
Comme on pouvait le craindre dès le départ (Voir notre chronique du 3 juillet 2011), le « dialogue national » ouvert à Manama le 2 juillet, et clos à la veille du ramadan, n’a pas tenu ses promesses. Censé amorcer, par des réformes de démocratisation, un processus de réconciliation politique et sociale après des mois de tensions et de répression, il n’a débouché que sur ce que l’on pourrait qualifier de « mesurettes ». Bien loin donc des objectifs qui avaient été listés par l’opposition, et qui étaient d’ailleurs assez largement ceux que le prince-héritier Salman ben Hamad avait mis sur la table le 13 mars, à la veille d’une intervention saoudienne et d’un état d’urgence qui l’ont politiquement marginalisé…
ANALYSE
Comme on pouvait le craindre dès le départ (Voir notre chronique du 3 juillet 2011), le « dialogue national » ouvert à Manama le 2 juillet, et clos à la veille du ramadan, n’a pas tenu ses promesses. Censé amorcer, par des réformes de démocratisation, un processus de réconciliation politique et sociale après des mois de tensions et de répression, il n’a débouché que sur ce que l’on pourrait qualifier de « mesurettes ». Bien loin donc des objectifs qui avaient été listés par l’opposition, et qui étaient d’ailleurs assez largement ceux que le prince-héritier Salman ben Hamad avait mis sur la table le 13 mars, à la veille d’une intervention saoudienne et d’un état d’urgence qui l’ont politiquement marginalisé.
Un dialogue a priori mal engagé
On
s’en souvient, les partis d’opposition déclarés 1
réclamaient que l’on en revienne aux fondamentaux de la Charte
nationale d’action de 2001, qui ont été -une fois de
plus, serait-on tenté de dire- au centre des revendications de
la majorité des manifestants à partir du 14 février
2011 : une monarchie constitutionnelle, un gouvernement issu des
urnes (en particulier pour la désignation du premier
ministre), un équilibre et une indépendance des trois
pouvoirs, une juste représentation des composantes de la
population du royaume (sous-entendu une meilleure représentation
des chiites), une législation libérale pour la presse,
etc. Les partis d’opposition y avaient ajouté la libération
immédiate de tous les prisonniers politiques, comme condition
préalable pour la tenue d’un véritable dialogue de
réconciliation. On se souvient aussi que la composition du
« dialogue
national »
avait été très disputée, les partis
politiques d’opposition s’estimant –à juste titre
d’ailleurs- très largement sous-représentés,
voire noyés au milieu de représentants d’une myriade
d’associations ou de « personnalités »
(auto-proclamées souvent, ou désignées
ad hoc) de
la « société civile ». Le parti
chiite al-Wefaq, principale force d’opposition a ainsi longuement
hésité à participer, estimant que 5
représentants sur 300 personnes était tout à
fait insuffisant pour un parti ayant obtenu 63% des suffrages
exprimés et 45% des sièges de députés aux
législatives de 2010 : il s’était finalement
résolu à entrer dans le « dialogue
national », sous forte pression américaine selon
certains analystes.
Des « propositions » sans impact sur le fonctionnement du régime
2 juillet 2011: Khalifa al-Dhaharani préside la session inaugurale du « Dialogue national«
Premier problème de taille : il se disait que la présidence du dialogue pourrait être confiée au prince-héritier, ce qui aurait à la fois garanti un véritable engagement du régime dans le processus (et donc dans sa réussite potentielle), et envoyé un signal d’ouverture en direction des opposants. Or c’est Khalifa ben Ahmed al-Dhaharani qui est sorti du chapeau, figure de second plan, président de l’assemblée, mais notoirement proche du premier ministre et bête noire des opposants, Khalifa ben Salman al-Khalifa. Nombre de députés -et pas seulement d’opposition- lui reprochent de se comporter avec eux depuis 2002 comme un maître d’école autoritaire et sans projet face à une classe turbulente. Le signal était donc clair dès le départ: le prince-héritier a été écarté parce que figure d’ouverture, et al-Dhaharani apparaissait comme le prête-nom de celui qui ne veut pas, depuis des décennies, des réformes de démocratisation 2. Certains ont murmuré qu’en lieu et place du « dialogue national », on allait se retrouver à une session ordinaire supplémentaire de l’assemblée, mais en l’absence des députés d’opposition -soit qu’ils n’aient pas été invités, soit qu’ils boycottent, soit, plus trivialement, parce qu’ils sont sous les verrous en attendant leur comparution devant un tribunal militaire spécial…
Seconde limite : la nature des « propositions » ou « recommandations » qui sont ressorties des séances du dialogue, ont été présentées au roi, et ont reçu l’aval de celui-ci pour mise en œuvre –étant entendu que le « dialogue » n’était en rien décisionnaire. Ces « recommandations » ont été présentées par al-Dhaharani comme « des changements démocratiques radicaux ». Nous les gardons au conditionnel, en attendant de vérifier leur éventuelle mise en oeuvre :
1/ La présence des ministres serait requise devant les députés quand ceux-ci débattent de problèmes concernant le ressort de leur ministère ;
2/ Les députés pourraient interpeller les ministres pendant la session parlementaire (et non plus seulement dans des commissions parlementaires), et pourraient même leur poser des questions non inscrites préalablement à l’ordre du jour ;
3/ Le roi désignerait le premier ministre, lequel formerait ensuite son gouvernement (actuellement le roi désigne le premier ministre ET les ministres).
On en conviendra : il n’y a guère là de révolution constitutionnelle ou politique allant dans le sens d’une démocratisation effective du système institutionnel…
Troisième déception. Il a été, en revanche, refusé à l’issue des débats (et on peut garder là le présent de l’indicatif, la décision étant actée):
1/ d’accroître les pouvoirs législatifs de la chambre basse élue par rapport à la choura désignée par le roi (la chambre haute, qui peut mettre son veto aux lois votées par la chambre basse) ;
2/ de placer le Tribunal national d’audit sous l’égide du parlement (ce qui aurait affirmé son indépendance) ;
3/ de réviser le découpage des circonscriptions électorales (qui avantagent actuellement outrageusement la minorité sunnite de la population) ;
4/
de limiter la durée de mandat des ministres, et donc celle du premier ministre;
5/ de désigner le premier ministre au sein de la formation politique majoritaire à l’assemblée élue.
Les points 3 & 4 ont été rejetés, au motif qu’ils risquaient d’introduire un biais confessionnel systématique dans le fonctionnement politique. La critique ne manque pas de sel par rapport aux revendications du printemps, où les chiites (majoritaires) ont cherché à éviter l’écueil du confessionnalisme, que le régime a, de son côté, systématiquement mis en avant pour dénigrer l’opposition en la qualifiant de « sectaire ». Donc, au nom du refus (théoriquement légitime) du confessionnalisme, on refuse des mesures qui risqueraient d’aboutir à une meilleure représentation de la majorité de la population, et on maintient un statu quo de fait confessionnel, puisqu’il garantit la majorité politique automatique à la… minorité sunnite.
Et le gagnant est… le premier ministre en poste depuis 1971 !
2010: le premier ministre Khalifa ben Salman (à droite)
et le président de la Chambre al-Dhaharani (à gauche)
Le roi a (évidemment) accepté les « propositions » qui lui ont été transmises officiellement vendredi 29 juillet, et y a même ajouté une augmentation des salaires des fonctionnaires (presque tous sunnites), de la solde des membres des forces armées (tous sunnites), ainsi que des pensions des fonctionnaires retraités (idem). Son discours du 27 juillet a été encensé par les ministres, les corps constitués et le secrétariat permanent du Conseil de coopération du Golfe. Mais aussi, tout particulièrement, par… « son altesse royale le premier ministre », en poste depuis 1971, qui se félicite des résultats d’un « dialogue national consensuel » et « représentatif de la volonté populaire ». D’autant que ses propres pouvoirs s’en retrouveront encore renforcés, puisqu’il a désormais le loisir de choisir lui-même ses ministres. Quelques organes de presse bahreïnis que l’on ne peut supposer anti-monarchiques se sont d’ailleurs émus de la réduction des pouvoirs du monarque dans l’opération ! Car le premier ministre voit ses pouvoirs renforcés alors même que la réduction des pouvoirs du premier ministre, et plus encore le départ de l’actuel premier ministre, étaient parmi les principales revendications des manifestations du printemps.
Une opposition désabusée, et un clivage confessionnel persistant
22 juillet 2011: meeting du parti chiite Wefaq à Musalla « Pour les demandes nationales ». Les clercs et dirigeants devant, les femmes à droite, les hommes à gauche…
Compte tenu de la tournure prise par le dialogue, et visiblement cependant après des débats internes serrés, le parti al-Wefaq a décidé de se retirer du « dialogue national », au bout de quelques séances. Et d’organiser, chaque vendredi de juillet (donc pendant le « dialogue national »), un « Festival des demandes nationales », sous forme de rassemblements thématiques: on a ainsi eu un rassemblement « Pour des circonscriptions électorales plus justes ! » ; un « Pour un gouvernement élu ! » ; un « Pour l’indépendance de la justice ! », etc.
A quoi le Rassemblement de l’unité nationale » (Sunni National Unity Gathering, NUG), coalition des différents partis et groupes sunnites (al-Minbar, al-Asala, etc.) fondée le 20 février 2011, a répondu en organisant ses propres rassemblements de soutien à la légitimité du régime avec le roi à sa tête, et au « dialogue national » en cours 3.
Chiites d’un côté, sunnites de l’autre : à l’évidence, le « dialogue national » n’a même pas contribué à rapprocher les deux principales forces politico-confessionnelles du pays, alors même qu’elles partagent nombre de revendications communes… Sans parler des deux groupes de jeunes dits « du 14 février » (d’après la date de la première grande manifestation place de la Perle, appelée sur Facebook 4) qui, eux aussi, organisent parallèlement des rassemblements contestataires tous les vendredis.
Le Bahreïn est toujours aussi politisé, et toujours aussi divisé.
NOTES:
1 Depuis 2001, les « associations et sociétés politiques » (les « partis » ne sont pas autorisés en tant que tels) doivent se déclarer et être enregistrées. Ce qu’ont accepté une partie des forces politiques sunnites (al-Minbar, al-Asala, etc.), chiites (al-Wefaq, al-Waad, etc.) ou laïques, soutenant le régime ou d’opposition. Et ce qu’ont refusé d’autres forces politiques plus ou moins structurées, chiites (al-Haq, al-Wafaa, etc.) ou laïques (groupes de jeunes): pour autant, bien que non déclarées, ces dernières fonctionnent publiquement, mais l’épée de Damoclès de la répression pèse sur elles. La plus importante est le parti chiite d’opposition non déclaré Al-Haq (Al-Haq Movement for Liberties and Democracy / Harakat al-Haq li al-Hurriya wa al-Dimuqratiya)
2
Al-Dhaharani
avait eu son heure de gloire (relative) en 2010 en déclarant : « la
société bahreïnie n’est pas prête à
accueillir des femmes en politique »…
Au Bahreïn, les femmes se sont vu octroyer le droit de vote et
l’éligibilité en 2002, au grand dam de la majorité des partis islamistes
sunnites et chiites. C’est le premier pays du Golfe à avoir élu une
députée à la Chambre basse en 2006 (six femmes avaient été désignées en
2002 à la Chambre haute, non élue). A l’initiative de l’épouse de
l’émir, les femmes qataries ont obtenu le droit de vote, et de très
rares élues, en 1999: mais les seules élections organisées au Qatar tous
les quatre ans sont les municipales; il n’y a pas de consultation
électorale législative.
3 / Les lignes rouges du NUG sont le refus de l’hégémonie chiite que provoquerait la suppression de la chambre haute, ou la nomination d’un premier ministre chiite. Mais, par ailleurs, Le NUG soutient des revendications proches de celles formulées par les opposants du printemps sur la place de la Perle : libération des prisonniers politiques, lutte contre la corruption, libéralisation politique, lutte contre la prostitution et la consommation d’alcool, poursuites contre les responsables de la répression du mois de février. Le NUG est donc dans un entre-deux : soutenant les revendications de démocratisation, mais craignant un hégémonisme chiite, mais ouvert à la négociation. Le NUG pourrait être une pièce maîtresse pour le régime si celui-ci de décidait à de vraies réformes.
4 Les deux mouvements ne se sont pas véritablement dénommés, non plus qu’ils n’ont désigné de porte-parole ou de responsables officiels: The Youth of the 14 February Revolution (Shabab Thawra 14 Febrayer-http://byshr.org) & The Bahrain 14 February Peaceful Movement