
La presse internationale a fait ses délices de « l’affaire de la traduction du discours de M.Morsi » au 16e sommet des Non-Alignés à Téhéran le 30 août dernier. Résumons les faits : alors que le président égyptien dénonçait vigoureusement les exactions du régime de Damas contre le peuple syrien, les traducteurs iraniens de l’arabe au persan ont systématiquement remplacé « Syrie » par « Bahreïn ». Peu auparavant, le discours du secrétaire général de l’ONU avait également fait l’objet d’un traitement assez particulier: Ban Ki-moon aurait ainsi souligné et loué « la pleine et entière coopération de l’Iran avec l’AIEA »…. Problème: il avait dit exactement le contraire. Décidément, à Téhéran, « traduire, c’est trahir »! …
Cette affaire, exemplaire de la manipulation de l’information et de la désinformation des régimes autoritaires ou dictatoriaux de la région, a évidemment provoqué quelques réactions diplomatiques. L’Egypte s’est ainsi émue de « la déformation des propos » tenus par son président. Mais Le Caire n’a pas trop lourdement insisté, estimant sans doute, et non sans raison, que l’essentiel était que le discours du président Morsi ait été bien compris par la centaine de délégations présentes dans la salle, et surtout par les 1600 journalistes exceptionnellement réunis pour le sommet -Téhéran ne délivrant habituellement plus depuis 2009 de visas aux journalistes qu’à dose homéopathique.
Plus vigoureusement, et sans surprise, le royaume du Bahreïn (représenté au sommet par son ministre des Affaires étrangères et par son chargé d’affaires à Téhéran, qui a récemment rejoint son poste après des mois de tension diplomatique bilatérale) a exigé des « excuses officielles » de la part de Téhéran. La presse bahreïnie (unanimement pro-régime, faut-il le rappeler?) a vu dans l’incident « une preuve supplémentaire des ingérences iraniennes dans les affaires du royaume » . C’est là une antienne permanente à Manama depuis le début de 2011, le régime et ses soutiens sunnites assimilant la contestation politique au Bahreïn à un « complot sectaire » (entendre : chiite) piloté depuis Téhéran, et mis en œuvre par des Bahreïnis manipulés et des terroristes formés à Téhéran, Bagdad et Beyrouth (le principal parti d’opposition chiite bahreïni, al-Wefaq, n’étant cité dans la presse du royaume que comme « le Hezbollah du Bahreïn »). On rappellera cependant que le rapport de la Commission internationale d’enquête sur le Bahreïn (BICI, dit « Rapport Bassiouni ») rendu public en novembre 2011, avait conclu à l’absence de preuves tangibles d’une implication iranienne dans les évènements du printemps 2011, au-delà de déclarations enflammées de soutien aux chiites bahreïnis par des organes de la presse iranienne arabophone (notre chronique du 23 décembre 2011).
Téhéran s’est rendu compte de la maladresse qu’a représenté cette « traduction/trahison » du discours du président Morsi. Le régime a donc fait constater que les traducteurs officiels du ministère des Affaires étrangères avaient bien traduit « Syrie » par « Syrie », et que « l’erreur de traduction alléguée » était le fait de traducteurs de presse, donc « non officiels ». Une ligne de défense qui n’est pas nouvelle : alors que les médias iraniens sont étroitement surveillés et contrôlés par la censure, et que leurs propos reflètent évidemment, nuances mises à part entre « conservateurs » et « ultra-conservateurs », la ligne officielle du régime, celui-ci se défausse sur les journalistes quand certains éditoriaux ou certaines « informations » mettent Téhéran en mauvaise posture vis-à-vis d’Etats étrangers. Le télescopage Syrie/Bahreïn en aura été une pittoresque et pitoyable illustration.