Mahomet, enluminure ottomane XVIIe s.

Vient de paraître : « Le réveil des religions », un dossier de Questions internationales

Les religions sont de plus en plus présentes sur la scène internationale, plus par les mouvements transnationaux que par les politiques étatiques. Le dossier « Le réveil des religions »  de Questions internationales no 95, janvier-avril 2019 s’intéresse à la dimension temporelle et non transcendante des religions, à leur présence au monde, au fait religieux, fait collectif, fait international.

Religion politique, l’islam est consubstantiel à l’exercice du pouvoir dans de nombreux États: comme fondement des institutions et du droit ; comme instrument de mobilisation politique ; et, souvent, comme argumentaire de politique intérieure et de géopolitique. Les conflits qui déchirent le Moyen-Orient sont fréquemment présentés comme découlant de facteurs confessionnels -en particulier de l’opposition entre sunnisme et chiisme. En réalité, les conflictualités internes sont largement liées aux tensions politiques et sociales ; et les conflits interétatiques ressortent le plus souvent de rivalités de puissances. Celles-ci instrumentalisent alors l’argumentaire confessionnel parmi d’autres éléments de mobilisation.

Au Moyen-Orient, deux grands États aux fondations islamiques revendiquées, le royaume d’Arabie saoudite et la République islamique d’Iran, sont en rivalité de puissance depuis 1979. L’argumentaire islamique y est particulièrement mobilisé, et les tensions et les conflits y sont largement confessionnalisés. Quant aux régimes sunnites, ils stigmatisent depuis 2004 un prétendu croissant chiite mené par Téhéran, qui saperait l’oumma, la communauté des croyants.

– Article J-P.BURDY : Entre stratégie et religion : la rivalité Arabie saoudite-Iran in: « Le réveil des religions » , Questions internationales no 95, janvier-avril 2019 , p.111-119


Les religions de plus en plus visibles partout dans le monde

Présentation du dossier par Claire Lesegretain dans La Croix, 08/03/2019

https://www.la-croix.com/Religion/religions-visibles-partout-monde-2019-03-08-1201007419

La revue « Questions internationales », de la Documentation française, publie un excellent dossier sur « Le réveils des religions », en s’interrogeant notamment sur « Le fait religieux, universel et multiple » et sur les « Grandes religions en mouvement ».

En Chine, aux États-Unis, en Inde, au Japon, eu Russie, en Afrique, en Amérique latine et bien sûr en Europe, les religions sont de plus en plus visibles dans l’espace public. « Elles sont sorties de situations stabilisées et relativement tranquilles pour entrer plus directement dans le tumulte du monde », écrit Serge Sur, fondateur (2003) et rédacteur en chef de la revue bimestrielle « Questions internationales » de la Documentation française, dont le dernier double numéro est consacré au réveil des religions.

Ce réveil, Pierre Morel, ancien ambassadeur de France en Russie, en Chine et près le Saint-Siège, le fait remonter aux années 1978-1980, en lien avec cinq événements majeurs quant à la résurgence du religieux dont il a été, en partie, le témoin direct. Tout d’abord, l’élection de Jean-Paul II (octobre 1978) qui a incontestablement représenté un « début de basculement » pour les dirigeants soviétiques. Ensuite, l’émergence d’une théocratie en Iran (janvier 1979), régime qui résiste depuis quarante ans à de nombreux assauts. Puis, la prise de la grande mosquée de La Mecque par des extrémistes (novembre 1979), a « fortement secoué la monarchie saoudienne et stimulé, par compensation, la propagation du wahhabisme ». La fin de l’année 1979 fut également marquée par l’entrée des forces soviétiques en Afghanistan et le déclenchement d’une guerre cruelle. Enfin, aux États-Unis, l’élection de Ronald Reagan (novembre 1980) va contribuer à « l’affirmation du mouvement évangélique ».

Dans une première partie de ce dossier, intitulée « Le fait religieux, universel et multiple », le sociologue des religions Jean-Paul Willaime, du Groupe sociétés, religions, laïcités (de l’École pratique des hautes études et du CNRS) approfondit les liens entre « Religions, États et droits de l’homme ». Aucune politique étrangère – même celle d’une république laïque comme la France – ne peut se passer de l’expertise sur les religions, rappelle-t-il en citant Laurent Fabius qui listait, en 2013, « près de 32 pays touchés par des conflits à dimension religieuse » – même si rares sont les cas où la religion est le facteur déterminant du conflit.

De même, Alain Dieckhoff, directeur du Centre de recherches internationales (Ceri) s’emploie à redéfinir les termes de « Nation, nationalisme et religion » en montrant comment la démocratisation a réduit l’impact de la religion (qui a joué un rôle certain dans l’émergence des consciences nationales) mais aussi combien le double processus actuel d’ethnicisation de la religion (par des nationalismes « organicistes ») et de réinvestissement du nationalisme (par des acteurs religieux) redonne une nouvelle vigueur à la religion un peu partout dans le monde. « En Israël, observe-t-il, le sionisme religieux, qui défend un nationalisme fermé à tout compromis territorial avec les Palestiniens, a ainsi gagné en influence au cours des vingt dernières années. »

On lira également avec intérêt les contributions de Philippe Portier, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, sur « Politique et religion : une relation recomposée », ou de la juriste Roseline Letteron, sur « Les modèles de laïcité en Europe » ou encore de l’économiste Philippe Simonnot sur « Religions et économie : la part bénite » – « la science économique est tout à fait capable d’analyser la religion avec ses propres outils », soutient-il.

Dans une seconde partie, intitulée « Grandes religions en mouvement », le chercheur en sciences politiques François Mabille, interroge « L’influence de la papauté », en s’attachant notamment aux figures diplomatiques pontificales de François, qu’il s’agisse de la figure du « médiateur » (à Cuba ou en Birmanie, notamment), ou celle du « médecin humanitaire » (à Lampedusa ou au Parlement européen) ou celle encore du « lanceur d’alerte protestataire » (à l’Unesco ou à l’OSCE où les prises de position du Saint-Siège se multiplient).

L’article de François Foret (Centre d’étude de la vie politique) sur « Les États européens et la sécularisation des religions », mérite aussi que l’on s’y attarde. Ainsi que ceux de Marc-Antoine Pérouse de Montclos (Institut de recherche pour le développement, IRD) sur « Djihad et takfirisme : des guerres entre musulmans », de Jean-Paul Burdy (Sciences-Po Grenoble) sur « La rivalité Arabie saoudite-Iran entre stratégie et religion » ou d’Isabelle Saint-Mézard (Paris 8) sur « L’Inde de Narendra Modi ou l’hindutva au pouvoir »…

Claire Lesegretain