L’état des droits humains et des libertés publiques ne n’est pas amélioré dans le Royaume de Bahreïn.  L’indice annuel des libertés (Human Freedom Index, ci-dessous) publié en janvier 2023 par l’Institut canadien Fraser classe ainsi Bahreïn au 141e rang mondial parmi les 165 pays analysés selon 83 critères (Etat de droit ; libertés publiques et privées, société civile, etc.)1. Si le pays est au 39e rang sur 165 en matière de libertés économiques, le classement en matière de libertés individuelles est de 159e sur 165. Les notes attribuées sont particulièrement faibles, voire nulles, en ce qui concerne les libertés des organisations religieuses, de la société civile, les libertés de réunion, d’expression et d’information.



C’est dans ce contexte que, organisation mondiale des parlements nationaux (179) et régionaux (14), l’Union interparlementaire (UIP, Inter-Parliamentary Union ou IPU, créée en 1889, avec son siège à Genève2) a tenu sa 146ème assemblée générale à Manama3, du 11 au 15 mars 2023, sous le mot d’ordre : « Promouvoir la coexistence pacifique et des sociétés inclusives: Combattre l’intolérance ». L’UIP a en charge, entre autres, la promotion des droits humains, et la préparation de la Convention des Nations Unies sur la cybercriminalité, qui devrait être adoptée en 2024.

Côté bahreïni, la présidence du Comité national d’organisation de la session de l’UIP a été déléguée à Jamal Fakhro, le premier vice-président du conseil de la Choura, lequel conseil est nommé par le roi4… Jamal Fakhro, important homme d’affaires (il est l’un des dirigeants de la firme anglo-néerlandaise d’audit et de conseil KPMG) et héritier d’une puissante dynastie marchande (fondée en 18885), siège à la Choura (installée par l’Emir Issa en 1992) depuis un quart de siècle, mais n’a jamais été élu.

La venue à Manama de l’UIP a provoqué l’émoi des organisations de défense des droits humains bahreïnies6. Mais elles ont aussi profité de l’occasion pour faire connaître leurs combats. Elles ont rappelé l’interdiction de tous les partis politiques d’opposition dans le royaume, un pouvoir législatif sous contrôle, et le sort des nombreux prisonniers politiques, dont plusieurs anciens parlementaires (dont le chef de l’opposition Sheikh Ali Salman, du parti dissous Al Wefaq7), de la prison de Jaw.

Les ONG internationales, de leur côté, ont été interdites de visas d’entrée, en particulier les représentants de l’organisation Human Rights Watch8, qui avait publié en octobre 2022 un copieux rapport sur Les lois d’isolement politique et civil9. A la veille de la session de l’UIP, une campagne d’arrestations a visé plusieurs militants s’exprimant sur les réseaux sociaux, au nom de « la lutte contre la cybercriminalité. 10» . Un ancien député du Wefaq, condamné à 9 ans d’emprisonnement a commencé à la prison de Jaw une grève de la faim coïncidant avec le début de la session de l’UIP11. L’accueil par Manama de cette session de l’UIP a donc été présentée par l’opposition bahreïnie comme « une tentative de blanchiment des violations des droits de l’homme » par le régime depuis 2011. Elle a souligné, en particulier, l’arrestation de députés, ensuite condamnés, emprisonnés ou déchus de leur nationalité 12. Le peu de crédibilité des élections législatives récentes (novembre 2022) a également été souligné.



22 organisations de défense des droits humains, ONG internationales, moyen-orientales ou bahreïnies, ont donc adressé une lettre ouverte aux participants à l’assemblée générale de l’UIP pour attirer leur attention sur la situation à Manama13. L’impact a été limité pendant la session de l’UIP. La sénatrice néerlandaise Petra Stienen a demandé au président de l’UIP, le Portugais Duarte Pacheco, d’exhorter Bahreïn à annuler sa décision de refuser des visas d’entrée aux représentants de Human Rights Watch14. Leprésident de la délégation parlementaire danoise, le député Søren Søndergaard (ci-dessous) , a pris la parole publiquement pour demander la libération de l’activiste des droits humains Abdul-Hadi Al-Khawaja, après s’être vu refuser un droit de visite à la prison de Jaw15. Deux autres députés danois, et un député norvégien, sont intervenus dans le même sens. Internationalement connu pour son courageux combat pacifiste pour les droits humains, Al-Khawaja a la double nationalité bahreïnie et danoise. Il a été condamné en juin 2011 à la réclusion à perpétuité pour « activités terroristes » et « espionnage au profit de l’Iran »16. L’UIP n’a pas repris publiquement cet appel du délégué danois.



NOTES

1 Fraser Institute, « 2022 Human Freedom Index », Vancouver, 2/01/2023. URL : https://www.fraserinstitute.org/studies/human-freedom-index-2022.

2 Cf. https://www.ipu.org/fr

3 Cf. https://www.ipu.org/fr/actualites/communiques-de-presse/2023-03/la-146e-assemblee-de-luip-aboutit-des-resultats-qui-feront-date-sur-la-coexistence-pacifique

4 « National Organizing Committee Chairman of IPU Session in Bahrain Never Been Elected in His Life: Jamal Fakhro, First Deputy Chairman of the Shura Council », bahrainmirror.com, 9/3/2023. URL: http://bahrainmirror.com/en/news/62464.html

5 Quelques éléments de présentation du Groupe Fakhro dans : https://en.wikipedia.org/wiki/Fakhro_Group

6 « Bahraini People’s Letter to IPU Members: Don’t Hammer Nails into Our Bodies », bahrainmirror.com , 12/3/2023. URL: http://bahrainmirror.com/en/news/62500.html & http://bahrainmirror.com/en/news/62471.html

7 Sheikh Ali Salman, ancien secrétaire général du parti chiite d’opposition al Wefaq (qui avait obtenu les deux tiers des suffrages aux législatives de 2010, et a été interdit en 2016), a été condamné à la réclusion à perpétuité pour avoir appelé en 2011, lors du « Printemps de la Perle » à une transition démocratique dans le pays, en même temps que des personnalités de l’opposition chiite, sunnite ou laïque, pour avoir soutenu des manifestations en faveur de la démocratie.

8 Cf. https://www.hrw.org/the-day-in-human-rights/2023/03/10

9 Human Rights Watch,« You Can’t Call Bahrain A Democracy. Bahrain’s Political Isolation Laws », New York, HRW, October 2022, 55p. URL : https://www.hrw.org/report/2022/10/31/you-cant-call-bahrain-democracy/bahrains-political-isolation-laws . Au cœur de la législation de l’État bahreïni contre l’activisme citoyen se trouvent ses lois d’isolement politique et civil (Isolation Laws) adoptées en 2018. Elles interdisent aux anciens membres des partis politiques d’opposition dissous non seulement de se présenter aux élections parlementaires ou locales, mais aussi de siéger aux conseils d’administration d’ONG ou d’associations.

10 « Old Habits Die Hard: Arrest Campaigns in Bahrain One Day Before IPU Session », bahrainmirror.com, 9/3/2023. URL: http://bahrainmirror.com/en/news/62471.html . & https://www.hrw.org/news/2023/03/14/bahrain-4-arrested-over-tweets

11 Cf. https://www.adhrb.org/2018/08/profiles-in-persecution-sheikh-hasan-isa/

12 « Inter-Parliamentary Union in Bahrain New Attempt to Whitewash Violations Says Former MP », bahrainmirror.com, 8/3/2023. URL : http://bahrainmirror.com/en/news/62450.html

13 Cf. https://www.hrw.org/news/2023/03/06/use-global-meeting-highlight-bahrains-abuses

14 Cf. http://www.bahrainmirror.com/en/news/62521.html

15 Cf. « Chairman of Danish Delegation to IPU Conference Demands Bahrain to Release Abdulhadi Al-Khawaja », bahrainmirror.com, 14/3/2023. URL: http://www.bahrainmirror.com/en/news/62517.html & http://www.bahrainmirror.com/en/news/62529.html

16 Cf. https://en.wikipedia.org/wiki/Abdulhadi_al-Khawaja . Al-Khawaja, né en 1961, avait été privé de son passeport bahreïni en 1979 pour activisme, alors qu’il était étudiant à Londres. Il avait obtenu l’asile politique au Danemark en 1991. Après l’amnistie de 1999 qui suit l’arrivée sur le trône du roi Hamad, il rentre au Bahreïn en 2001. En 2002, il est l’un des fondateurs et prend la direction du Centre bahreïni des droits de l’homme (Bahrain Center for Human Rights, BCHR). Il a, dès lors, été maintes fois arrêté (2004, 2005, 2007, 2010) et maltraité avant son arrestation et sa condamnation en mai et juin 2011 à la perpétuité. Il a mené plusieurs grèves de la faim pour protester contre les conditions de détention à la prison de Jaw, et les tortures auxquelles il est soumis en permanence. Le régime s’acharne visiblement sur ce prisonnier d’opinion non-violent. La libération d’Abdul-Hadi Al-Khawaja a été demandée par de multiples ONG avec une campagne internationale en cours (cf. https://twitter.com/FreeAlKhawaja ), par le Parlement européen dans une motion du 13/12/2022 (cf.https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/RC-9-2022-0558_EN.html ), etc.