ressources du pétrole, sans la démesure sans fin de ses voisins les émirs, dans un paternalisme dispendieux, mais finalement assez respectueux des équilibres sociétaux et confessionnels, et de la préservation de l’environnement du sultanat. Le fonctionnement de son régime a été depuis toujours très sécuritaire, et plus encore depuis les tensions sociales et les manifestations de 2011-2012 dans certaines villes du sultanat (principalement Sohar et Salalah). Mais, sur la longue durée, Qabous a eu l’habileté politique de préférer l’élargissement rapide et l’amnistie des opposants, et une politique d’achat de la paix sociale, à une répression systémique telle que pratiquée chez ses voisins du Golfe: il avait ainsi, dès le début de son règne, amnistié puis coopté de nombreux combattants de la guérilla marxiste du Dhofar -1965-1975 (ainsi le ministre des Affaires étrangères depuis 1997, ancien cadre dhofari)
Sous le double parapluie britannique (depuis toujours) et américain, Qabous a mené une diplomatie de neutralité et d’équilibre prudente entre ses puissants voisins (en particulier l’Arabie saoudite et ses tentations hégémoniques au sein du Conseil de coopération du Golfe, et la République islamique d’Iran, avec laquelle Oman exerce sa souveraineté sur le détroit d’Ormuz) ; et joué un rôle discret mais reconnu de médiateur dans les conflits régionaux (Yémen, Palestine), et dans les tensions internationales (par exemple en abritant les premières discussions secrètes entre Américains et Iraniens sur le nucléaire, en 2012). Sa longévité sur le trône (cinquante ans) en a fait le doyen des dirigeants arabes de la région, et une personnalité incontournable dans les dernières décennies, apprécié autant à Téhéran que dans les chancelleries occidentales -et à Buckingham Palace, mais peu à Abou Dhabi et surtout à Riyad- où on le jugeait trop indépendant et pro-iranien.
Les Iraniens perdent avec Qabous un solide partenaire arabe dans la région du Golfe : en pleine crise de l’avion ukrainien abattu par un missile iranien, les dirigeants du pays et la presse de Téhéran ont accordé une place importante au décès du sultan .

Le conseil de famille, réuni à Mascate, a désigné par consensus vendredi 10 janvier comme successeur Haitham ben Tareq Al Saïd : un cousin du sultan Qabous, jusque-là ministre du Patrimoine et de la Culture, et qui apparaissait depuis des années dans des fonctions diplomatiques et protocolaires lors des absences prolongées du sultan. Il a, par ailleurs, été en charge du projet de développement « Oman 2040 », dont le port de Duqm, sur la mer d’Oman, est une pièce maîtresse. Une succession en douceur donc, à l’ouverture devant le conseil de sécurité nationale d’une lettre du sultan scellée depuis des années, avec trois noms de successeurs possibles. Reste au sultan Haitham à acquérir sur la durée une part de la stature incontournable de son prédécesseur, dans une conjoncture économique (faiblesse du cours du baril de pétrole) et géopolitique (rumeurs de guerre dans le Golfe) peu favorable.

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> Nous avons consacré plusieurs posts de blog à Oman, en particulier à la diplomatie omanaise : « Oman « Une diplomatie de petit État » : quatre décennies de politique étrangère du sultan Qabous »
publié également dans la revue Diplomatie no 74, mai-juin 2015, p.13-19
> Pour une présentation historique et générale du sultanat, voir notre post du 7 mars 2014, à l’occasion de la venue à Sciences Po Grenoble de l’ambassadeur d’Oman:
> Voir, sur la médiation d’Oman dans les tensions régionales et internationales, nos posts du 8 août 2015 et du 9 juillet 2019; et sur le développement de Duqm, voir notre post du 1/10/2019: : https://questionsorientoccident.blog/2019/10/01/gwadar-pakistan-chabahar-iran-duqm-oman-trois-projets-portuaires-ambitieux-mais-contraries-en-mer-darabie/
> Par ailleurs, nous avons rédigé depuis 2013 des fiches annuelles d’actualité sur Oman dans la revue « Moyen-Orient » (voir les références dans la rubrique « mes-publications » de ce blog).
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