A défaut de provoquer la chute du régime iranien, naïvement envisagée par le président Trump et ses conseillers toujours bien inspirés, de John Bolton à Mike Pompeo, le principal résultat du retrait américain du JCPoA et des sanctions sans cesse renforcées, est le durcissement considérable du contexte politique en Iran. Les modérés qui, autour du président Rohani avaient négocié l’accord sur le nucléaire (avec l’autorisation du Guide et du CSN, il faut le rappeler) se retrouvent évidemment affaiblis par la crise économique et les tensions sociales, alors qu’ils avaient vanté en 2015-2016 les bénéfices qu’allaient trouver tous les Iraniens à cet accord.

A l’inverse, les ultraconservateurs, et les tenants d’un unilatéralisme à la fois isolationniste et régionalement interventionniste, sont renforcés dans leur hostilité de toujours à la signature de l’accord nucléaire et de la « normalisation » de l’Iran sur la scène internationale. Ils retrouvent ainsi des réflexes des années 1980 quand, dans la situation extrêmement difficile de l’Iran agressé par l’Irak et presque totalement isolé (à l’exception d’un modeste soutien de la Syrie d’Hafez al-Assad), ils avaient eu recours à la guerre asymétrique contre les soutiens à Saddam Hussein (les Etats-Unis, la France, les pétromonarchies). Qui s’était manifesté en particulier sur le sol libanais, et entre autres par la prise d’otages occidentaux par des structures plus ou moins directement contrôlées par Téhéran. Le chercheur Michel Seurat y avait trouvé la mort en 1986. Le contexte est évidemment très différent aujourd’hui, mais la pratique des prises d’otages, par des agences gouvernementales officielles, persiste.

En juin 2019, nos deux collègues du CERI-Sciences Po-Paris, l’anthropologue et sociologue franco-iranienne Fariba Adelkhah et le chercheur français spécialiste de la Corne de l’Afrique Roland Marchal ont été arrêtés à Téhéran, sous l’accusation « d’espionnage ». Et sont, depuis, à la prison d’Evin à Téhéran, dans l’aile contrôlée par les Gardiens de la révolution. Fariba étant privée de visites consulaires, puisque considérée comme ressortissante iranienne. L’information sur ces arrestations n’a été rendue publique par le Quai d’Orsay et le CERI qu’en octobre, le temps de constater que les tractations secrètes pour leur libération restaient sans résultat. C’est évidemment là une forme de prise d’otages, habituellement réservée à des binationaux (irano-canadiens, anglo-iraniens, etc. -la liste est fort longue). La pratique n’est donc pas totalement nouvelle. Elle émane des services iraniens et des structures liées aux Gardiens qui cherchent, autant qu’on puisse le deviner, à affaiblir le camp du président Rohani; et à obtenir des concessions en échange de la libération de ces otages. Concernant nos deux collègues français, les spécialistes estiment que ces structures iraniennes cherchent à obtenir la libération de deux ressortissants iraniens actuellement détenus dans l’UE :

– Assadollah Assadi, un diplomate et agent des services iraniens à Vienne, incarcéré en Belgique, car soupçonné d’être lié à un projet d’attentat le 30 juin 2018 contre un rassemblement des Moudjahidines du peuple à Villepinte.

– Jalal Rohollahnejad, un ingénieur iranien arrêté le 2 février à Nice, accusé d’avoir voulu exporter du matériel technologique soumis à embargo américain: sa demande d’extradition par la justice américaine a été acceptée par le parquet général d’Aix-en-Provence.

Nos deux collègues sont donc les victimes collatérales à la fois du jeu factionnel qui divise les camps en Iran, et d’enjeux d’opérations « derrière le rideau » auxquels il/elle sont évidemment totalement étrangers. Et leur maintien en détention ne peut que geler la coopération scientifique avec l’Iran.