Le premier ministre israélien Naftali Bennett reçu par le roi Hamad et le prince-héritier Salman, Manama, 14 février 2022 (source: Bahrain News Agency, BNA)


Les Émirats arabes unis et Bahreïn ont été les premières monarchies du Golfe à normaliser  leurs relations avec Israël par les « Accords d’Abraham », signés le 15 septembre 2020 à la Maison Blanche, sous les auspices du président Donald Trump et de son gendre Jared Kushner.

Pour Bahreïn, il en est découlé, en 2021 et 2022, une intense activité diplomatique. Israël a été intégré, en septembre 2021, au CENTCOM, le commandement américain pour le Moyen-Orient.  Et l’État hébreu considère que le royaume de Bahreïn, dirigé par la dynastie sunnite des Al Khalifa, et dont les relations avec Téhéran sont historiquement mauvaises, est particulièrement intéressant pour l’endiguement de l’influence régionale de l’Iran,  à la fois par sa situation et par ses engagements sécuritaires : l’archipel  abrite, en effet, le quartier général  de la Ve Flotte américaine ; une base britannique ; et les navires des 34 pays des Forces maritimes combinées (FMC) qui patrouillent dans le Golfe pour « lutter contre les activités criminelles et terroristes » et garantir la liberté de circulation dans le détroit d’Ormuz. En 2021 et début 2022, on a donc vu se succéder à Manama les personnalités et délégations israéliennes – en même temps d’ailleurs que le royaume confirmait, à travers plusieurs visites officielles croisées, son étroite proximité sécuritaire avec Riyad, qui n’a pas encore normalisé ses relations avec Israël.

Après que Manama a ouvert une ambassade à Tel Aviv pendant l’été 2021,  le ministre israélien des Affaires étrangères Yaïr Lapid a inauguré, le 30 septembre 2021, la première ambassade de son pays à Bahreïn, un an après la signature de l’accord de normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays. En même temps que le premier  vol commercial direct entre Manama et Tel-Aviv.


L’Ambassade d’Israël, au 29e étage du Bahrain World Trade Center, inaugurée le 30 septembre 2021 (Reuters)

Fin septembre 2021, manifestation pro-palestinienne contre la visite de Yaïr Lapid à Manama (source: Press TV, Iran)

Fin novembre 2021, le conseiller à la sécurité nationale israélien, Eyal Hulata, a participé au Dialogue de Manama, un forum annuel politico-sécuritaire organisé par l’Institut international pour les études stratégiques (IISS), un centre de recherche britannique proche des pétromonarchies: il y a prêché la fermeté face à l’Iran, auprès de ses partenaires du Golfe et des représentants américains.

Dans un contexte de fortes tensions régionales liées à la multiplication des tirs de missiles par les houthis yéménites contre les EAU et l’Arabie saoudite,  le ministre israélien de la Défense  Benny Gantz, arrivé dans un avion de l’armée de l’air israélienne, s’est rendu début février 2022 à Bahreïn pour y signer un «accord de défense» (Bahreïn est donc le 2e pays à signer un tel accord, après le Maroc). Gantz a  installé à Manama un officier supérieur de marine, officier de liaison avec la Marine bahreïnie et la Ve Flotte. L’accord prévoit une coopération dans le secteur des industries de défense. Benny Gantz,  accompagné du chef de la marine israélienne David Salama, a visité la base de la Ve Flotte de la marine américaine à Jufair, saluant les liens entre les trois pays dans un contexte de menaces croissantes de la part de l’Iran. Il a posé devant le destroyer USS Cole, qui avait été gravement endommagé par un attentat-suicide dans le port d’Aden en 2000. La visite à la Ve Flotte a lancé l’International Maritime Exercise 2022, qui réunit des navires de 60 pays. Israël y participe, aux côtés des Koweïtiens, des Saoudiens et des Omanais, qui n’entretiennent pas de relations diplomatiques avec Jérusalem. Manière de rappeler que le Conseil de coopération du Golfe est loin d’être unifié sur la question des relations avec Israël, mais ne s’empêche pas de côtoyer les Israéliens dans la confrontation avec l’Iran.


Benny Gantz et le roi Hamad (source: BNA)
Benny Gantz et l’amiral Salama visitent le USS Cole à Jufair

Sans que les dates en aient été précisées, on sait que le chef du Mossad israélien a déjà effectué plusieurs visites à Manama, confirmant ainsi l’existence d’une coopération en matière d’échanges de renseignement entre services de renseignements bahreïnis et israéliens. Dans la même logique, l’utilisation du logiciel espion israélien TSO-Pegasus par des organes de sécurité bahreïnis a été attestée, contre des militants des droits humains et des avocats, mais curieusement aussi contre des députés et des loyalistes du régime.

Après un passage à Abou Dhabi, Naftali Bennett a effectué le 14 février 2022 la première visite officielle d’un chef de gouvernement israélien à Bahreïn,  Il y a rencontré le roi Hamad Al Khalifa ; le prince-héritier et premier ministre Salman ben Hamad (réputé réformiste, mais qui, depuis des années, se concentre prudemment concentré son plan de diversification économique Vision économique Bahreïn 2030) ; et plusieurs membres du gouvernement. Naftali Bennett a répété à Manama l’opposition d’Israël à un nouvel accord sur le nucléaire iranien, et qu’Israël ne serait «pas contraint par ce qui sera écrit dans les accords et maintiendra une totale liberté d’action partout et à tout moment, sans limitation». On a relevé que le discours anti-iranien, très ferme à Manama, avait été mis sous le boisseau lors de l’étape précédente de Bennett à Abou Dhabi, les EAU entendant maintenir par prudence des relations non conflictuelles avec le grand voisin iranien, avec lequel ils commercent intensivement.


Naftali Bennett , le roi Hamad, le prince-héritier Salman (source: BNA)
Naftali Bennett offre une carte ancienne du Moyen-Orient

Naftali Bennett a également rencontré la petite  communauté juive locale (moins de 50 personnes), qui a toujours été choyée par Manama. Pour contrebalancer dans la dernière décennie sa piètre image en termes de droits humains aux Etats-Unis, le royaume (dont la tolérance religieuse est, par ailleurs, exemplaire) a mis en avant  le sort paisible de sa petite communauté juive, et nommé une diplomate juive ambassadrice à Washington. Manama a, en retour, bénéficié du soutien d’organisations juives américaines, et reçu des délégations et personnalités israéliennes : des rabbins venant participer à des conférences interconfessionnelles, des hommes d’affaires ou des sportifs. Comme à Dubaï ou Abou Dhabi, des bureaux commerciaux israéliens avaient pignon sur rue à Manama. Des officiels bahreïnis se sont rendus en Israël ces dernières années. Des ministres israéliens se sont rendus à Bahreïn pour des événements internationaux onusiens ou de forums.

Le 27 mars 2022, Israël a organisé dans le Neguev un « sommet historique» réunissant les trois Etats arabes ayant normalisé leurs relations avec l’État hébreu (Émirats arabes unis, Maroc, Bahreïn, représentés par leurs ministres des Affaires étrangères) et le secrétaire d’État américain Antony Blinken.  Seuls, les Emiratis et les Bahreïnis ne pèsent pas très lourd auprès de la Maison Blanche. Mais, associés aux Israéliens, ils sont plus audibles, notamment au sujet de l’Iran. Car ce sommet est une manifestation parmi plusieurs autres de la constitution d’un axe sécuritaire régional face à l’Iran, et à la perspective de conclusion d’un nouvel accord sur le nucléaire iranien.

Par ailleurs,  Bahreïn espère tirer un bénéfice économique des Accords d’Abraham en accueillant des investissements israéliens. Depuis leur signature, Israël et Bahreïn ont paraphé huit protocoles d’accords dans les secteurs des finances, de l’agriculture, de l’aviation, du tourisme, des échanges scientifiques et universitaires.


Manifestation nocturne contre la visite de Naftali Bennett, Manama, 14/2/2022 (Press TV)

Pour autant, craignant les réactions d’opposition de la part de sa population chiite (qui représente les deux tiers de la population de nationaux), le royaume veut éviter  d’être perçu comme une potentielle base militaire israélienne dans le Golfe. Il préfère donc parler de « partenariat » plutôt que « d’alliance » avec Israël. Mais l’on sait qu’une partie non négligeable de la société bahreïnie s’oppose à la normalisation avec Israël, en soutien à la cause palestinienne, et peut-être aussi pour partie par affinité avec la République islamique. Lors des différentes visites d’officiels israéliens, dans les quartiers chiites périphériques de la capitale, des manifestants ont brûlé des drapeaux israéliens et pneus en signe de protestation.  Le hashtag en arabe «Bahreïn contre le sionisme» est populaire sur les réseaux sociaux. Le parti islamiste chiite Al Wefaq (interdit par la Justice, et dont les dirigeants sont emprisonnés), principal groupe d’opposition de Bahreïn a dénoncé l’accord de sécurité signé entre le royaume et le régime israélien. Autant d’indices peu médiatisés dans un pays verrouillé par les services de sécurité depuis 2011, mais répercutés par les médias iraniens et les agences d’information chiites.

                                                                                                           Jean-Paul BURDY


Signature des Accords d’Abraham à la Maison Blanche, 15 septembre 2020. Le président Donald J. Trump, le ministre des Affaires étrangères de Bahreïn, Abdullatif ben Rashid Al-Zayani, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, le ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis, Abdullah ben Zayed Al Nahyani  (Photo officielle de la Maison Blanche)