Les ministres des Affaires étrangères du Qatar et de Bahreïn se rencontrent à Ryad le 8 février 2023


A la différence des Emirats arabes unis (EAU) et de l’Arabie saoudite, Bahreïn ne cherche visiblement pas à bénéficier du rayonnement économique régional de la coupe du monde de football au Qatar fin 2022 : logement des supporters, navettes aériennes quotidiennes correspondant aux horaires des matchs, etc.1. Alors que Bahreïn dispose d’un parc hôtelier très important (au moins 20000 lits), d’une capacité d’accueil touristique reconnue (le tourisme représente 20 % du PIB, et les visiteurs sont largement revenus après la pandémie de covid-19, tout particulièrement les Saoudiens) et d’un aéroport international à 45 minutes de vol de Doha, il n’y a pas de vols directs entre les deux capitales, pas de fan zones à Manama, et peu de publicité pour la compétition (sur instructions officieuses du gouvernement bahreïni selon certaines sources). De facto, le Bahreïn s’est tenu à l’écart de l’événement, pour des raisons politiques.

En effet, si le contentieux ouvert en 2017 entre plusieurs Etats2 du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et le Qatar a été officiellement soldé début 20213, puis à l’occasion de la coupe du monde de football Qatar 2022, il n’en va pas de même en ce qui concerne les relations bilatérales entre Manama et Doha4. Les deux capitale sont en principe sur la voie de la réconciliation, mais leurs ambassades sont toujours fermées, et il n’y a toujours pas de vols directs entre les deux pays, distants de moins de 100km (il faut transiter via l’Arabie saoudite par la route -450km, ou prendre un vol Manama-Abou Dhabi puis Abou Dhabi-Doha).

Le contentieux Bahreïn-Qatar sur l’Archipel de Hawaz, et l’arbitrage de la Cour internationale de Justice en 2001

Le contentieux est ancien, et territorial. Il concerne l’archipel bahreïni de Hawaz, à proximité immédiate des côtes du Qatar, et revendiqué par celui-ci en 1991. L’affaire, portée devant la Cour internationale de justice s’est réglée en 2001 par un abandon des revendications qataries sur Hawaz, en même temps que Bahreïn renonçait aux siennes sur une partie de la péninsule qui constitue le Qatar5. Après dix ans de procédure, c’est un demi-échec de Bahreïn qui, certes, s’est vu confirmé dans sa possession de l’archipel Hawar, mais perd aussi tout espoir de pouvoir accéder à la bordure du gigantesque dôme de gaz que se partagent le Qatar (North Dome, et qui en tire sa fortune) et l’Iran (South Pars, que Téhéran peine à valoriser du fait des sanctions internationales qui le prive des technologies avancées nécessaires).



Depuis 2001, Manama rumine le jugement, car il est apparu que plusieurs dizaines de documents (82 pour être précis) fournis comme « preuves » par le Qatar étaient des faux, ce que la Cour a acté par une ordonnance, sans interrompre pour autant la procédure. Les revues de droit international ont fait leur miel de ces fraudes avérées, le Qatar ayant dû piteusement retirer ses documents. La rumeur veut qu’après le jugement de la CIJ, l’émir du Qatar Hamad al-Thani (père de l’actuel émir Tamim ben Hamad al-Thani) aurait déclaré «Cela ne nous aura pas coûté si cher que ça…» . En présence, qui plus est, toujours selon la rumeur, du roi de Bahreïn Hamad ben Issa al-Khalifa…

Manama continue donc à entretenir des campagnes de basse intensité sur les faux documents fournis par la Qatar à la CIJ à l’époque, et d’éventuelles corruption au sein même de la CIJ. Les frontières maritimes entre les deux pays ont été le théâtre d’incidents répétés en décembre 2020 et janvier 2021, notamment après l’interception de navires de pêche bahreïnis par les garde-côtes qataris, que Doha a présenté comme « une attaque systématique contre la vie et les moyens de subsistance des pêcheurs bahreïnis ». Il semble que des avions de chasse de Manama aient alors pénétré dans les eaux territoriales qataries. Doha a alors interpellé le Conseil de sécurité des Nations unies, sans suites connues. Au-delà de Hawaz, d’autres contentieux mineurs entretiennent les rancoeurs, comme l’expropriation en 2021 par le ministère des Travaux publics de Bahreïn de terrains appartenant à des cousins de l’émir du Qatar, pour des motifs « d’intérêt public » obscurs. Par ailleurs, en 2018, l’un des nombreux motifs de la condamnation à la prison à vie d’une des principales figures de l’opposition politique, Sheikh Ali Salman (secrétaire général du parti d’opposition chiite al Wefaq, interdit en 2016) était : « espionnage au profit du Qatar aux fins de renverser le gouvernement du Royaume de Bahreïn. »

Le « Qatargate » européen de fin 2022, une suite de l’affaire de la CIJ en 2001 ?

Une récente enquête journalistique française avance l’hypothèse que « l’affaire du Qatargate » qui a éclaboussé l’émirat fin 2022 alors que débutait le Mondial de football au Qatar, en révélant une affaire de corruption d’eurodéputés, mais aussi des soupçons de « biens mal acquis » par le Qatar ou certains de ses obligés, pourrait avoir été en partie initiée et alimentée à partir de Manama6. L’opération viserait à prouver que le Qatar aurait largement usé de la corruption auprès de certains acteurs de la CIJ (trois ou quatre des quinze juges) pour obtenir un jugement favorable sur la question des eaux territoriales dans le Golfe, au détriment de Bahreïn.

Fin 2022, les médias du Golfe ont évoqué, dans une langue de bois habituelle dans la région, des échanges téléphoniques « de haut niveau »  entre Manama et Doha; « des discussions qui s’inscrivent dans le cadre de la déclaration d’Al Ula visant à mettre fin au différend avec le Qatar » ; et des rencontres diplomatiques aux fins d’établir « des mécanismes et procédures nécessaires pour entamer des discussions au niveau des comités bilatéraux. » On a connu des formules plus convaincantes…. Ces reprises de contact étant menées dans le cadre du CCG, sous la houlette du prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salman.


L’émir du Qatar et le roi du Bahreïn se rencontrent à Djeddah le 16 juillet 2022…


NOTES

1 AFSAL Muhammed, « Qatar World Cup 2022: A lost economic opportunity for Bahrain? », Middle East Eye, 10/11/2022. URL : https://www.middleeasteye.net/news/qatar-world-cup-bahrain-lost-economic-opportunity & « Qatar World Cup 2022: A Lost Economic Opportunity for Bahrain », bahrainmirror.com, 12/11/2022. URL : http://bahrainmirror.com/en/news/62102.html

2 En 2017, le Bahreïn, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte ont imposé un blocus aérien, terrestre et maritime au Qatar, accusé de soutenir le terrorisme via les Frères musulmans, et d’entretenir des relations trop étroites avec l’Iran. Des accusations que Doha a rejetées comme infondées.

3 Les dirigeants du CCG ont acté la fin de la crise du Golfe (ou « crise du Qatar ») par une déclaration lors du sommet du 41e sommet du CCG à Al-Ula (Arabie saoudite), début janvier 2021. Les postes-frontières entre l’Arabie saoudite et le Qatar ont été rouverts avant le sommet, mettant fin au blocus mis en place en 2017. La raison principale de cet abandon du blocus est qu’il a complètement échoué à faire plier le Qatar, qui a trouvé des soutiens intéressés (Iran, Turquie) et a bénéficié de la montée en puissance de « l’effet Coupe du Monde Qatar 2022 ». Cf. CAFIERO Giorgio, « Is real rapprochement between Bahrain, Qatar on the horizon? », Amwaj.media, August 5, 2022. URL: https://amwaj.media/article/a-cautious-assessment-of-the-bahrain-qatar-rapprochement

4 CERDAN Maria, « Bahreïn et le Qatar, le maillon faible de la réconciliation dans le Golfe », atalayar.com, 11 février 2023. URL : https://atalayar.com/fr/content/bahrein-et-le-qatar-le-maillon-faible-de-la-reconciliation-dans-le-golfe

5 Cf. Arrêt de la CIJ, 16 mars 2001: https://web.archive.org/web/20110605005458/www.icj-cij.org/docket/files/87/7027.pdf

6 LEGER Laurent, « Soupçons d’ingérence étrangère : l’ombre du Bahreïn sur la dénonciation de corruption du Qatar en France », Libération, 6 février 2023. URL : https://www.liberation.fr/societe/police-justice/soupcons-dingerence-etrangere-lombre-du-bahrein-sur-la-denonciation-de-corruption-du-qatar-en-france-2023020 6