Caricature publiée par l’agence de presse iranienne Tasnim, le 10 juillet 2019
La liberté de circulation à Ormuz ressort du droit coutumier non écrit, dans le cadre de la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer de 1982
A défaut de convention internationale spécifique (telle la Convention de Montreux de 1936 pour le détroit du Bosphore), la circulation dans le détroit d’Ormuz est régie par le droit coutumier non écrit, et par la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer (CNUDM), dite de Montego Bay, traité international acté en Jamaïque en 1982. Entré en vigueur en 1994, il a été ratifié par 162 Etats, dont Oman. Les EAU et l’Iran l’ont signé, mais non ratifié. Les Etats-Unis ne l’ont pas signé. La CNUDM porte la largeur des eaux territoriales des États de 3 à 12 milles marins (environ 22km). Le sultanat d’Oman et la République islamique d’Iran se partagent donc juridiquement les eaux d’Ormuz, et y exercent leur souveraineté en bonne intelligence. Les eaux territoriales d’Ormuz sont ouvertes au «passage en transit», qui doit « être rapide, s’exercer de manière continue et le représenter aucune menace pour l’Etat souverain. » Téhéran, qui n’a pas ratifié la convention, ne peut cependant pas, en vertu du droit coutumier, fermer le détroit. Washington ne reconnaît donc pas l’extension des eaux territoriales à 12 milles, et estime que la circulation à Ormuz se fait dans des eaux internationales.
Téhéran menace de fermer le détroit d’Ormuz quand ses intérêts vitaux sont menacés
Chaque fois qu’elle a estimé que ses intérêts vitaux pouvaient être menacés, la République islamique a menacé de bloquer la navigation dans le détroit d’Ormuz. Ainsi pendant la guerre Irak-Iran (1980-1988), déclenchée à l’initiative de Bagdad : constatant l’enlisement de la guerre terrestre, le président Saddam Hussein décide en 1984 d’étendre la guerre terrestre aux eaux du Golfe, en bombardant terminaux pétroliers et tankers iraniens. Il cherche à internationaliser le conflit en misant sur une fermeture d’Ormuz par les Iraniens, qui en agitent effectivement la menace. En réalité, faute d’autres moyens, Téhéran va s’engager dans une guerre asymétrique, en attaquant des pétroliers de pays soutenant l’Irak (le Koweït transfère alors sa flotte sous pavillon américain), et en posant des mines flottantes dans le détroit, susceptibles de frapper n’importe quel navire en transit, civil ou militaire.
L’internationalisation du conflit est effective : les flottes occidentales, mais aussi des vaisseaux soviétiques, patrouillent dans le Golfe. Pendant cette « guerre des tankers », entre 1984 et 1988, qui a entraîné le quadruplement des primes d’assurance, 546 navires, pour l’essentiel de commerce, ont été attaqués ou touchés par des mines, dont 10% ont coulé – les Irakiens, soutenus par les pétromonarchies du Golfe, la France et les Etats-Unis, en étant les principaux responsables. Des affrontements directs ont aussi opposé les marines américaine et iranienne, en particulier en 1988, lors de l’Opération Mante religieuse (Praying Mantis). Pour autant, le trafic n’a jamais été interrompu dans le détroit: il a été épisodiquement ralenti par les opérations de dragage des mines menées par les flottes occidentales, et la nécessité d’organiser les tankers en convois protégés par des navires de guerre. Les Iraniens ont à nouveau mouillé des mines à la limite de leurs eaux territoriales pendant l’invasion du Koweït par l’Irak (1990-1991). Depuis cette époque, les marines occidentales, qui disposent de technologies de détection nettement plus efficaces que celles des années 1980, mènent régulièrement sur zone des manoeuvres de déminage (International Mine Countermeasures Exercices, IMCMEX), la dernière en mai 2019.
Unilatéralement déclaré par le président Trump, l’embargo total sur les hydrocarbures iraniens doit être considéré comme une menace sur les intérêts vitaux de Téhéran
A l’heure actuelle, bien que disposant des quatrièmes réserves de pétrole brut au monde, et des deuxièmes réserves de gaz, l’économie iranienne est en cours d’asphyxie par des sanctions américaines. Le président Trump, qui ne connaît évidemment rien à l’histoire de la région, et est désormais solidement réputé pour ne lire aucun dossier,pense peut-être amener ainsi le régime à reddition. Pour Téhéran, « si l’Iran ne peut exporter et vendre son pétrole, les autres pays producteurs du Golfe ne pourront pas non plus exporter leur production. » Une fermeture du détroit par l’Iran se heurterait pourtant à des obstacles géopolitiques et économiques. D’une part, parce que 90% du brut iranien transitent par Ormuz: un blocage diminuerait plus encore les possibilités déjà réduites de l’Iran de vendre à ses clients asiatiques. D’autre part, parce qu’au moins deux producteurs proches de Téhéran seraient directement frappés: l’Irak, pour l’essentiel de son pétrole (le débit de l’oléoduc irakien vers le port turc de Ceyhan, sur la Méditerranée, est limité), et le Qatar (soutenu par la Turquie), pour la totalité du gaz du Golfe exploité dans le North Dome. Il est de bon ton de faire porter aux seuls Iraniens les menaces sur la circulation des tankers à Ormuz. Mais l’embargo américain est une forme de fermeture d’Ormuz au pétrole iranien, laquelle est une contradiction flagrante avec les déclarations de Washington sur “l’indispensable liberté de circulation dans le détroit d’Ormuz”. Et pour cela, l’argumentaire de Téhéran sur le droit des Iraniens à exporter librement leur pétrole doit être entendu.

Caricature de Stephff, 2012
Cf. notre article (entretien) : « Le détroit d’Ormuz , verrou stratégique du golfe Persique« , in: «La paix. Illusions et réalités» , Paris, La Documentation française, Questions internationales no 99-100, septembre-décembre 2019, p.167-173. Dont la carte ci-dessous:
