Ligne de faille entre deux puissances régionales concurrentes, l’Iran et l’Arabie saoudite, le détroit d’Ormuz est l’un des passages les plus stratégiques de la planète puisque 30 % du pétrole brut mondial y transitent encore chaque année. A l’été 2019, les incidents navals se sont multipliés entre le golfe Persique et le golfe d’Oman, au point que l’hypothèse d’une guerre entre les Etats-Unis et l’Iran est alors (re)devenue envisageable. Mais attribuer à la seule République islamique la responsabilité des tensions revient à occulter la responsabilité première, pleine et entière, du président américain, depuis sa décision unilatérale de se retirer de l’accord de Vienne de 2015 sur le nucléaire, et d’imposer un embargo total sur les exportations d’hydrocarbures de Téhéran.

Carte © : montage visuel JP.BURDY, 15/8/2019

Mai 2017-octobre 2019: chronologie des tensions dans le golfe Persique et le détroit d’Ormuz

* 21-22 mai 2017, Riyad : première étape du premier voyage officiel à l’étranger du président Trump. A l’occasion de l’inauguration d’un Centre mondial pour la lutte contre l’idéologie extrémiste, il stigmatise l’Iran comme responsable unique des tensions dans tout le Moyen-Orient.

* 8 mai 2018, Maison Blanche, Washington : le président Trump signe le retrait unilatéral des Etats-Unis américain de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien du 14 juillet 2015 (Joint Comprehensive Plan of Action, JCPoA) , avec rétablissement et renforcement des sanctions américaines contre l’Iran dans un délai de 90 à 180 jours. Ces sanctions rétablies portent sur un embargo sur les produits pétroliers, sur le secteur aéronautique et minier, et une interdiction d’utiliser le dollar américain dans les transactions commerciales avec l’Iran. L’asphyxie de l’économie iranienne commence.

* 5 novembre 2018, Washington : les sanctions rétablies entrent en vigueur. Les contrevenants, quels et où qu’ils soient, s’exposent à de lourdes sanctions financières du Trésor américain, gestionnaire des embargos et des sanctions.

* 2 mai 2019, Washington: Avec la fin des dérogations accordées en novembre 2018 à huit pays asiatiques clients de l’Iran, l’embargo américain sur les exportations iraniennes d’hydrocarbures devient total. La quasi totalité du brut iranien transitant par le détroit d’Ormuz, on peut estimer que le président Trump entend fermer Ormuz aux Iraniens.

* 12 mai 2019, golfe d’Oman, à l’entrée du détroit d’Ormuz: quatre navires transportant des hydrocarbures sont sabotés à quelques milles du port de Fujeirah, dans les eaux territoriales des Emirats arabes unis.

* 14 mai 2019, Arabie saoudite, province de Riyad : deux stations de pompage de l’oléoduc Est-Ouest (golfe Persique-mer Rouge) sont attaquées par des drones venant du Yémen, entraînant une brève fermeture des tubes.

* 13 juin 2019, détroit d’Ormuz, au large des côtes iraniennes: sabotage par des mines magnétiques d’un méthanier japonais et d’un pétrolier norvégien. Les images de ce dernier, en feu sur une mer d’azur, font le tour du monde.

* 20 juin, détroit d’Ormuz : un drone américain RQ-4A Global Hawk est abattu à haute altitude par des missiles sol-air iraniens. Dans l’espace aérien international selon les Américains. Dans l’espace iranien, rétorque Téhéran. Le président Trump dit avoir annulé au dernier moment une opération militaire de représailles contre l’Iran.

* 4 juillet, détroit de Gibraltar : les forces spéciales britanniques à Gibraltar arraisonnent dans le détroit le tanker iranien Grace 1 . Londres affirme que le navire se dirigeait vers une raffinerie syrienne, violant ainsi l’embargo européen sur la Syrie. Pour Téhéran, il s’agit d’un « acte de piraterie en haute mer. »

* 10 juillet, détroit d’Ormuz : la frégate de la Royal Navy HMS Montrose pointe ses armes sur trois navires iraniens qui ordonnaient au pétrolier britannique British Heritage de se diriger vers les eaux territoriales iraniennes. Les Gardiens démentent tout incident.

* 14 juillet, détroit d’Ormuz, près de l’île de Qeshm: l’Iran intercepte un pétrolier battant pavillon panaméen, le M.T.Riah, accusé de transporter du pétrole de contrebande vers l’île iranienne de Larak.

* 19 juillet, détroit d’Ormuz : les vedettes rapides et un commando héliporté de la Force navale des Gardiens de la révolution arraisonnent un pétrolier suédois battant pavillon britannique, le Stena-Impero, accusé de « non-respect du code maritime international » pour ne pas avoir porté assistance à un bateau de pêche iranien. Il est retenu dans le port de Bandar Abbas, où une partie de l’équipage (les Indiens) est relâchée. Le président Trump demande aux Européens de « constituer une force navale pour assurer la liberté de circulation dans le Golfe. » Après négociation entre l’armateur et les autorités iraniennes, le Stena-Impero quitte Bandar Abbas pour les EAU le 27 septembre.

* 4 août, rive nord du Golfe : les Forces navales des Gardiens arraisonnent un navire-citerne -de nationalité non précisée (irakienne?), « transportant du carburant de contrebande près de l’île iranienne de Farsi  et se dirigeant vers des pays arabes de la région. » Il est remorqué dans le port iranien de Boucheir.

* 15 août, Gibraltar : La Cour suprême de Gibraltar autorise le pétrolier iranien Grace 1  (sous pavillon panaméen) à quitter le territoire, ce qui, pour l’Iran, « signe l’échec d’une tentative de piraterie américaine ». Washington demande la saisie du pétrolier au nom de l’entraide judiciaire. Mais rebaptisé Adrian Darya 1 et placé sous pavillon iranien, celui-ci repart, initialement pour la Grèce, puis vers Chypre, avant de se rapprocher des côtes libanaises et syriennes.

* Fin août 2019 : Téhéran annonce la mise en chantier d’un oléoduc de 1000km entre Boucheir et le port de Jask, dans la partie orientale d’Ormuz, pour une inauguration en 2021 ; et un projet d’embranchement vers le port de Chabahar du gazoduc Bandar Abbas-Iranshahr.

* 14 septembre, Province orientale de l’Arabie saoudite, installations de la compagnie saoudienne Aramco : une vingtaine de drones chargés d’explosifs endommagent l’usine de traitement du brut d’Abqaiq ; et quatre missiles de croisière détruisent le champ pétrolifère de Khurais. Ces attaques entraînent pendant plusieurs semaines la diminution de moitié de la production pétrolière saoudienne. Elles sont revendiquées par les rebelles yéménites houthis, mais attribuées pour tout ou partie aux forces iraniennes par certains analystes.

* 22 septembre, Téhéran : Après l’annonce de l’envoi de renforts américains en Arabie saoudite, le président iranien Hassan Rohani affirme que la présence de force étrangères dans le Golfe accroît l’« insécurité ». L’Iran va donc présenter à l’ONU « un plan de coopération destiné à assurer la sécurité du golfe Persique, du détroit d’Ormuz et de la mer d’Oman » entre pays riverains. Ce plan est dénommé Hope (Espoir). M. Rohani indique que son pays tend ainsi « la main de l’amitié et de la fraternité » aux autres Etats riverains du Golfe. Des contacts informels sont ensuite annoncés entre Riyad, Abou Dhabi et Téhéran.

* 14 et 15 octobre, golfe Persique : visite officielle du président Vladimir Poutine à Riyad, puis à Abou Dhabi. La régulation du marché pétrolier et les cours du brut sont officiellement le principal sujet des rencontres bilatérales. La vente d’armements russes a peut-être été évoquée. D’autre part, forte de ses contacts avec toutes les parties, la diplomatie russe entend contribuer à une baisse des tensions géopolitiques dans le Golfe.

Carte © parue dans JP.BURDY, « Le détroit d’Ormuz , verrou stratégique du golfe Persique« , in: «La paix. Illusions et réalités» , Paris, La Documentation française, Questions internationales no 100, septembre-décembre 2019, p.167-173.