Nous avons récemment consacré un post au « procès de Gezi [Gezi davası, juin 2019-avril 2022]», et à l’acharnement de la justice du président Recep Tayyip Erdoğan (#1) contre Osman Kavala et ses six co-accusés. L’occasion de revenir sur l’un des éléments de l’acte d’accusation déroulé à partir de l’ouverture du procès en première instance le 24 juin 2019 (le procès en appel s’est tenu en avril 2022). L’acte d’accusation est un volume de 657 feuillets qui fait feu de tout bois pour étayer des chefs d’inculpation maximalistes. A partir de 2016, le téléphone portable d’Osman Kavala, le principal accusé des « Sept de Gezi », a d’abord été écouté (en dehors de toute procédure légale), puis saisi, et la carte SIM et la mémoire décortiquées par les enquêteurs. Les messages en ont été transcrits, et les images collationnées, le tout reproduit dans l’acte d’accusation qui a, pour une large partie, été ultérieurement rendu public par la défense.
Dans son téléphone, une carte photographiée attesterait des intentions complotistes d’Osman Kavala…
On peut donc lire, dans un extrait des interrogatoires policiers initiaux de Kavala en 2017, à côté de la capture d’une carte en couleur : « Un examen du téléphone portable du suspect a révélé que la photo prise le 27/02/2016 l’a été avec le téléphone portable du suspect. [On y observe que] l’intégrité territoriale de la République de Turquie y est remise en cause, et que les frontières ont été redessinées …» (#2). La carte en question est également présente dans l’acte d’accusation de 2019.

Ci-dessus: procès-verbal de l’interrogatoire de Kavala sur la photo enregistrée dans son téléphone;
Ci-dessous: transcription du commentaire des policiers sur la carte présente dans le téléphone.

Effectivement, les zones délimitées et colorisées ne se superposent pas à la carte de la République de Turquie, et à ses frontières contemporaines. Et, comme l’ont immédiatement souligné les éditorialistes des médias aux ordres du pouvoir, désormais largement hégémoniques dans le pays, tout cela ressemble fort à la carte du traité de Sèvres du 10 août 1920. Honni des nationalistes turcs dès le premier jour, celui-ci, envisagé par les Alliés après l’effondrement de l’Empire ottoman en 1918, et avant la guerre de libération nationale de Mustafa Kemal (Atatürk) entre 1919 et 1922, prévoyait le démantèlement de l’Anatolie au profit de plusieurs bénéficiaires (les Grecs, les Arméniens, peut-être les Kurdes, et surtout les Anglais, les Français, et les Italiens). De plus, les mêmes éditorialistes ont également abondamment souligné que « les frontières dessinées sur la carte sont similaires à la soi-disant carte du Kurdistan du groupe terroriste PKK» , frontières « visant à amputer la Turquie », et qui ont « toujours été encouragées par les impérialismes occidentaux. »

La Turquie envisagée par le traité de Sèvres (carte turque de 1927, en osmanlı) ; et une version contemporaine précisée, en français.

Ce traité de Sèvres, a priori fondé sur les 14 points du président Wilson, est mort-né, inapplicable dès son élaboration. Après la victoire de Mustafa Kemal, il a été remplacé dès 1923 par le traité de Lausanne. Mais la logique du traité de Sèvres est à l’origine d’un des arguments structurants du nationalisme ou de l’ultra-nationalisme turcs depuis les origines de la République de Turquie jusqu’à nos jours, en substance : « il y a un complot permanent de l’étranger pour rayer la Turquie de la carte en s’attaquant à ses frontières ». Ce qu’historiens et politistes ont nommé « le syndrome de Sèvres [en turc: Sevr sendromu]». L’historien Etienne Copeaux, qui a consacré des travaux majeurs à l’écriture de l’histoire en Turquie au XXe siècle, et en particulier aux représentations cartographiques de l’imaginaire historique turc (#3), a souligné très justement : « Plus généralement, « le syndrome de Sèvres » et la menace de disparition du pays qu’il implique, sont perpétuellement agités par le nationalisme, dans l’espoir de mobiliser et souder la population. » (#4). L’instrumentalisation de Sèvres lors du procès de Gezi en 2017 puis 2019 et 2022 s’inscrit donc dans une longue tradition, partagée à la fois par les kémalistes et par les nationalistes islamistes.
Revenons à la carte du portable de Kavala, rattachée/assimilée par l’accusation à celle du traité de Sèvres, agitée comme un épouvantail, et preuve de « ses intentions criminelles » de démantèlement de la République. Elle est bien connue des spécialistes d’apiculture, historiens ou biologistes. Car, très loin d’avoir le moindre lien avec le traité de Sèvres, elle se trouve dans un «classique» , l’ouvrage de référence du biologiste allemand Friedrich Ruttner, publié en 1988 : « Biogeography and Taxonomy of Honeybees», figure 11-3, page 180 (#5).


Pour plus de lisibilité, la carte de Ruttner a été colorisée à une date et par un auteur inconnus, et se retrouve ainsi sur internet. Plus précisément, en ce qui concerne la version colorisée turque présente dans le téléphone de Kavala, elle est issue de la page 5 du manuel grand public d’Ahmet Inci: «Ana arı üretimi [L’élevage des reines d’abeilles] », publié en 2015 à 25000 exemplaires (#6). Et l’auteur cite la source de la carte qu’il reproduit: « Prof.Dr. Ruttner’in Balarılarının biyocoğrafya ve taksonomisi .»


« Carte apicole en réalité carte de Sèvres / donc contestation des frontières de la Turquie / donc soutien au séparatisme kurde / donc intentionnalité du complot contre l’État en relation avec l’étranger »: cet amalgame en forme de syllogisme, présenté devant le tribunal spécial d’Istanbul, devrait être dérisoire, tellement la paranoïa nationaliste y est patente, et la manipulation dans l’interprétation du document grossière (#7). Mais, répercuté à l’envie par les éditorialistes dans les médias du régime et sur les réseaux sociaux, et ainsi « crédibilisé », il est devenu l’une des « preuves » utilisées pour la condamnation d’Osman Kavala à la réclusion à perpétuité aggravée – la peine la plus lourde prévue par le Code pénal turc, et qui ne permet pas de libération conditionnelle.
La riche diversité des sous-espèces et des écotypes d’abeilles Apis mellifera en Turquie.
Venons-en au sens de cette carte de Ruttner. On le sait peu en général, la Turquie est un grand pays d’apiculture, et d’apiculteurs et apicultrices – la production annuelle de miel, en hausse régulière, se situe entre 80 000 et 100 000 tonnes, au 2e rang mondial derrière la Chine (#8). Grâce à la diversité de son climat, de ses paysages et de sa flore. Grâce aussi, et surtout, à la richesse exceptionnelle de ses sous-espèces (ou « races », pour utiliser le vocable ancien encore usité) d’abeilles mellifères Apis mellifera. Elaborée initialement par le biologiste juif allemand et palestinien Friedrich Simon Bodenheimer dans son ouvrage fondateur de 1942 (#9), puis précisée, après de nombreux travaux intermédiaire,s par Friedrich Ruttner en 1988, la carte des abeilles en Turquie fait apparaître une véritable «diversité ethnique », avec plusieurs sous-espèces régionales (progressivement distinguées à partir de la fin du XIXe s.), comprenant elles-mêmes des écotypes adaptés à des environnements spécifiques :
1) Apis mellifera anatoliaca (Anadolu Arısı) pour le plateau d’Anatolie centrale, avec la variante Apis mellifera anatoliaca de la zone égéenne occidentale (Batı Ege Arısı, dont l’écotype des « abeilles de Muğla » qui produisent un miel de pin des plus réputés) .
2) Apis mellifera caucasica (Kafkas Arısı, « l’abeille caucasienne », qui comprend à la fois « l’abeille grise de montagne », et « l’abeille gris-jaune subcaucasienne » ) pour les régions du Pont (mer Noire) et du nord-est ; avec quelques traces de la variante Apis mellifera armeniaca (« l’abeille jaune subcaucasienne ») aux confins de l’Arménie contemporaine.
3) Apis mellifera meda (Iran Arısı, « l’abeille iranienne ») , du golfe d’Adana au nord de la Syrie et à l’Iran ;
4) Apis mellifera syriaca (Suriye Arısı, au XIXe s. « l’abeille palestinienne » devenue « l’abeille syrienne ») aux confins syro-turcs (son aire d’expansion apparaissant sur la carte de Ruttner nous paraît un peu trop restrictive);
5) Apis mellifera cypria (Kıbrıs Arısı, « l’abeille chypriote ») – dans l’ensemble de l’île évidemment – mais l’on relève aussi aujourd’hui la présence de l’abeille anatoliaca dans la zone turque du nord de Chypre…
6) Apis mellifera carnica, ou macedonica (Trakya Arısı) en Thrace orientale.


La première carte scientifique de répartition des sous-espèces de Turquie par Bodenheimer en 1942
Toutes ces sous-espèces sont définies par des critères morphologiques (taille, couleur de l’abdomen, densité des poils, longueur du proboscis [la trompe, ou langue], nervures des ailes, etc.), et, de plus en plus, par leur ADN. L’importance croissante des transhumances inter-régionales a logiquement amené à des processus d’hybridation, dont les conséquences ne sont encore pas toutes mesurées. Le changement climatique commence également à impacter certaines sous-espèces – avec, par exemple, les incendies massifs dans les forêts de Muğla à l’été 2021 (#10). Le développement de la prise de conscience environnementale en Turquie a entraîné l’apparition d’ONG se préoccupant de la biodiversité, et donc de la conservation de certaines sous-espèces jugées spécifiquement précieuses et menacées. C’est, en particulier, le cas de A.m.caucasica, dans les provinces très montagneuses et arrosées d’Artvin et Ardahan, frontalières de la Géorgie et de l’Arménie, ainsi que dans la région du Pont.
L’histoire politique des plus mouvementées de certaines régions du pays au XXe siècle n’a pas réussi à éradiquer territorialement la diversité et la richesse des sous-espèces d’abeilles. Car, d’un point de vue scientifique, il est entendu que, même si certains textes turcs ou balkaniques ressortant de l’idéologie prétendent le contraire, les aires d’implantation des différentes sous-espèces ne sont pas définies et circonscrites par les frontières politiques du XXe siècle (#11): plusieurs d’entre elles sont largement transfrontalières. Par exemple A.m.meda, « l’abeille iranienne », qui s’étend de la Méditerranée au golfe Persique : il semble d’ailleurs bien que ce soit l’aire de A.m.meda qui ait particulièrement rendu nerveux les enquêteurs et les éditorialistes hostiles à Kavala, car elle coïncide effectivement assez largement à l’aire de peuplement kurde majoritaire au « Sud-Est » du pays – donc au « Kurdistan » transfrontalier (Turquie-Syrie-Irak-Iran)…
Où va se nicher le nationalisme turc, ou l’origine anatolienne des abeilles mellifères…
A l’automne 2021 a été publiée une étude scientifique canadienne sur la génétique de l’abeille mellifère qui a rencontré un écho important chez les spécialistes, et a été reprise dans de nombreux articles de presse dans le monde entier (#12). La thèse admise jusque-là était qu’Apis mellifera était initialement originaire d’Afrique, puis avait migré vers le Moyen-Orient, et de là vers l’Europe occidentale, lors du recul de l’ère glaciaire. L’étude canadienne récente, fondée sur des comparaisons génétiques d’ampleur, étaye plutôt la thèse d’une origine initiale d’Apis mellifera en Asie du sud-est, puis migration vers l’Afrique via l’Asie occidentale, puis vers l’Europe.
Nous avons néanmoins repéré une version turque originale de la question, car passée au filtre du nationalisme anatolien : « Les abeilles mellifères se sont propagées de l’Anatolie et de ses environs à l’Europe et à l’Afrique. Kathleen Dogantzis de l’Université York au Canada et ses collègues ont examiné la constitution génétique de 251 abeilles mellifères européennes, comprenant 18 sous-espèces collectées en Europe, en Afrique et en Asie, et sont arrivées à des conclusions très importantes concernant l’évolution. Des études génétiques montrent que l’espèce d’abeille mellifère la plus répandue au monde, « l’abeille mellifère occidentale » ou « abeille mellifère européenne », est originaire d’Asie occidentale, couvrant donc l’Anatolie et ses environs, il y a environ 7 millions d’années, puis s’est propagée [etc…] » (#13)

La matrice originelle: une carte des origines des Turcs et de leurs courants migratoire dans Copeaux (2000)
Persistance des vieux réflexes… Au temps où Mustafa Kemal (Atatürk) faisait écrire l’histoire de la Turquie nouvelle (#14), et rédiger une nouvelle grammaire de la langue turque moderne et en alphabet latin (à la charnière des décennies 1920-1930 donc), des linguistes turcs avait élaboré, sur commande, une « théorie de la langue-soleil [Güneş Dil Teorisi]» démontrant que toutes les langues (civilisées) de la planète étaient nées sinon en Anatolie, au moins à partir d’une langue proto-turque matricielle d’Asie centrale, dont Etienne Copeaux a reproduit quelques représentations cartographiques. On saura désormais que, dans la même logique nationaliste ethnocentrée dans sa version de 2021, toutes les abeilles mellifères de la planète sont apparues en Anatolie turque, avant de se disséminer en Afrique et en Europe il y a quelques centaines de milliers d’années….
Jean-Paul BURDY
QUELQUES ARTICLES TURCS SUR LE TELEPHONE DE KAVALA
* La thèse médiatique de la carte apicole comme preuve du complot contre l’intégrité de la Turquie :
2019/ https://www.odatv4.com/makale/kavalanin-telefonundaki-harita-bakin-ne-cikti-04031902-157022
2019/ https://www.yeniakit.com.tr/haber/kavalanin-telefonundan-cikan-dikkat-ceken-harita-642931.html
2019/ https://www.akgazete.com.tr/haber/yeni-turkiye-dort-kitada-17058 (AK Gazete)
* Une approche ironique du complot des abeilles et des ruches contre l’intégrité de l’État :
NOTES
#1 Le président turc étant personnellement intervenu publiquement, et à de multiples reprises (dont l’une le 24 octobre 2017, soit six jours après l’arrestation de Kavala et alors qu’aucune charge n’avait encore été formulée contre lui), sur, et contre, Osman Kavala, nous estimons pouvoir utiliser cette définition de la justice turque, laquelle évidemment ne convainc guère en matière de séparation des pouvoirs.
#2 « Şüphelinin cep telefonunda yapılan incelemede, 27/02/2016 tarihinde çekilmiş, Türkiye Cumhuriyetinin toprak bütünlüğünün bozularak sınırların yeniden çizildiği şüphelinin cep telefonu ile çekildiği tespit edilen fotoğrafın ele geçirildiği… »
#3 La thèse de Copeaux , « De l’Adriatique à la mer de Chine. Les représentations turques du monde turc à travers les manuels scolaires d’histoire, 1931-1993 » (1994) est accessible en ligne: https://independent.academia.edu/EtienneCopeaux . Elle a fait l’objet de deux publications chez CNRS-Éditions: «Espaces et temps de la nation turque. Analyse d’une historiographie nationaliste » (en 1997, et désormais disponible en ligne); « Une Vision turque du monde à travers les cartes, 1931-1993 » (en 2000).
#4 COPEAUX Etienne, « Ce que le génocide a fait à la Turquie », 2019. En ligne : https://www.academia.edu/40625503/Ce_que_le_g%C3%A9nocide_a_fait_%C3%A0_la_Turquie_2019 . Plus spécifiquement sur le « syndrome de Sèvres »: SCHMID Dorothée, «Turquie: le syndrome de Sèvres, ou la guerre qui n’en finit pas », Institut français des relations internationales (IFRI) , Politique étrangère, Printemps 2014, no 1, p.199-213. En ligne: https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-1-page-199.htm
#5 RUTTNER Friedrich , « Biogeography and Taxonomy of Honeybees », Springer Verlag, Berlin, Heidelberg, New York, London, Paris, Tokyo, 1988, 284p. [ouvrage non traduit en turc : Balarılarının biyocoğrafya ve taksonomisi]
#6 INCI Ahmet, « Ana arı üretimi [L’élevage de reines d’abeilles] », ANG, Ali Nihat Gökyigit Vakfı Arıcılık Danışmanı Ziraat Yük. Müh., Istanbul, Eğitim Kitabi, 2015, 132p.
#7 L’affichage de la source de la carte (Ruttner et Inci) pour démonter l’accusation n’a pas suffi. Cf., p.ex. ÖZKÖK Ertuğrul, « Osman Kavala başarılı olsaydı arı kovanlarıyla darbe yapacaktı [Si Osman Kavala avait réussi, il aurait frappé avec des ruches d’abeilles] », OdaTV.com, 26/4/2022. En ligne : Ertuğrul Özkök yazdı… Osman Kavala başarılı olsaydı arı kovanlarıyla darbe yapacaktı (odatv4.com). Extrait : « 1988 yılında, bir Alman bilim insanı, Prof. Friedrich Ruttner, bi arı kitabı yayınladı. Adı “Bal arılarının Biyocoğrafyası ve Taksonomisi”ydi… O kitapta arı kolonilerinin Anadolu ve Kafkasya’daki dağılımlarını gösteren bir harita vardı. Kitap bütün dünyada olduğu gibi Türkiye’de birçok arı araştırmasında ana kaynak olarak kullanıldı. O haritalar Türkiye’de de yayınlandı. Osman Kavala’nın cep telefonunda bulunan harita işte buydu. »
#8 A titre de comparaison, la production annuelle française, en déclin tendanciel prononcé, oscille entre 10 et 20 000 tonnes.
#9 BODENHEIMER Friedrich Simon (1897-1959) « Türkiye’de Bal Arısı ve Arıcılık Hakkında Etüdler – Studies on the Honey Bee and Beekeeping in Turkey [Etudes sur les abeilles mellifères et l’apiculture en Turquie] », Istanbul, Numune Matbaasi, 1942, 119p.
#10 «Muğla. Wildfires deal blow to world-famous pine honey production », hurriyetdailynews.com, 10/8/2021. En ligne : https://www.hurriyetdailynews.com/amp/wildfires-deal-blow-to-world-famous-pine-honey-production-166876
#11 Nous avons repéré quelques cartographies nationalistes des sous-espèces d’abeilles en Turquie, en Grèce, dans les Balkans et en Ukraine. Au congrès Apimondia de 2009, à Montpellier, une intervention (grecque) a démontré que la frontière politique gréco-serbe correspondait étroitement à la séparation entre deux sous-espèces; une autre intervention a fait de même pour la frontière gréco-turque en Thrace: des abeilles grecques côté grec, des abeilles anatoliennes côté turc -sauf exceptions dans quelques zones portuaires…. Au congrès Apimondia de Kiev en 2013, puis à nouveau à Montréal en 2018, un intervenant a répété la coïncidence de l’orthodoxie ukrainienne avec une race d’abeille spécifiquement ukrainienne. Et cela, bien avant la guerre d’agression de la Russie de 2022. Contredites par presque toutes les études scientifiques, morphologiques ou génétiques, ces thèses apparaissent comme marginales. Certains épisodes de l’histoire contemporaine ont cependant pu jouer un rôle dans le maintien ou la régression de certaines sous-espèces : la zone frontalière avec l’URSS, au nord-est de la Turquie, était pendant toute la Guerre froide zone militaire interdite. Ajoutée à une topographie montagneuse difficile d’accès, ce facteur géopolitique a indubitablement fait de la région un conservatoire protégé avant l’heure de l’abeille caucasienne ou subcaucasienne locale. L’arrivée de colons d’Anatolie dans la République turque de Chypre du nord (RTCN) fait qu’Apis mellifera cypria y cohabite désormais avec A.m.anatoliaca... La Slovénie indépendante et européenne a fait de l’abeille A.m.carnica une « abeille nationale slovène », seule autorisée sur le territoire slovène. Se pose toutefois le contrôle de la frontière italo-slovène, qui n’est pas une barrière topographique physique comme peuvent l’être les Alpes austro-slovènes. Sans oublier que carnica s’étend de l’Autriche à l’Albanie, de l’Italie aux Balkans, bien au-delà donc des frontières de la petite Slovénie.
#12 DOGANTZIS Kathleen A., TIWARI Tanushree, CONFLITTI Ida M., DEY Alivia et 9 alii (dont GARNERY Lionel), « Thrice out of Asia and the adaptive radiation of the Western honey bee », Science Advances, 3/12/2021, Vol 7, Issue 49. En ligne: https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abj2151 ; Cette étude de 2021 remet totalement en question un article de 2006 sur les origines africaines d’Apis mellifera : WHITFIELD Charles W., BEHURA Susanta K. , BERLOCHER Stewart H. et 8 alii, « Thrice Out of Africa: Ancient and Recent Expansions of the Honey Bee, Apis mellifera », Science, 27 Oct 2006, Vol .314, Issue 579, p.642-645. En ligne: https://www.science.org/doi/full/10.1126/science.1132772
#13 « Bal arıları Anadolu ve çevresinden Dünyaya yayılmış Kaynak [Les abeilles mellifères se sont répandues dans le monde depuis l’Anatolie et ses environs. »], haberizlenim.com, 6/12/2021. En ligne : https://www.haberizlenim.com/bal-arilari-anadolu-ve-cevresinden-dunyaya-yayilmis-25583h.htm
#14 Cf. COPEAUX Etienne, « Le nationalisme, boussole et consolation pour compenser la Perte », Blog Susam-Sokak, 1er avril 2017. En ligne: https://www.susam-sokak.fr/2017/03/le-nationalisme-boussole-et-consolation-pour-compenser-la-perte.html . & « Retour sur Espaces et temps de la nation turque », Blog Susam-Sokak, 26 décembre 1921. En ligne: https://www.susam-sokak.fr/2021/12/retour-sur-etnt.html

