Associés à des puissances extérieures, trois Etats riverains du golfe d’Oman et de la mer d’Arabie développent d’ambitieux projets portuaires. Au Pakistan, le port de Gwadar a été pris en main par la Chine. En Iran, l’Inde co-pilote le projet de Chabahar. En Oman, Duqm est placé sous la protection du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Ces ports de l’océan Indien ouvrent sur des corridors terrestres transfrontaliers: vers la Chine; vers l’Asie centrale; vers le golfe Persique en contournant le détroit d’Ormuz. Dans une région marquée par des tensions internationales exacerbées, Chabahar, Gwadar et Duqm s’inscrivent dans un nouveau « Grand Jeu .» Mais leur succès paraît inégalement garanti.

Les deux crayonnés: © JP.BURDY, 6/2019

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Dans son roman Kim (1901), l’écrivain anglais Rudyard Kipling nomme « Grand Jeu » la rivalité politique et militaire d’alors entre les Empires russe et britannique autour de l’Afghanistan. Au XXIe siècle, les acteurs ne sont plus les mêmes, mais la compétition des puissances est toujours vive en Asie centrale et au Moyen-Orient pour la maîtrise de corridors de circulation des hydrocarbures et des marchandises. Dès les années 1990, les Emirats arabes unis ont fait de leur port de Fujeirah un important terminal pétrolier: sa localisation sur le golfe d’Oman permet de contourner la menace récurrente d’une fermeture du détroit d’Ormuz 1. Plus récents, trois projets sur la mer d’Arabie illustrent un Grand Jeu contemporain dans l’océan Indien: le port pakistanais de Gwadar, développé par la Chine; le port iranien de Chabahar, développé par l’Inde, le port omanais de Duqm, développé sous le parapluie du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Si leurs objectifs économiques sont comparables, leurs arrière-plans stratégiques sont déterminés par les puissances à la manoeuvre.
1/ Gwadar et Chabahar: deux projets parallèles au Baloutchistan
Les deux principaux ports d’Iran (Bandar Abbas, dans le détroit d’Ormuz) et du Pakistan (Karachi, l’ancienne capitale) sont loin du Makran, ou Baloutchistan, une région semi-désertique et sous-peuplée qui borde le golfe d’Oman et la mer d’Arabie. La côte occidentale du Makran est perse, avec le port de Chabahar. La côte orientale, sous l’autorité des sultans de Mascate (Oman) jusqu’en 1948, est alors cédée au Pakistan. Gwadar n’est racheté à Oman qu’en 1958. Quand les pouvoirs centraux décident de les moderniser, Chabahar et Gwadar ne sont que de petits ports de pêche et de commerce local, avec quelques milliers d’habitants.
Projetée depuis 1958 par Islamabad, la modernisation de Gwadar avait pour objectifs l’affirmation de l’autorité centrale dans une région périphérique rétive, et de disposer d’une alternative au port de Karachi, trop proche de l’Inde. Les projets de la décennie 1990 sont ralentis par les sanctions internationales consécutives à l’accession du Pakistan à l’arme nucléaire en 1998. Une première phase de travaux est achevée en 2007. La ville est désormais reliée à Karachi par la route. Le nouveau port, accessible par un chenal de 12,5m de profondeur,est creusé dans l’anse orientale de l’isthme de 12 km qui pointe sur la côte du Makran. Il est géré par l’Autorité du port de Singapour, qui se retire en 2013, dissuadé par les lenteurs bureaucratiques et par l’insécurité qui règne au Baloutchistan.
Gwadar, porte d’entrée du Corridor Chine-Pakistan (CPEC)
Tout change en avril 2015, quand le Pakistan et la Chine signent des dizaines d’accords pour la construction d’infrastructures routières, ferroviaires, portuaires et énergétiques pour viabiliser un corridor reliant directement le Xinjiang chinois à l’océan Indien. Le China–Pakistan Economic Corridor (CPEC) est un barreau de l’ambitieux programme chinois des Nouvelles routes de la soie2. Porte d’entrée méridionale du corridor, Gwadar, est pris à bail par une compagnie d’Etat chinoise: délimiration d’une zone franche, recreusement du chenal à 20m; construction de bassins et de quais, d’un port à conteneurs, de silos à grains, d’un terminal roulier Ro-Ro, d’une centrale électrique (au charbon), d’une usine de dessalement de l’eau de mer, d’une plate-forme de liquéfaction de gaz baloutche, de cuves de stockage de brut, et d’une raffinerie (financée par les Saoudiens). Entre 2015 et 2019, le budget prévisionnel du CPEC passe de 46 à 57 milliards de dollars, abondés par des banques d’État chinoises, sous forme de prêts à long terme et sans intérêts. En contrepartie, les entreprises chinoises sont exemptées d’impôts et de taxes. A Gwadar, les Chinois sont de facto à la fois maîtres d’ouvrage et maîtres d’oeuvre, apportant plus de 80% des capitaux, l’ingéniérie, la main-d’oeuvre et les entreprises. Gwadar, visité par le président Xi Jinping en avril 2015, devient ainsi une perle supplémentaire sur le collier des Nouvelles routes maritimes de la soie, qui associent investissements économiques, et facilités navales sur les voies maritimes stratégiques de la mer Rouge à la mer de Chine. Au départ de Gwadar, la Chine pourra réduire de 12000 km par voie maritime à 3000 km par voie terrestre pakistanaise l’accès à son territoire, en particulier pour les hydrocarbures du golfe Persique, et pour le flux des marchandises de la Chine et des républiques d’Asie centrale enclavées vers l’océan Indien. Passer par Gwadar permettrait d’éviter le transit de 80% des importations chinoises d’énergie par le détroit de Malacca, aussi facile à bloquer que le détroit d’Ormuz.
Chabahar: intégrer une périphérie; accéder à l’Asie centrale
Le shah Mohammed-Reza Pahlevi (1941-1979) décide de faire de Chabahar un port moderne, couplé à une base aéronavale. La révolution de 1979 puis la guerre Irak-Iran gèlent ces projets, repris dans la décennie 1990. La République islamique veut développer un pôle urbain, industriel, commercial et sécuritaire dans la lointaine province du Sistan-Baloutchistan, travaillée par un séparatisme baloutche et sunnite. A cause des hauts fonds, le principal port iranien, Bandar Abbas, ne peut pas accueillir de navires de plus de 100000 tonnes. A 300 milles nautiques à l’est d’Ormuz, Chabahar, 75000 habitants en 2008, pourrait devenir le premier hub iranien en eaux profondes . Une zone franche y est ouverte, les accès routiers sont améliorés, la connexion avec le réseau ferroviaire national planifiée. Chabahar devrait devenir la tête d’un gazoduc sous-marin vers Oman et l’Inde. L’État est maître d’ouvrage de ces projets, les maîtres d’oeuvre étant les conglomérats de BTP appartenant aux Gardiens de la révolution, contraints de s’associer à des entreprises indiennes.
Dans l’embellie économique qui suit l’accord sur le nucléaire de 2015, et à l’occasion d’une visite du premier ministre Narendra Modi à Chabahar, Téhéran et New Delhi signent le 23 mai 2016 un accord qui fait de l’Inde l’opérateur étranger exclusif du développement de Chabahar, à hauteur de 20 milliards de dollars3: bassins, quais, port à conteneurs ; plate-forme pétrochimique et d’engrais, raffinerie d’aluminium, laminoirs. Le projet de gazoduc sous-marin est remplacé par celui d’une usine de liquéfaction pour l’exportation par méthaniers. Et les Indiens reprennent le chantier des 700km de la voie ferrée Chabahar-Zahedan. A l’instar de Gwadar et du CPEC pour les Chinois, Chabahar est conçu par les Indiens comme la tête de pont d’un corridor routier et ferroviaire, l’International North-South Transport Corridor (INSTC), vers l’Afghanistan (à 950km) et l’Asie centrale4. Derrière les accords commerciaux, on mesure les préoccupations géopolitiques : alors que Pakistan entend que l’Afghanistan demeure sa profondeur stratégique face à l’Inde, celle-ci prend le Pakistan à revers par le corridor irano-afghan. Et New Delhi accède à l’Asie centrale par le sud, alors que la Chine y multiplie les voies d’accès à partir du Xinjiang. L’Inde a livré sa première cargaison de céréales à l’Afghanistan via Chabahar en novembre 2017 : une livraison présentée comme fondatrice des « nouvelles routes de la paix et de la prospérité ». On ne saurait mieux plagier le discours chinois sur les nouvelles routes de la soie !
2/ Duqm, un projet omanais sur des routes maritimes majeures
La création d’un port à Duqm, sur la côte sud du sultanat d’Oman, est décidée dans un plan de développement en 1995. Le sultanat, aux ressources en hydrocarbures modestes, entend diversifier son économie, et développer un gouvernorat central semi-désertique et vide d’habitants. Le choix de Duqm est celui d’une localisation géographique exceptionnelle, sur une des routes maritimes les plus fréquentées de la planète, en en faisant un hub régional majeur, en profitant de l’effacement d’Aden (Yémen), plongé dans la guerre, et de l’encombrement de Djibouti. La construction d’un pôle portuaire, industriel et pétrochimique, à desservir par une autoroute, une ligne de chemin de fer et un aéroport, se fait totalement ex nihilo : en 2008, Duqm, petit port de pêche mal desservi, compte à peine plus de 5000 habitants. L’État installe en 2011 la Special Economic Zone Authority of Duqm (SEZAD), qui missionne des agences anglo-américaines chargées de mobiliser des investisseurs internationaux pour des chantiers comparables à ceux de Gwadar et Chabahar : creusement de bassins (dont l’un de 18 m de profondeur5) ; quais pour marchandises, conteneurs et passagers ; zone industrielle avec la plus grande cale sèche de réparation navale de la région; des bâtiments frigorifiques de pêcheries; une centrale électrique (au charbon), une usine de dessalement, une cimenterie, une zone franche. Les hydrocarbures sont omniprésents: cuves de stockage et terminal de chargement de pétroliers, raffinerie et pétrochimie. Par ailleurs, un stockage littoral de pétrole brut en cuves entre en service en 2019 à Ras Markaz, à 70km au sud de Duqm: avec ses 200 millions de barils, ce sera l’une des capacités les plus importantes au monde.
L’Etat omanais a investi environ 2 milliards de dollars pour les infrastructures de base (autoroute, dessertes, lotissements, centrale électrique, télécommunications). Les investissements étrangers co-financent ou financent tout le reste. A hauteur de 10 milliards de dollars, le Koweït est le pourvoyeur principal des projets pétroliers. La Chine, qui a officiellement fait de Duqm un point d’appui des Nouvelles routes maritimes, prévoit d’investir un montant comparable sur la zone industrielle. La Corée du sud et l’Inde investiront chacune 2 milliards de dollars, principalement dans les hydrocarbures. Sur le papier, Duqm cumule nettement plus d’investissements que Gwadar et Chabahar. A ce jour, toutes ces activités sont extraverties, Duqm n’étant encore relié à aucun réseau ferroviaire, d’oléoducs ou de gazoducs. Le brut arrive d’Oman et du Koweït par voie maritime, pour être réexportée. Un branchement est prévu sur les gazoducs et oléoducs omanais. Et il y a potentiellement à partir de Duqm l’ouverture d’un corridor terrestre vers le golfe Persique pour les hydrocarbures et les conteneurs, permettant d’éviter le détroit d’Ormuz.
3/ Tensions sécuritaires et rapports de forces géopolitiques
La « question baloutche » pèse sur Chabahar et sur Gwadar
Si les trois projets présentent de nombreuses similitudes, chacun d’entre eux est susceptible d’être freiné par des contraintes spécifiques. Les Baloutches, musulmans sunnites, sont 6,2 millions au Pakistan (3,6 % de la population) et 1,5M en Iran (2%). Islamabad comme Téhéran sont confrontés à leurs particularismes tribaux, et à un séparatisme transfrontalier minoritaire, mais activiste. Dans la dernière décennie, le Sistan-Baloutchistan iranien a été frappé par plusieurs attentats-suicides, en particulier à Chabahar, revendiqués par des groupes séparatistes, ou par des djihadistes sunnites. La province du Balouchistan est la plus vaste, la moins peuplée et la plus pauvre du Pakistan, malgré d’importantes ressources minérales et gazières. Le pouvoir fédéral d’Islamabad, accusé d’en piller les richesses, y est attaqué par différents groupes indépendantistes. A partir de 2002, les attentats contre les bâtiments officiels, les trains, les autocars, les gazoducs et les chantiers de Gwadar se sont multipliés, entraînant le quadrillage militaire de la région. Qualifiés « d’oppresseurs », les cadres et ouvriers chinois sont tout particulièrement visés par des attaques-suicides, au prix de dizaines de morts. La question sécuritaire pèse donc sur les deux projets, à Gwadar plus encore qu’à Chabahar .
La Chine à Gwadar : la géopolitique, plus que l’économie ?
Alors qu’en 2015 le Pakistan n’est que le 16e partenaire commercial de la Chine en Asie, la viabilité économique du corridor CPEC est mise en doute par certains analystes6. D’une part, parce que les travaux à Gwadar prennent beaucoup de retard, et que la capacité à recevoir de grands navires tarde à se confirmer. D’autre part, parce que les conditions topographiques et climatiques extrêmes du franchissement des Himalayas par la Karakoram Highway rendraient très coûteux le transport routier de pétrole de Gwadar vers la Chine. A l’heure de la montée en puissance de la Marine chinoise, il est donc possible que l’intérêt de Pékin pour Gwadar soit porté autant par les préoccupations stratégiques que par la rentabilité économique. En cas de crise ouverte à Ormuz ou dans l’océan Indien, Gwadar serait une base d’appui importante pour la Marine de Pékin, plus accessible que Djibouti; et une forme d’assurance pour le Pakistan vis-à-vis de son voisin indien.
Chabahar sous le coup des sanctions américaines
Avec le renforcement des sanctions du Trésor américain, les perspectives de développement de Chabahar s’éloignent, quand bien même, en inaugurant un terminal le 3 décembre 2017, le président Hassan Rohani a appelé tous les pays de la région à contribuer au projet. Téhéran a même proposé en mai 2018 au Pakistan une coopération de voisinage pour dépasser la concurrence avec Gwadar – les deux ports ne sont éloignés que de 76 milles marins (140 km). L’achèvement du gazoduc Iran-Pakistan pourrait ainsi alimenter l’usine de liquéfaction prévue à Gwadar7. En 2019, Chabahar est frappé par les sanctions renforcées parce que les travaux d’extension y sont largement menés par des entreprises appartenant aux Gardiens de la révolution, désormais «organisation terroriste » pour Washington. New Delhi, faisant valoir que l’Afghanistan est un pays allié, a du ferrailler avec le président Trump pour qu’il exempte de sanctions le corridor Chabahar-Afghanistan. Alors que Téhéran essaie de construire une opération de troc, « l’Inde à Chabahar contre du pétrole iranien », en raison du blocage des réseaux bancaires, plusieurs chantiers dans le port sont interrompus, le commerce avec l’Afghanistan stagne, et les marchandises du Golfe n’arrivent plus. A travers ses propositions au Pakistan, Téhéran chercherait à se rapprocher du CPEC, pour bénéficier d’une forme de soutien de Pékin. Mais au risque alors de provoquer des interférences entre la Chine et l’Inde autour de Chabahar…
4/ Duqm: en attendant le corridor terrestre vers le golfe Persique, une base navale
Duqm n’atteindra son plein sens économique que si le sultanat réussit à négocier un corridor terrestre énergétique (oléoduc + gazoduc) et commercial (voie ferrée et conteneurs) vers le golfe Persique, via les territoires saoudien et émirati. Mais Riyad et Abou Dhabi ont plusieurs motifs de contentieux avec Mascate: les bonnes relations d’Oman avec l’Iran; son rôle d’intermédiaire dans le dossier du nucléaire iranien; son refus de participer à l’intervention militaire au Yémen en 2015; son soutien à Doha dans la crise du Qatar depuis 2017. De plus, le projet de Duqm se pose en concurrent direct des ports et zones franches des EAU sur le golfe Persique (Khalifa à Abou Dhabi, Djebel Ali à Dubaï) et sur le golfe d’Oman (Fujeirah). Le corridor terrestre de Duqm reste donc une perspective de long terme.
Duqm, une base navale alternative à Manama?
Depuis 1970, Oman garantit sa sécurité par des accords de défense avec Londres et Washington, qui disposent de facilités aériennes et navales dans le sultanat. Mascate a décidé d’y ajouter Duqm. Un memorandum en 2017, acté en 2018, ouvre le port à la Royal Navy britannique. Un contingent permanent de fusiliers-marins et de logisticiens y sera chargé de l’accueil et de la protection des vaisseaux britanniques, y compris les porte-aéronefs et les sous-marins nucléaires. Le Duqm Naval Dockyard, joint venture entre Oman et l’entreprise privée Babcock (le principal fournisseur de la Royal Navy) permettra l’entretien en cale sèche de navires de guerre, y compris pour des opérations majeures. C’est l’amorce de l’installation d’une base britannique permanente, preuve supplémentaire du retour de Londres « à l’est d’Aden ». En mars 2019, un accord avec Washington ouvre l’accès aux ports de Duqm et de Salalah (Dhofar) à la Ve Flotte, basée à Manama (Bahreïn). Duqm pourra accueillir et ravitailler les porte-avions et sous-marins nucléaires. A terme, la localisation à Manama (où les porte-avions ne peuvent s’ancrer qu’au large, vu leur tirant d’eau) de la Ve Flotte américaine et de la base navale britannique pourrait être remise en cause au profit de Duqm, port en eaux profondes et non dépendant de la liberté de passage dans le détroit d’Ormuz… On y ajoutera un accord de février 2018 qui permet àla marine de New Delhi d’utiliser le port de Duqm, et à son aviation d’utiliser les terrains omanais, renforçant les liens historiques et humains entre l’Inde et le sultanat. Duqm devient ainsi une forme de « perle indienne », à équidistance du détroit d’Ormuz et des « perles chinoises » de Gwadar et de Djibouti, et participe donc à la course générale aux bases dans l’océan Indien 8.
Le bouleversement des écosystèmes
Comme tous les grands chantiers, les projets portuaires génèrent des tensions environnementales et des menaces sur la biodiversité: déstabilisation, voire destruction, des écosystèmes marins par les dragages, la poldérisation, les digues; risques élevés de pollution par les hydrocarbures dans des zones où, en dehors d’Oman, la protection de l’environnement est loin d’être une préoccupation. Les populations locales ne voient pas toujours favorablement des projets bouleversant leur cadre de vie et leurs ressources traditionnelles. A Gwadar, le plan de développement prévoit de raser la vieille ville sur l’isthme et de déplacer ses 60 000 habitants, pour faire place nette pour les zones portuaire et industrielle. Et l’arrivée annoncée de navires de pêche industrielle coréens et taïwanais signera la disparition des petits chalutiers locaux, ce qui alimente le ressentiment contre le gouvernement central et les Chinois. A Duqm, pêcheurs et bédouins semi-nomades doivent quitter maisons et terres littorales. Les pêcheurs craignent d’être privés de leur ressource traditionnelle (la sardine) par la concession des eaux omanaises à des compagnies asiatiques de pêche industrielle. A quoi s’ajoutent les vives réticences de populations conservatrices au projet de développement d’un tourisme balnéaire de masse.
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Pour ces trois projets, les perspectives à l’horizon d’une décennie sont inégales. Le projet irano-indien de Chabahar et de corridor afghan est désormais directement obéré par les violentes sanctions américaines. Le projet de Gwadar apparaît plus solide en ce que la Chine en est un maître d’ouvrage efficace, qui raisonne à très long terme, et pourrait ajouter à l’objectif de hub économique une perspective militaire. Avec sa vocation d’interface entre le golfe Persique et la mer d’Arabie, en contournant par voie terrestre le détroit d’Ormuz, Duqm pourrait permettre à Oman de renouer avec la prestigieuse histoire de la thalassocratie commerciale de Mascate quand, aux XVIIe et XVIIIe siècles, ses boutres sillonnaient l’océan Indien, du détroit de Malacca à Zanzibar. Dans une région où les tensions internationales sont au plus haut, c’est pourtant la dimension militaire qui pourrait, là aussi, devenir prioritaire à court ou moyen terme.
NOTES & REFERENCES
1 Quatre pétroliers y ont été attaqués le 12 mai 2019. Cf. JP.BURDY, «Le port émirati de Fujeirah, une alternative sûre au détroit d’Ormuz? », CARTO, no 55, septembre-octobre 2019
2 Plusieurs appellations: New Silk Road Project ; One Belt, One Road (OBOR) ; Belt and Road Initiative (BRI). Sur les Nouvelles routes maritimes de la soie (Maritime Silk Road Project), la Chine a obtenu des facilités portuaires ou des bases navales, qui forment un Collier de perles (String of Pearls).
3La baie de Chabahar abrite deux installations: le port Shahid Kalantari, et le port Shahid Beheshti concerné par l’accord avec l’Inde.
4 Anns GEORGE, « Chabahar Port and India’s New Strategic Outpost in Middle East », in: R.S.GOUD, M. MOOKHERJEE (eds.), India and Iran in Contemporary Relations, New-Delhi, 2014, p.87-93
5 Ce qui permet d’accueillir des porte-avions, mais pas les porte-conteneurs géants ou les superpétroliers VLCC, qui exigent des bassins de 30 à 35m.
6 Jeremy GARLICK, « Deconstructing the China–Pakistan Economic Corridor: Pipe Dreams Versus Geopolitical Realities », Journal of Contemporary China, 2018, Volume 27, no 112, p.519-533
7 Mohsen SHARIATINIA, «Iran sticks to ‘Look to the East’ doctrine amid frustration with Europe », Al-Monitor, Iran Pulse, 9/6/2019 . URL : https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2019/06/iran-asia-look-to-east-china-india-japan-oil-exports-europe.html
8 David BREWSTER, «The Indian Ocean Base Race », South Asia Journal, 15/2/2018 URL: http://southasiajournal.net/the-indian-ocean-base-race/
JP.BURDY

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