L’agence de presse iranienne Fars a annoncé l’arrestation le 24 novembre 2022 du footballeur Voria Ghafouri. L’Autorité judiciaire l’accuse d’avoir «insulté et sali la réputation de l’équipe nationale (« تیم ملی فوتبال ایران, Tim-e melli-e footbāll-e Irān ») et de s’être livré à de la propagande» contre l’État. Il a été arrêté après une séance d’entraînement de son équipe Foolad, à Ahwaz, au Khouzistan (sud-ouest). Ghafouri avait été capitaine de l’Esteghlal, club téhéranais de Première division, l’un des plus réputés du pays, avant de devoir le quitter en juillet 2022 en raison de ses critiques répétées contre les autorités.

L’arrière-droit Voria Ghafouri (en kurde kurmanji: Wuria Xefûrî).

Âgé de 35 ans, il a joué successivement à Hamedan, puis à Tabriz, puis à Téhéran, toujours sous le dossard 21. Il a été sélectionné 28 fois dans l’équipe nationale depuis 2014, et a participé à la Coupe d’Asie des nations en 2015 puis 2019. Mais il n’a pas été sélectionné pour la Coupe du monde au Qatar, payant là ses prises de position pour les droits des femmes et les droits humains, bien avant le mouvement actuel.

En 2019, il avait été sérieusement pris à partie par les autorités, après avoir critiqué le ministre des Affaires étrangères du président « modéré » Rohani, « le très modéré et pro-occidental » Mohammed Javad Zarif , qui s’était plaint d’être sous pression permanente. Voria Ghafouri avait rétorqué  dans une interview et sur Instagram (730 000 abonnés) : « Monsieur Zarif, vous qui dites que vous êtes fier d’être sous pression à cause de la Palestine, du Liban, du Yémen et de la Syrie, sachez que ce n’est pas vous qui êtes sous pression. En réalité, ce sont les gens ordinaires qui sont sous pression. ». Ajoutant peu après : « C’est comme s’ils jetaient du sel sur la douleur et les blessures des gens ». Des déclarations perçues comme une critique de la politique étrangère de l’Iran, aggravée par une attaque publique des dirigeants, alors que le pays était soumis à la « pression maximale » du président Trump, et à des sanctions américaines écrasantes.

Compte tenu de la notoriété de Ghafouri, l’affaire était remontée jusqu’au Guide suprême, l’ayatollah Khamenei. Qui a alors déclaré: « Certaines personnes qui profitent de la sécurité du pays pour travailler et faire du sport devraient savoir que c’est ainsi que la sécurité est assurée ».Tout le monde avait compris qu’il réprimandait le footballeur, qui s’est vu convoqué par le ministre des Sports et de la Jeunesse. Celui-ci a sermonné Ghafouri, et publiquement intimé à tous les sportifs de cesser de commenter les affaires politiques. Les fans de Ghafouri ont alors multiplié les hashtags de soutien sur les réseaux sociaux, et se sont mis à scander son nom à la 21e minute des matchs, en référence à son dossard.

Ghafouri a également exprimé à plusieurs reprises son soutien au droit des femmes d’assister à des matchs de football en Iran – on sait que c’est un sujet de polémiques virulentes en Iran depuis des années, avant un assouplissement récent. En 2019, il avait distribué des maillots bleus en l’honneur de la « Blue Girl », Sahar Khodayari, une femme qui s’était immolée après sa condamnation à la prison pour avoir tenté de forcer l’entrée du stade Azadi, pour assister à un match d’Esteghal. A l’occasion d’un autre incident contre des femmes supportrices de football en 2021, Ghafouri avait écrit sur Instagram qu’il était humilié de jouer alors que « nos mères et nos sœurs n’ont pas le droit d’entrer dans les stades. »

En juin 2022, alors que les dirigeants d’Esteghal venaient de refuser de renouveler le contrat de Ghafouri pour la saison suivante, le ministre iranien des Routes et du Développement urbain, Rostam Ghasemi, a menacé Ghafouri , l’accusant d’être un séparatiste kurde, pour avoir tweeté le mot « Kurdistan » à deux reprises. Car Voria Ghafouri est originaire de Sanandaj, la capitale de la province du Kurdistan iranien. Il venait de poster sur son compte Instagram une photo de lui en habit traditionnel kurde. Or on sait que Mahsa Jina Amini était native de Saqqez, au Kurdistan, et que les provinces kurdes se sont très vite enflammées après sa mort, avec Sanadaj comme épicentre de la révolte. C’est dans ces provinces que les manifestations ont rassemblée le plus grand nombre de participantes et participants, avant d’être les plus violemment réprimées. La dimension ethnique d’une partie du soulèvement contre le régime, et de la violence extrême de la répression, est de plus en plus évidente, comme au Baloutchistan, autre région périphérique et sunnite du pays.

Ces derniers jours, Ghafouri avait appelé sur les réseaux sociaux à la fin de la violence de l’État contre les Kurdes. Sa photo en tenue kurde traditionnelle a peut-être été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et amené à son arrestation.

Voria Ghafouri, sous le maillot de l’Esteghlal Téhéran. Et en tenue kurde, il y a quelques jours

Le buteur Sardar Azmoun

Dans Le Monde du 25 novembre 2022, on lira également le portrait d’un autre footballeur iranien (et Turkmène, né au Golestan), militant notoire des droits des femmes, le buteur Sardar Azmoun ( سردار آزمون), né en 1995, présent au Qatar. Azmoun a commencé sa carrière en Russie, d’abord au FK Kazan, puis au FK Rostov, avant de rejoindre le prestigieux Zenit Saint-Petersbourg, puis de signer au Bayer Leverkusen. L’envoyé spécial du quotidien à Doha, Anthony Hernandez, resitue l’attaquant dans une équipe nationale iranienne (la « Team-e Mellî ») où cohabitent parfois difficilement critiques ou opposants au régime, et soutiens inconditionnels au Guide suprême – ce qui est aussi vrai chez les supporters et supportrices, notoirement infiltrés par des bassidj.

Depuis le début du mouvement déclenché par la mort de Mahsa Jina Amini en septembre, Azmoun a répété son soutien aux manifestations des femmes, et dénoncé la violence de la répression. Des prises de position qui l’ont placé dans le collimateur des autorités, et ont failli annuler sa sélection pour le Mondial au Qatar. Fin septembre, Azmoun avait écrit sur son compte Instagram (5 millions d’abonnés) : « La [punition] ultime est d’être expulsé de l’équipe nationale, ce qui est un petit prix à payer pour même une seule mèche de cheveux d’une femme iranienne […] Ça ne sera jamais effacé de notre conscience. Je n’ai pas peur d’être évincé. Honte à vous d’avoir si facilement tué le peuple et vivent les femmes d’Iran. Si ces assassins sont des musulmans, que Dieu fasse de moi un infidèle »…

Sardar Azmoun en 2019 et 2020, jouant alors au Zenit Saint-Petersbourg, sponsorisé par Gazprom….

Le sport est évidemment aussi politique. Et des joueurs peuvent s’engager publiquement, sans se dissimuler derrière les piètres arguments de la FIFA à propos du Mondial au Qatar…

Les sources

Sources : revues de la presse iranienne et internationale, dépêches d’agences, réseaux sociaux (Twitter, Telegram).

  • Les fiches wikipedia de Voria Ghafouri (en persan : وریا غفوری ; en kurde romanisé : Wirya Ghefûrî; en kurmanji: Wuria Xefûrî) et de Sardar Azmoun  (سردار آزمون) (consultées le 25/11/2022):

– https://en.wikipedia.org/wiki/Voria_Ghafouri

– https://fr.wikipedia.org/wiki/Sardar_Azmoun

– https://fr.wikipedia.org/wiki/Esteghlal_Football_Club

  • On pourra creuser la question de la relation sport-politique en Iran (y compris la question aussi brûlante que récurrente de la participation des sportifs iraniens à des compétitions qui les amèneraient à devoir affronter des sportifs israéliens) dans l’article de : PARSY Maneli, « Quarante ans de rapports de force entre les « sports » et la « République islamique », in : AYATI Ata, RIGOULET-ROZE David (dir.), La République islamique d’Iran en crise systémique : Quatre décennies de tourments, L’Harmattan, coll. L’Iran en transition, juillet 2022, 334p., p.255-273

Hashtags sur les réseaux sociaux iraniens: #Voria_Ghafouri & #Mahsa_Amini

« Futbolîstê navdarê Kurd Wurya Xefûrî hat girtin / Le célèbre footballeur Wurya Xefûrî a été arrêté »

(Agence de presse kurde Rûdaw, basée à Erbil, Kurdistan d’Irak, 1/12/2022)