Texte schématique de notre intervention aux 6e Journées internationales de Sciences Po Grenoble le 30/11/2018 (également en vidéo sur le site de l’IEP:https://gaming.youtube.com/watch?v=WNxGVPT3cDI)

Les tensions bilatérales récurrentes entre le Maroc et l’Iran (1979-2009-2018)

Maroc-Iran ? Lors du premier match du groupe B du Mondial à Saint-Pétersbourg mi-juin 2018, le Maroc a été battu par l’Iran 1-0 dans le temps additionnel (par un tir marocain contre son camp). Un match qui se jouait quelques semaines après la 3e rupture des relations diplomatiques Maroc-Iran depuis 1979…

> 1979 : « L’Imam Khomeiny, un hérétique» : la 1ère rupture des relations Maroc-Iran

La rupture de 1979. La révolution iranienne de 1979 a renversé le shah, allié du Maroc et ami de Hassan II. Celui-ci avait alors qualifié l’imam Khomeiny « d’hérétique». Quand le shah s’enfuit d’Iran en janvier 1979, via l’Egypte, il séjourne deux mois au Maroc. Hassan II rompt les relations diplomatiques avec Téhéran, ultérieurement rétablies. Depuis, les relations entre les deux pays sont chaotiques.

> 2009 : « Le Bahreïn , 14e province d’Iran », et la 2e rupture des relations Maroc-Iran

Au nom de l’histoire, depuis le départ des Britanniques du Golfe (Koweït 1961, autres émirats 1971) , certains Iraniens ont proclamé Bahreïn « 14e province d’Iran » avec un siège réservé au majlis (d’où tentative de coup d’Etat par un groupe révolutionnaire bahreïni contre l’émir Issa en 1981, piloté semble-t-il depuis l’Iran, mais qui sera éventée par un agent infiltré). Cette thématique ressurgit le 22 février 2009, quand sur Al-Jazeera, le mollah Ali Akbar Natiq Nouri obscur conseiller du Guide Ali Khamenei confirme que Bahreïn est bel et bien la « 14e province de l’Iran». D’où une énième crise diplomatique bilatérale, et les habituelles protestations de la quasi totalité des Etats arabes. On a beaucoup remarqué la virulente réaction marocaine, « à l’artillerie lourde » a-t-on pu lire. Rabat a immédiatement manifesté haut et fort son soutien au roi du Bahreïn, et rompt, le 7 mars 2009, ses relations diplomatiques avec l’Iran. A la surprise non feinte de Téhéran, qui ne s’attendait visiblement pas à être attaqué sur le dossier du Bahreïn par le roi du Maroc…

> Le prosélytisme chiite iranien au Maroc

La crise diplomatique de 2009 peut aussi être analysée sous l’angle, très peu connu, d’un prosélytisme chiite au Maroc, inspiré par l’ambassade d’Iran 1. Le mouvement ne concerne que quelques milliers de personnes, mais il remet en cause l’unité de l’islam autour de la dynastie alaouite et de la personne du roi, « Commandeur des croyants ». La rupture des relations diplomatiques avec Téhéran a donc été argumentée par les « ingérences iraniennes dans les affaires intérieures marocaines (…et…) l’activisme avéré des autorités de l’Iran, et notamment de sa représentation diplomatique à Rabat, visant à altérer les fondamentaux religieux du royaume et à tenter de menacer l’unicité du culte musulman et le rite malékite sunnite au Maroc» (le MAE Taïeb Fassi Fihri).

> 2018, 3e rupture diplomatique : Téhéran & le Hezbollah soutiennent-ils le Front Polisario ?

Les relations diplomatiques bilatérales sont rétablies discrètement en 2015, et dans le contexte de l’accord multilatéral sur le nucléaire iranien du 14 juillet 2015. Mais re-rompues dès le 1er mais 2018. Le 1er mai 2018, après un déplacement du MAE marocain Burita à Téhéran, le Maroc annonce rompre ses relations avec l’Iran, reprochant au Hezbollah, allié de Téhéran, d’accorder un soutien militaire (entraînement, armes) au Front Polisario par le truchement d’un diplomate iranien en Algérie. Et Téhéran est à nouveau accusé de mener une subversion prosélyte chiite au Maroc, en accordant des bourses à des jeunes Marocains de Belgique. la Ligue arabe se déclare dans la foulée solidaire du Maroc.

Ce serait l’arrestation avec l’aide de la CIA en mars 2017 à l’aéroport de Casablanca, d’un belgo-libanais Kassem Mohamed Tajeddine pour « blanchiment d’argent » , « la fratrie Tajeddine étant sous surveillance du Trésor américain depuis le début des années 2000 ». L’individu arrêté, tirant de gros bénéfices de l’exploitation forestière en RDC, et du commerce international d’autres matières premières en Afrique et au Moyen-Orient, était réputé être l’un des grands financiers du Hezbollah en Afrique. Comme tel il était recherché comme « terroriste international » par les services américains. Son arrestation aurait poussé le groupe chiite, soutenu par l’Iran, à se venger du royaume en renforçant ses liens avec le Front Polisario. On sait qu’une partie de la vieille diaspora libano-syrienne chiite en Afrique contribue depuis longtemps au financement du Hezbollah (par exemple pour la reconstruction de Beyrouth -Sud après la guerre de 2006.

On sait cependant que le Polisario n’a pas besoin pour exister d’un double soutien lointain de Téhéran ou du Hezbollah, qui ont depuis 2011-2012 d’autres priorités que le Sahara occidental. En fait, pour conforter ses relations avec Washington et le président Trump, Rabat a beaucoup insisté ces derniers temps sur l’activisme iranien et du Hezbollah en Afrique (activisme réel, comme celui de la Turquie associée au Qatar…) . Dans une interview accordée le 17 septembre au magazine américain d’extrême-droite pro-Trump Breitbart, le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita : «L’Iran veut utiliser son soutien au Polisario pour transformer le conflit régional, entre l’Algérie et le Polisario d’un côté et le Maroc de l’autre, en un moyen à même d’étendre son pouvoir en Afrique du nord et de l’ouest, particulièrement dans les États de la côte atlantique. Il ne s’agit là que d’une facette de l’offensive» que mène Téhéran en Afrique. » Et s’est félicité en octobre d’une résolution du Congrès américain soutenant le plan marocain d’autonomie du Sahara et condamnant « les actes de provocation» du Polisario et ses « soutiens étrangers, l’Iran et le Hezbollah. » Alors que le conseiller à la sécurité nationale Bolton, n’a jamais fait montre d’un franc soutien aux positions marocaines sur le Sahara, en soutenant au contraire la tenue d’un référendum d’auto-détermination.

On peut également estimer qu’en attaquant l’Iran, le Maroc donne des gages à l’Arabie saoudite et à Abou Dhabi. Alors que Rabat était initialement resté en dehors du conflit qui déchire le CCG depuis l’été 2016 en opposant Riyad Manama et Abou Dhabi à Doha. Les pays du Golfe ont été les seuls à exprimer publiquement leur soutien à Rabat. Riyad a « fermement condamné l’ingérence iranienne dans les affaires intérieures du Maroc via son instrument, la milice terroriste du Hezbollah, qui entraîne les éléments du soi-disant groupe Polisario en vue de déstabiliser la sécurité et la stabilité » du royaume chérifien. Les Emirats arabes unis et le Bahreïn (son MAE : « Nous soutenons le Maroc quand il le faut, comme il le fait, d’ailleurs, avec nous. ») ont fait de même. Quand à la monarchie qatarie, qui s’efforce de maintenir de bons rapports avec Téhéran, elle a prudemment rappelé «l’importance du respect des principes régissant les relations entre les Etats» ainsi que «la non ingérence dans leurs affaires intérieures». Pour compléter le syndicat des monarchies, la Jordanie est allée dans le même sens.

A l’inverse, l’Iran, le Hezbollah et l’Algérie ont conjointement dénoncé la volonté marocaine de « contourner la reprise des négociations politiques directes demandée par l’Onu pour le règlement du conflit du Sahara-Occidental, à travers un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui  (et) le nécessaire renouvellement du mandat de la MINURSO, Mission des Nations unies pour l’organisation du référendum au Sahara-Occidental » , actuellement freiné par Washington.

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1 cf. RIGOULET-ROZE David, La récente montée du chiisme dans le royaume chérifien marocain. chapitre 10 de : L’Iran pluriel. Regards géopolitiques, Paris, L’Harmattan, 2011, 431p., p.369-380