Titulature du ministère iranien des Affaires étrangères :

« République islamique d’Iran / Djomhouriy-e eslami Iran

Ministère des Affaires étrangères / Vezarat-e Oumour-e Kharej

Ni Est, ni Ouest, République islamique / Na sharqi, na gharbi, Djomhouriy-e eslami »

(source : https://mfa.gov.ir/portal/newsview/577779)


La dernière livraison de Moyen-Orient no 49, janvier-mars 2021, consacre son dossier central à la Libye, et au « Grand Jeu » des multiples acteurs qui interfèrent dans le conflit libyen depuis 2011. Dans ce même numéro, nous consacrons un article à un des volets d’actualité de la politique étrangère iranienne : «L’Iran, « A l’Est, toute…  » ? Le partenariat stratégique entre Téhéran et Pékin » (pages 72-77) . Résumé :

La devise « Ni Est, ni Ouest, République islamique« 

La devise «Ni Est, ni Ouest, République islamique » figure sur les documents officiels du ministère iranien des Affaires étrangères comme sur les carreaux de faïence bleue au-dessus des différentes entrées du bâtiment1 . Un mot d’ordre formulé par l’ayatollah Khomeyni en 1979, qui guide en principe la politique étrangère du pays depuis lors. Même si celle-ci a toujours plus insisté sur le volet: «Ni Ouest », compte-tenu des origines et alliances idéologiques de la révolution islamique, associant comme un oxymore nationalisme chiite persan et révolutionnarisme d’extrême-gauche.

Or, le 5 juillet 2020, ce même ministère a confirmé que l’Iran travaillait à finaliser pour le printemps 2021 un projet de « Partenariat stratégique global sino-iranien / Sino-Iranian Comprehensive Strategic Partnership» de long terme. En contrepartie de la livraison garantie de pétrole et de gaz iraniens, la Chine pourrait investir en 25 ans jusqu’à 400 milliards de dollars  dans le secteur des hydrocarbures, la construction d’infrastructures, et de trois zones franches. Pékin développera le réseau 5G iranien, et Téhéran adoptera le système GPS chinois Beidou.

Ce projet n’est pas totalement nouveau, et n’est pas le simple produit de la politique trumpienne après le retrait de la signature américaine de l’accord de Vienne sur le nucléaire (JCPoA, 14 juillet 2015) : il réactive une proposition chinoise de janvier 2016, que le président Xi Jinping avait inscrit, lors de sa visite officielle à Téhéran en janvier 2016, dans son projet de Nouvelle route terrestre de la soie. Fort de la détente consécutive à l’accord de Vienne sur le nucléaire en juillet 2015, le président iranien Hassan Rohani avait cependant alors privilégié une ouverture à l’ouest pour relancer l’économie. La reprise du dossier en 2020, à l’initiative de Téhéran, est liée à la politique de « pression maximale » sur l’Iran du président Donald Trump (2016-20 janvier 2021) : à défaut d’atteindre ses objectifs officiels (imposer à Téhéran un accord beaucoup plus dur en matière de nucléaire, de missiles stratégiques et de politique régionale) ou cachés (le regime change : provoquer la chute du régime de Téhéran par une révolte de la population) ses sanctions ont étranglé une République islamique isolée au plan international, sans options économiques alternatives. Les investisseurs occidentaux partis aussi vite qu’ils s’étaient pressés à Téhéran en 2015-2016, la Chine est alors devenue, par défaut, le principal partenaire commercial de l’Iran, et l’un des derniers acheteurs d’hydrocarbures iraniens. Téhéran prenant aussi en compte la montée en puissance globale d’une Chine désormais concurrente des États-Unis, et dont les relations avec Washington sous la présidence Trump ont été exécrables.

Pour Pékin, le partenariat avec l’Iran sécurisera son approvisionnement en pétrole, avec des perspectives gazières et un renfort de poids à la Nouvelle route de la soie. Mais Pékin doit en même temps veiller à ne pas mécontenter ses autres partenaires dans la région, parfois – souvent- adversaires proclamés de Téhéran en particulier du côté de Riyad, d’Abou Dhabi ou de Jérusalem. La Chine-puissance entretient des relations bilatérales diplomatiques et économiques avec tous les États, de l’Arabie saoudite à la Turquie, d’Israël à la Syrie. La relation Iran-Chine est donc asymétrique : Téhéran a indubitablement plus besoin de Pékin que l’inverse.

Depuis l’été 2020, la multiplication des polémiques qui suit la révélation dans certains médias téhéranais du projet d’accord avec la Chine traduit la crainte que l’Iran n’aliène une partie de sa souveraineté, en violation du principe fondateur de 1979: « Ni Est, ni Ouest ». Au sein du régime, si les réformateurs autour du président Hassan Rohani (bientôt en fin de deuxième mandat, et alors que les conservateurs sont donnés largement favoris pour la prochaine présidentielle, en juin 2021, après avoir remporté les législatives de février 2020) penchent plutôt vers l’Occident, un courant prochinois informel existe, fondé sur un anti-américanisme viscéral et un anti-occidentalisme anti-impérialiste, et parfois une adhésion au modèle autoritaire chinois de développement économique.

Dans le monde politique, les critiques émanent des nationalistes et des ultra-conservateurs souverainistes, par rejet de toute dépendance à l’étranger : l’ancien président Mahmoud Ahmadinedjad (2005-2013), par ailleurs brouillé depuis 2012 avec le Guide suprême Ali Khameneï, en est le porte-parole le plus bruyant. Au sein de l’opinion publique, à un nationalisme suspicieux fondé sur l’histoire des menaces impérialistes de la Russie (l’Ours) et du Royaume-Uni (le Lion) aux XIXe & XXe siècles (le traité de Turkmentchaï en 1828, par lequel la Perse soit céder à Saint-Petersbourg le Caucase du sud ; la Convention anglo-russe de 1907 partageant la Perse en zones d’influence russe et anglaise), auxquelles s’additionneraient au XXIe s. les menées du « Dragon chinois » , s’ajoute l’image négative de la Chine, qui a voté les sanctions de l’ONU, dont les marchandises de piètre qualité inondent les marchés iraniens, dont les chalutiers-usines désespèrent les petits pêcheurs du golfe d’Oman, et qui est rendue pour partie responsable de la virulence particulière de l’épidémie de covid-19 en Iran 2 .

1907: la Perse entre le Lion et l’Ours (caricature du Punch, Londres)

Alors que le président Joe Biden a annoncé une révision de la politique américaine dans le golfe Persique et un retour dans [la renégociation de?] l’accord nucléaire de 2015, que les inquiétudes internationales s’expriment de plus en plus sur la reprise accélérée de l’enrichissement d’uranium de qualité militaire et la multiplication des exercices de lancements de missiles de tous types par les pasdaran, le futur de la relation irano-chinoise reste donc à préciser dans les mois qui viennent.

Jean-Paul Burdy


Xi à Téhéran avec le Guide Khameneï et le président Rohani, 22 janvier 2016


NOTES:

1 On peut préférer la traduction: « Ni Orient, ni Occident, République islamique ! »

2 Mais on n’oubliera pas que les nombreuses entreprises des Gardiens de la révolution (qui représenteraient jusqu’à 40% du PIB iranien) entretiennent des liens économiques étroits avec Pékin, en particulier via leur compagnie aérienne Mahan Air, qui a multiplié les rotations vers Wuhan jusqu’à fin mars 2020, contribuant ainsi à diffuser le « virus chinois »…


SOURCES:

> Jean-Paul BURDY, « «L’Iran, « A l’Est, toute…  » ? Le partenariat stratégique entre Téhéran et Pékin », Aix-en-P., Ed.Areion, Moyen-Orient no 49, janvier-mars 2021, 98p., p.72-77. Ce texte est accessible en pdf.:

Le script du projet d’accord tel que disponible en juillet 2020, in: Actualités INSAF[ انصاف نیوز ]: «  متن ویرایش نهایی برنامه همکاری‌های جامع ایران و چین / [Texte de l’édition finale du Programme global de coopération Iran-Chine] », Téhéran,  18/7/2020, en persan, en fac simile et en transcription. En ligne :http://www.ensafnews.com/242556/