Il en va à Téhéran comme à Pékin ou à Damas. Quand, à plusieurs reprises dans la décennie 2000, des manifestants chinois se sont « spontanément réunis » pour lancer slogans et projectiles divers sur l’ambassade du Japon, devant des caméras de télévision convoquées la veille, il n’est venu à l’esprit de personne de douter que c’est le régime communiste qui « organisait la spontanéité » avec l’efficacité (et, en l’espèce, la retenue nécessaire) qu’on lui connaît. A preuve, sur un simple coup de sifflet ou un ordre bref énoncé avec autorité, on a vu les manifestants replier des banderoles soigneusement calligraphiées, tourner les talons, et quitter les lieux sans barguigner. Quand à Damas, en septembre dernier, des manifestants saccagent la chancellerie saoudienne, caillassent l’ambassade de France ou les consulats turcs, tout le monde comprend bien évidemment que ce sont là de « simples citoyens syriens en colère », pour reprendre l’aimable langue de bois de l’agence de presse officielle syrienne SANA, décidément digne héritière de l’ATA (Agence télégraphique albanaise !) au temps de feu « le grand dirigeant Enver Hoxha« .
Et donc quand, à Téhéran, le 29 novembre, des « étudiants en colère » (selon la terminologie officielle. Vu leur âge apparent, ils poursuivent sans doute des études longues…) envahissent la représentation diplomatique du Royaume-Uni en escaladant grilles et murs d’enceinte, s’y livrent à des déprédations qui touchent au symbolique (brûler l’Union Jack, fouler aux pieds le portrait de la reine, déménager les armoiries royales), et procèdent au saccage d’une partie des locaux tout en menaçant les personnels présents, nul ne doit douter non plus de l’organisation de leur « colère spontanée » par une des fractions du régime iranien. Qui connaît un peu les lieux (le quartier diplomatique: l’ambassade de Russie est de l’autre côté de la rue, l’ambassade de France un peu plus loin sur le même trottoir) sait que des forces de police sont stationnées en permanence et en nombre devant les grilles de la « rue Bobby Sands ». Leur passivité exemplaire le 29 novembre signe le crime de violation d’une enceinte diplomatique. Dans un pays où certes il y a un précédent fondateur (la prise d’otages de l’ambassade américaine, du 4 septembre 1979 au 20 janvier 1981), mais où il n’est de manifestations politiques qu’organisées par le régime, ou violemment réprimées dans tout autre cas.
Ceci posé, reste une question: pourquoi l’agence de presse officielle iranienne FARS a-t-elle jugé utile de diffuser sur son fil international cette image de Pulp Fiction de Quentin Tarantino ??? Pour le coup, nous avouons notre perplexité !
Actualisation janvier 2016: les questions évoquées ci-dessus se posent dans les mêmes termes lorsque, suite à l’exécution du sheikh chiite Nimr al-Nimr en Arabie saoudite, les locaux diplomatiques saoudiens à Téhéran sont attaqués et incendiés le 2 janvier 2016 (photo ci-dessous), et le consulat saoudien à Meched saccagé. Un procès ultérieur condamnera les « émeutiers » de Téhéran, sans que leur sociologie soit clairement explicitée.
