L’attaque de l’ambassade du Royaume-Uni à Téhéran le 29 novembre est l’occasion de s’intéresser à quelques plaques de rues de la capitale iranienne. On le sait peu, mais il est au moins un militant nord-irlandais dont le nom est bien connu en Iran. Et une paisible commune des Yvelines (France) dont tout Iranien vous détaillera les caractéristiques. Certes, si l’on consulte le site officiel du Foreign Office britannique, l’ambassade britannique serait installée « 198, Ferdowsi Avenue ». Mais n’importe quel taxi de Téhéran vous conduira en réalité « Bobby Sands Street ». Quant à l’ambassade de France voisine, elle est sise « Nofel-Lochato Street ». Explications…
Bobby Sands (1954-1981), martyr de la cause nord-irlandaise…

Bobby Sands sur un des plus célèbres « murals » de Belfast
Robert Gerard Sands, dit « Bobby » Sands (1954-1981) est devenu militant de l’IRA (Irish Republican Army) en 1972. Comme pour nombre d’autres militants catholiques nord-irlandais, sa vie militante va alterner manifestations de rues, actions clandestines et séjours en prison. En 1977, il est condamné à 14 ans de prison pour activités terroristes et complicité dans une fusillade avec la police d’Irlande du nord. Il purge sa peine à la prison de Maze, plus connue sous l’appellation de « Camp de Long Kesh ». Pour retrouver un statut de prisonniers politiques qu’un décret de 1976 avait supprimé, les militants de l’IRA et de l’INLA ( Irish National Liberation Army) se lancent dans une série d’actions très dures: refus de porter l’uniforme des détenus (« Blanket Protest »: ils restent nus sous leur couverture); refus de faire leur toilette (« No-Wash Protest »: ils couvrent les murs des cellules de leurs excréments). Et enfin, en désespoir de cause, grève de la faim (« Hunger Strike »). Sands commence la sienne le 1er mars 1981. Il mourra 66 jours plus tard, le 5 mai, comme 9 autres grévistes de l’IRA et de l’INLA. L’émotion sera immense en Irlande, et le retentissement international très grand. La « Dame de Fer », Margaret Thatcher, n’aura pas cédé. Son épitaphe devant la Chambre des Communes sera lapidaire: « Mr. Sands was a convicted criminal. He chose to take his own life. It was a choice that his organisation did not allow to many of its victims. ». Alors qu’il poursuivait sa grève de la faim, Bobby Sands avait été élu député républicain à la Chambre des Communes de Londres: élu le 9 avril, il ne siègera évidemment jamais.
… et héros anti-britannique commémoré en Iran (1981-2011)
Téhéran: le kebab « Babi Sandz » , reprenant le « mural » de Belfast.
Et un Irlandais de passage rue Bobby Sands…
Depuis leur mort, la mémoire de Bobby Sands et des autres grévistes de la faim est entretenue en Irlande par des fondations (dont le « Bobby Sands Trust »). Qui veillent, en particulier, à la conservation des grandes fresques murales qui ornent les pignons des maisons des quartiers catholiques d’Irlande du Nord -et qui font face aux « murals » du camp d’en face, sur les pignons protestants. Et, curieusement, on retrouve le nom et le portrait de Bobby Sabds en Iran. En 1981, quelques jours après sa mort, des étudiants téhéranais viennent apposer des affichettes à son nom autour de l’ambassade du Royaume-Uni, en particulier sur toutes les plaques de rues (1). Ce que la municipalité entérinera ultérieurement en remplaçant les affichettes par des plaques de rue en bonne et due forme. Depuis plus de trente ans donc, l’ambassade britannique est sise rue Bobby Sands. Les touristes irlandais de passage dans la capitale iranienne, à défaut de pouvoir y brandir quelque chope de bière, vont se faire photographier au pied des plaques, drapeau tricolore irlandais à l’appui. A proximité, un marchand de kebab porte l’enseigne de « Babiysandz », et arbore même une copie du célèbre « mural » de Belfast… Un certain nombre de blogs irlandais rapportent des témoignages de voyageurs en Iran qui s’étonnent que, déclinant à des Iraniens leur identité irlandaise, leurs interlocuteurs se mettent à leur parler de Bobby Sands.
Depuis 1981, les gouvernements britanniques successifs ont régulièrement protesté auprès de la République islamique de cette dénomination gênante de la rue de la chancellerie britannique. En vain. D’autant que, côté irlandais, les porteurs de la mémoire républicaine écrivent régulièrement aux dirigeants iraniens pour s’inquiéter que la dénomination de la rue Bobby Sands soit éventuellement remise en question. Pour le moment, ils ne risquent rien, tant la République islamique -et avant elle les régimes iraniens successifs depuis deux siècles- portent peu dans leur coeur le Royaume-Uni (cf. annexe ci-dessous).
1/ Nous ne savons pas quelle valeur accorder au témoignage d’un ancien étudiant iranien qui rapporte en 2008 cet épisode iranien de 1981 sur le site du Bobby Sands Trust: http://www.bobbysandstrust.com/archives/648