
Après l’ambassadeur de la République islamique d’Iran, S.E. Ali Ahani, le 21 octobre 2013, c’est l’ambassadeur du Sultanat d’Oman à Paris, S.E. Humaid Al Maani qui vient à Sciences Po Grenoble, lundi 10 mars 2014, présenter la diplomatie de son pays. L’occasion de rappeler quelques traits distinctifs d’un Sultanat assez différent des cinq autres membres du Conseil de coopération du Golfe. A la fois sur les plans de l’histoire du pays, de sa composition ethnique et confessionnelle, mais surtout sur le terrain de la diplomatie régionale…

Le Sultanat d’Oman : éléments généraux
* La population est d’environ 4M pour 309000km2. La diversité de la population du sultanat est le reflet de l’histoire ancienne et récente : Arabes de la Péninsule ou du Levant; Iraniens (commerçants) ; Lors iranophones ; Baloutches (le Baloutchistan a longtemps été une dépendance du sultanat) ; Indiens musulmans (dont des chiites) ou hindouïstes ; descendants d’Africains (dont des esclaves). Les immigrés des dernières décennies représentent 30 % de la population, venant d’Asie du sud-est (Indiens, Bengladeshis, Pakistanais, Philippines, Indonésiennes,etc.) et des pays arabes. Une douzaine de langues sont parlées dans le pays.
* Au paln confessionnel : les Omanais sont majoritairement musulmans ibadites, ni sunnites, ni chiites, mais héritiers du mouvement kharidjite qui a refusé cette fracture initiale de l’islam. Les ibadites sont aujourd’hui répartis entre Oman, le Sahara algérien (région de Ghardaia : berbères mozabites du M’zab), la Tunisie (sur l’île de Djerba) et la Libye (ouest : Djebel Nafussa): une longue trajectoire donc, partie d’Oman vers la mer Rouge, le Soudan et des routes caravanières vers le nord-ouest…. Le reste de la population omanaise est sunnite (wahhabite) et chiite (d’origine iranienne et indienne) ; les immigrés sont musulmans, hindouïstes, bouddhistes, sikhs, chrétiens, etc.. Il n’y a pas de tensions confessionnelles, sinon ponctuelles (à la différence du Bahreïn, de l’Arabie saoudite et du Yémen).
Une thalassocratie dans l’océan Indien
* Le pays émerge au VIIIe sècle comme émirat ibadite. Initialement des émirats-sultanats (sous l’appellation de « Mascate & Oman »), le long des côtes méridionales de la Péninsule arabique. Se succèdent des influences portugaises, puis ottomanes, puis perses, puis britanniques (Protectorat britannique de 1891 à 1971). La dynastie actuelle s’installe à Mascate au milieu du XVIIIe s., après en avoir expulsé les Perses. C’est un des premiers Etats arabes indépendants. Mascate et Oman était alors une thalassocratie qui s’étend du Golfe à la mer d’Arabie et à l’Océan indien, le long des côtes africaines swahilies jusqu’au Mozambique et aux Comores. L’île de Zanzibar est sous souveraineté de Mascate jusqu’en 1861. Cette thalassocratie s’appuie sur le construction et la circulation des boutres (« dhows »), toujours très nombreux : le commerce des épices et la traite des esclaves noirs enrichit alors le sultanat.
* A partir du milieu des années 1960 : le sultanat est confronté à un soulèvement dans la province désertique du Dhofar (au sud-ouest, près du Yémen). La ville de Salalah est l’ancienne capitale du sultanat : la guérilla du Dhofar est régionaliste tribale, récupérée par les marxistes du Front Populaire de Libération d’Oman (FPLO soutenu par l’URSS et le Sud-Yémen socialiste). Le soulèvement est maté par l’intervention des SAS britanniques, de troupes iraniennes (le shah est alors le « gendarme du Golfe » au profit des Anglo-américains) et de forces jordaniennes. Une partie des insurgés sont ensuite cooptés par le régime.
La modernisation du pays par le sultan Qabous depuis 1970
* En 1970, le sultan Qabous bin Saïd Al Bou Saïd dépose son père Saïd bin Taymur, qui maintenait le sultanat dans un isolement total et le sous-développement.
* Au plan institutionnel :
– Oman est une monarchie absolue, où le pouvoir politique n’est pas partagé par le sultan. Dans les dernières décennies, c’est l’Etat le plus absolutiste de la région. Les partis politiques sont interdits ; l’activité politique n’a pas de dimension publique.
– Jusqu’en 1996, pas de texte constitutionnel. Ensuite un Livre blanc (« Basic Statutes of the State ») fait office de loi fondamentale, et garantit quelques droits individuels.
– En 1991, un Conseil consultatif (Majlis as-shoura) est formé : ses membres sont nommés par le sultan et n’ont ni autorité décisionnelle, ni compétence législative.
– Depuis 2000, système bicaméral : un Majlis as-shoura de 83 membres (dont 2 femmes) est élu par une fraction réduite de la population. Et une chambre haute, le Majlis ad-Dawlat (Conseil d’Etat) de 48 membres (dont 5 femmes) est désignée par le sultan.
– Un point particulier et sensible: les incertitudes sur la succession du sultan, sans héritier désigné.
– Une situation sécuritaire intérieure plutôt stable, comparée aux tensions dans d’autres émirats du Golfe, au Yémen, et en Arabie. Des tensions ont été notées avec des groupes islamistes ibadites en 1994 et en 2005.
* Au plan économique : Le développement est assuré par des revenus pétroliers (exploitation à partir de 1964) qui deviennent significatifs à partir des années 1970 : système éducatif ; santé publique ; infrastructures routières et portuaires ; entreprises industrielles ; développement du tourisme.
* Oman est un Etat semi-rentier. Les ressources pétrolières d’Oman sont faibles (moins d’un million de barils/jour). Le développement des services et de l’industrie a permis d’atténuer les effets de la crise de 2008, mais le déficit de création d’emplois est permanent pour une population très jeune et mieux formée. La croissance est de l’ordre de +4 à 5 % par an. Le PIB/hab est de l’ordre de 25 000 US$ (100 000 US$ au Qatar ; 1000 US$ au Yémen). La distribution des richesses est très inégale.
La contestation en 2011 et ses conséquences
* La contestation se manifeste en janvier 2011, en relation avec les événements en Egypte (place Tahrir, au Caire) et au Bahreïn (place de la Perle, à Manama). A partir des 26-28 février 2011 : manifestations à Sohar, deuxième port du pays et cité industrielle à 230 km au Nord-Ouest de Mascate (6 morts à l’issue de plusieurs semaines d’occupation de la place du Globe / Globeroundabout, qui pourraît être comparée, à petite échelle, à la place de la Perle au Bahreïn: comme le monument de la Perle le 18 mars, le monument du Globe sera détruit pour en clore symboliquement l’occupation). La contestation s’étend à Salalah (au sud-ouest), puis à Mascate, devant le siège du Majlis as-shoura (Conseil consultatif).
* Les revendications : contre le chômage des jeunes (y compris des filles) ; contre la hausse des prix, pour de meilleures conditions de travail (dont libertés syndicales) ; contre la corruption de certains ministres ; pour plus de transparence sur l’utilisation des revenus pétroliers ; pour une démocratisation de la monarchie (qui n’est pas remise en cause en tant que telle : des portraits du sultan Qabous sont brandis par les manifestants). Et expression d’une inquiétude latente sur la succession du sultan, qui incite à préparer un minimum de démocratisation constitutionnelle de la monarchie.
* Les réponses du régime :
– une répression plus limitée qu’ailleurs dans le Golfe (procès en 2012; des arrestations et des condamnations, mais aussi des amnisties générales rapides)
– des concessions économiques et sociales : création d’emplois publics (+50 000) ; augmentation de salaires (+150-200$ par mois) ; subventions diverses (400$/mois pour les chômeurs). Financement par des crédits du Conseil de coopération du Golfe.
– un remaniement profond du gouvernement, avec renvoi de ministres contestés (Ahmed Macki, ministre de l’économie et Maqbool Ali Sultan, ministre du commerce).
– l’annonce de l’étude d’un accroissement des compétences du Conseil consultatif, et des organes de supervision des dépenses publiques.
– des élections ont eu lieu en octobre 2011 pour le Majlis as-shoura.
* Mais certains contestataires réclament désormais plus : un parlement élu, un chef de gouvernement issu d’une majorité parlementaire, etc. Mais apparemment, pas de forces politiques ou de société civile structurées. La figure et la personnalité du sultan ne sont pas contestées. Mais la jeunesse, mieux formée, ouverte au monde a de fortes attentes.
Les orientations diplomatiques originales du Sultanat

Le sultan Qabous d’Oman avec le président iranien Rohani, Téhéran, 27/8/2013
* Des relations consulaires/diplomatiques se nouent avec la France fin XVIIIe, avec la GB depuis XIXe, avec les Etats-Unis milieu XIXe. En 1974, ouverture réciproque d’ambassades à Mascate et Paris. Lors du départ des Britanniques (1971), les Américains prennent le relais pour assurer la sécurité du sultanat, et la sécurisation du détroit d’Ormuz (Hormuz straits) : accord bilatéral de défense en 1980 ; facilités aériennes dans l’île de Masirah ; Ve Flotte US basée au Bahreïn ; base stratégique américaine de Diego-Garcia (centre de l’océan Indien). Une part importante du budget omanais est consacré à la défense et aux achats d’armes (ex. commande d’Eurofighters en 2012).
* Le sultanat d’Oman est membre du Conseil de coopération du Golfe, créé en 1981 (6 membres : Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Qatar). Mais Mascate est peu favorable à une intégration accrue (position rappelée au sommet du CCG fin 2013). Pendant la guerre Irak-Iran, Oman a gardé des relations avec les deux parties. En mars 2014, Mascate ne prend pas position dans les tensions entre le Qatar et l’Arabie, le Bahreïn et les Emirats arabes unis.
* Les pétromonarchies entretiennent des relations variables avec l’Iran : mauvaises pour Bahreïn et Abou Dhabi, méfiantes pour le Koweït, mitigées pour le Qatar, bonnes pour Dubaï et le sultanat d’Oman. Les relations de Mascate avec l’Iran sont de bon voisinage, à la fois pour des raisons historiques, et de co-gestion d’Ormuz (à l’extrémité de la péninsule de Musandam). On s’en est aperçu lors de l’annonce fin 2013 de négociations secrètes depuis des mois entre les Américains et les Iraniens. La position omanaise sur le programme nucléaire iranien est ainsi « qu’il n’y a pas de raison de ne pas accepter l’affirmation qu’il s’agit d’un programme civil ». Ce sont donc la modération et l’équilibre de bon voisinage qui caractérisent la diplomatie régionale omanaise.
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