AYATI Ata, RIGOULET-ROZE David (dir.), La République islamique d’Iran en crise systémique. Quatre décennies de tourments, L’Harmattan, coll. L’Iran en transition, juillet 2022, 334p.
* Les 15 contributrices et contributeurs : Shervin Ahmadi, Ardavan Amir-Aslani, Alexandre Austin, Ata Ayati, Didier Chaudet, Hassan Ferechtian, Zahra Jahan-Bakhsh, Farhad Khosrokhavar, Morgan Lotz, Mohsen Mottaghi, Maneli Parsy, Jonathan Piron, Bamchade Pourvali, David Rigoulet-Roze, Sébastien Wesser.
* Lire l’introduction de D.Rigoulet-Roze : https://www.amazon.fr/dp/2140283120?


« La République islamique d’Iran en crise systémique »… Au regard de l’actualité de la révolte qui ébranle le régime iranien depuis le 16 septembre, l’ouvrage coordonné par l’historien Ata Ayati (qui dirige la collection « L’Iran en transition » chez L’Harmattan) et le géopolitologue David Rigoulet-Roze ( rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques) ne pouvait trouver meilleur titre. Rédigé au début de l’année 2022, il ne pouvait bien évidemment pas anticiper la période et les causes immédiates du déclenchement de cette révolte. Mais l’approche pluridisciplinaire (histoire, science politique, sociologie, géopolitique, etc.) et sous de multiples angles (politique intérieure et politique régionale et internationale ; situation sociale et évolutions sociétales ; état de l’économie, etc.) de cet ouvrage permet de comprendre, au-delà de l’événement conjoncturel, et les racines profondes, et le sens du soulèvement de l’automne 2022.
« Quatre décennies de tourments » : Le sous-titre de l’ouvrage est aussi d’une grande pertinence. Il rappelle que ce pays vit depuis la révolution et la proclamation de la République islamique dans la tension permanente : autour du fonctionnement opaque d’un régime associant religieux (le velayat-e faqih, le Guide suprême, les conseils, l’idéologie chiite) et miliciens idéologiques (le Corps des Gardiens de la révolution, les pasdaran) ; autour de répressions récurrentes (des oppositions armées, des revendications démocratiques, économiques et sociales, des groupes ethnico-confessionnels périphériques, etc.) ; autour d’une économie en crise profonde (la paupérisation réelle résultant des effets cumulés des sanctions internationales et de la corruption et de la gabegie systémiques) ; un environnement dans un état de dégradation terrible (dû autant aux choix de « développement » mis en œuvre par le régime qu’au changement climatique global) ; autour d’une politique régionale interventionniste (menée sur le terrain par la Force Al-Qods des Gardiens), et d’une politique internationale en rupture (marquée par l’anti-américanisme idéologique et l’anti-occidentalisme, et un programme nucléaire longtemps dissimulé, et non assumé dans sa finalité militaire).
Dès lors, ce pays (plus précisément: ce régime) apparaît largement acculé dans une impasse multiforme : politique, car le régime n’est clairement pas réformable ; économique, car les choix imposés (les sanctions) ou assumés (la corruption, le « regard vers l’Est » – la Chine et la Russie) ne sont pas près de sortir l’Iran de la crise ; sociétale, par le décalage croissant entre l‘accaparement de tous les pouvoirs par les « barbes blanches » (celles des religieux comme celles des pasdaran), et une jeunesse éduquée, diplômée et ouverte au monde par internet et les réseaux sociaux – la crise actuelle en est une illustration spectaculaire ; stratégique, avec un blocage des négociations sur le nucléaire qui amène à prévoir la fin officielle de l’accord de Vienne de 2015.
Alors que les ultra-conservateurs monopolisent depuis 2021 la totalité des pouvoirs et des institutions politiques, les perspectives sont donc sombres pour la majorité des Iraniennes et Iraniens (la crise économique, la répression des revendications sociétales et sociales), et inquiétantes pour l’environnement régional et international (la course à la nucléarisation militaire, et aux armements balistiques). D’autant que, comme le souligne l’introduction, le risque d’une prise de contrôle encore accru du pouvoir par les pasdaran n’est pas à exclure, par exemple à l’occasion de la disparition (déjà maintes fois annoncée…) du Guide Ali Khameneï. Et il est évident que ce ne sont pas les Gardiens qui, en l’état, pourront mener la réforme fondamentale du « système » (nizâm), surtout s’ils entendent s’appuyer plus encore sur leurs « alliés stratégiques » à Moscou et Pékin…
L’historien que nous sommes soulignera l’intérêt historique du dossier préparé par Ata Ayati, et qui clôt l’ouvrage. L’auteur y présente cinq documents sélectionnés dans les Archives diplomatiques du Quai d’Orsay, et qui éclairent la manière dont les tensions politiques et les acteurs de la révolution de 1978-1979 étaient perçus et analysés par les diplomates français ou européens (du Conseil de l’Europe). On est alors encore dans une période de recompositions violentes, et le destin politique de l’Iran n’est pas encore fixé, les tenants à Qom du velayat-e faqih autour de « l’Imam Khomeyni » (une dépêche souligne l’attribution publique pour la première fois de ce titre à l’ayatollah-réfugié de Neauphle-le-Château) ne l’ayant pas encore totalement emporté en écrasant leurs opposants dans le sang des tribunaux révolutionnaires et autres komiteh… Mais un « Rapport provisoire sur la situation en Iran » présenté le 14 septembre 1979 devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe anticipe avec détails et lucidité la confiscation en cours de la révolution par les religieux radicaux.
Un regret formel peut-être : même si Rigoulet-Roze a rédigé une introduction générale, les contributions auraient sans doute gagné à être regroupées en quelques chapitres (International, Economie et Société, Culture) introduits par un chapeau de présentation, qui en aurait facilité l’approche au lecteur.
