Les élections législatives iraniennes se tiendront le 1er mars 2024, afin de renouveler pour quatre ans les 290 membres du majlis, le parlement iranien. Le même jour se tiendront les élections à l’Assemblée des experts. Deux scrutins qui se déroulent dans un contexte intérieur et régional de crise : crise économique qui paupérise la majorité de la population depuis des années; répression persistante du mouvement de contestation qui a suivi la mort de Mahsa Jina Amini, victime en septembre 2022 de la gasht-e ershad, la sinistre « police des mœurs » du régime islamiste ; tension régionale majeure depuis la sanglante opération terroriste du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, suivie de l’écrasement des Palestiniens de Gaza par Tsahal, et des opérations de harcèlement des navires marchands en mer Rouge par les houthis yéménites soutenus par Téhéran. Mais ces élections sont aussi faussées par le filtrage introduit en amont par les ultraconservateurs.

Sur les 290 sièges à pourvoir pour quatre ans, 285 le sont au scrutin majoritaire à deux tours. Les cinq sièges restants sont réservés aux minorités confessionnelles : un siège pour les zoroastriens, un pour les juifs, un pour les chrétiens assyro-chaldéens, et deux pour les chrétiens arméniens. Comme lors des élections précédentes, la qualification pour enregistrer sa candidature repose sur plusieurs critères : la détention de la citoyenneté iranienne ; l’adhésion à la Constitution et aux valeurs de la République islamique ; être musulman pratiquant (sauf à se porter candidat au titre de l’une des minorités religieuses reconnues) ; jouir « d’une bonne réputation » ; être en bonne santé, etc. Sans compter de multiples autres facteurs de disqualification automatique (appartenance à des organisations politiques illégales ou hostiles à l’État ; l’apostasie, la violation de la charia ; la corruption ; la déficience mentale, la toxicomanie, etc.), il est évident que plusieurs de ces principaux critères permettent d’écarter autant de candidats à la candidature que le régime – le Conseil des gardiens de la Constitution en l’occurrence- le décide. Les chiffres en témoignent. 48 847 personnes se sont inscrites comme candidates à l’élection. 15 200 personnes ont reçu l’approbation finale. Selon des évaluations de la presse iranienne, les réformistes représenteraient entre 20 et 30 % d’entre eux. Et seules 1 713 femmes ont été retenues. Le processus de sélection politico-idéologique mis en place depuis les législatives de 2020 s’est donc aggravé, entraînant ces disqualifications massives.

L’Assemblée des experts est composé de 88 sièges pourvus pour huit ans au suffrage universel direct majoritaire à un tour (dans des circonscriptions de un ou plusieurs sièges). Les électeurs sont obligatoirement membres du clergé du chiisme duodécimain. Son rôle est important en ce qu’elle sera amenée à élire le successeur du Guide suprême Ali Khamenei, âgé de 84 ans et « en mauvaise santé » (mais il y a des années qu’on annonce sa mort imminente…). Plus encore que pour les législatives, compte tenu de l’enjeu pour l’avenir du régime, la sélection en amont des candidats est drastique. Sur les 510 candidatures examinées par le Conseil des gardiens, 138 ont été retenues. Les « modérés » ont tous été écartés, sans que les décisions soient motivées : l’ancien président « réformiste » Hassan Rohani, membre du Parlement pendant cinq mandats (24 ans au total), conseiller à la sécurité nationale pendant seize ans, ayant effectué deux mandats présidentiels (de 2013 à 2021), a ainsi été disqualifié. Plusieurs anciens ministres ont été rejetés. Et même certains candidats « principistes » – tenants conservateurs des principes fondateurs de la République islamique. Le bilan est clair : seuls les candidats les plus (ultra)-conservateurs ont été retenus, jusqu’à parfois être seuls autorisés à candidater dans leur circonscription, ce qui garantit évidemment leur élection.


Incitations à aller voter, février 2024


Le clerc et ancien président Mohammad Khatami (1997-2005), contraint depuis des années à un semi-silence, a déploré que l’Iran soit « très éloigné d’élections libres et compétitives ».Hassan Rohani a décrit son éviction de la candidature comme « une décision politiquement biaisée [qui] sapera la confiance de la nation dans le système ». Le très relatif degré de concurrence au sein du régime qui a épisodiquement fonctionné – et a, par exemple, permis dans le passé l’élection de présidents « réformistes » (M.Khatami, H.Rohani) a disparu. Le système ne laisse même plus candidater et élire des critiques loyaux au régime, et ne cherche qu’un auto-renouvellement fermé. Le fait est que la monopolisation des candidatures par les ultra-conservateurs discrédite tout le processus électoral. Bien qu’écarté, Hassan Rohani a appelé les électeurs à voter pour «protester contre la minorité souveraine». Mais il n’est donc pas surprenant que de nombreux courants politiques et des opposant.e.s notoires (et en général presque tou.te.s emprisonné.e.s : ainsi la prix Nobel de la Paix 2023 Narges Mohammadi, incarcérée à la prison d’Evin) appellent à boycotter ces élections – à l’instar de ce qui s’est régulièrement produit en Iran ces deux dernières décennies. La principale coalition de partis réformateurs, le Front des réformes, a annoncé qu’elle sera absente de ces « élections dénuées de sens et inefficaces dans la gestion du pays ».

Le seul enjeu sera donc celui du taux de participation. Lors des précédentes législatives, en 2020, 42,57% des électeurs s’étaient officiellement déplacés dans les bureaux de vote – et 49 % à la présidentielle de 2021 – des pourcentages bien inférieurs à ceux des consultations antérieures. Le pourcentage pourrait être encore plus faible cette année, malgré les efforts du pouvoir pour inciter les électeurs et électrices à se déplacer aux urnes : campagne d’affichage, spots télévisés, urnes géantes dans la rue, etc. En l’absence de vraie concurrence avec les « réformateurs » et autres « modérés », le scrutin se réduit à un duel entre conservateurs et ultraconservateurs qui, par étapes, ont fini par monopoliser tous les pouvoirs politiques. Lesquels sont moins au majlis ou à la présidence de la République (et encore moins au gouvernement), que dans les structures très opaques de la Maison du Guide (Beit-e Rahbari), et des Gardiens de la révolution (pasdaran). Pas plus que les élections antérieures, et après la répression des manifestations « Femme, vie, liberté » qui a surcreusé le fossé entre l’État et une majorité de la société iranienne, les consultations électorales de 2024 ne permettront de faire évoluer un régime verrouillé, et qui est dans une évidente impasse idéologique et politique.


Addendum 5 mars 2024. Courbe de la participation aux législatives en Iran, 1980-2024 (selon les chiffres officiels, à minorer en plusieurs occasions). in: ALFONEH Ali, «  Iran’s 2024 Elections: Vote Without Voters », Washington DC., AGSIW, March 6, 2024 . URL : https://agsiw.org/irans-2024-elections-vote-without-voters/


Narges Mohammadi, Nobel de la Paix 2023, incarcérée à Evin