28 mai 2021: manifestation de femmes pour l’emploi et le logement, Salalah (Dhofar)


Le tawazun, un programme de rééquilibrage des comptes publics.

Arrivé sur le trône le 11 janvier 2020, après les cinquante ans de règne du sultan Qabous (1970-2020), le sultan Haïtham ben Tariq al-Saïd a engagé un programme pluriannuel d’équilibre budgétaire 2020-2024 (le « tawazun », ou « durabilité »)   visant à augmenter les recettes publiques ; à accroître l’efficacité des dépenses publiques ; à réduire les déficits et l’endettement. Comme dans d’autres Etats du Golfe (en particulier Bahreïn), le tawazun s’est traduit par des mesures impopulaires: réduction des subventions aux produits de base (essence, électricité) ; introduction de taxes (eau, déchets)  et, en avril 2021, d’une TVA de 5 %1 . Mascate a également prévu d’introduire en 2023 un impôt sur le revenu des personnes physiques, à hauteur de 5 à 9 % des hauts revenus2: ce serait une première dans la région, observée avec intérêt dans les autres Etats du Golfe. Au titre des mesures d’économies, certains programmes de développement ont été étalés dans le temps, par exemple à Duqm, sur la côte sud, le grand projet portuaire, industriel et logistique du sultanat, qui entend concurrencer les terminaux portuaires et des zones franches des Emirats arabes unis.

Certains choix interpellent les observateurs. Oman consacre ainsi environ un quart de son budget aux dépenses militaires – le troisième taux le plus élevé au monde : ce secteur absorbe plus de 10 % du PIB.   À l’instar d’autres États du Golfe, Oman a transféré une partie de sa dette à des entités publiques ou parapubliques, l’endettement n’étant dès lors réduit que par un jeu d’écritures. Alors que le sultan Qabous avait imposé des mesures rigoureuses de protection de l’environnement (dans le Golfe, premier Office de protection de l’environnement en 1974, premier ministère de l’Environnement en 1984), la disparition du ministère de l’Environnement et des affaires climatiques au profit d’une Autorité de l’environnement non présente au conseil des ministres fait craindre un moindre engagement environnemental des politiques publiques, au profit du développement économique à tout prix : tourisme de masse, moindres contraintes architecturales pour les constructions, moindres contrôle des sources de pollution, réduction des surfaces des zones protégées, moindre conditionnalité écologique lors des créations d’entreprises.


Les principaux rassemblements de protestation en mai 2021

« Où sont le pétrole et le gaz ? » 10 ans après celles de 2011, de nouvelles manifestations pour l’emploi et la justice sociale

Un assainissement trop rapide des finances publiques pesant sur les ménages fait cependant courir le risque de tensions sociales. Exactement dix ans après celles du printemps 2011, des manifestations se sont déroulées en mai et juin 2021 dans les grandes villes du pays – principalement dans le port de Sohar (nord) traditionnellement remuant ; et à Salalah au Dhofar (sud-ouest). Si le chômage des jeunes était au centre des protestations3, d’autres exigences ont été formulées : le retrait des taxes récemment introduites, la lutte contre la corruption, la justice sociale, de vrais pouvoirs pour le majlis al-shura, le traitement impartial et égal de tous les citoyens, etc. Encadrées par d’importantes forces de police, ces manifestations se sont déroulées sans heurts importants.

Confronté à des revendications qui étaient déjà celles de 2011, le gouvernement leur a donné en 2021 les mêmes réponses, au détriment de la rigueur prévue par le tawazun. Il a ainsi annoncé la création de 32 000 nouveaux emplois dans le secteur public, au rythme de 1000 par mois (en 2011, le sultan Qabous en avait promis 50000). L’armée a immédiatement ouvert des bureaux de recrutement pour répondre à cette demande. En avril 2022, plus de 17000 personnes ont postulé aux 2216 emplois proposés par le ministère du Travail. Une partie des subventions aux services publics qui avaient été supprimées ou réduites ont été rétablies pour les Omanais, pour compenser l’impact de l’entrée en vigueur de la TVA – dont sont d’ailleurs exemptés « 488 produits alimentaires et services essentiels ». Alors que le tarif du kilowatt-heure n’avait pas bougé depuis 1987, la suppression progressive des subventions à l’électricité résidentielle d’ici 2025 a été ajournée sine die.

Le seul levier disponible consiste dès lors à essayer réduire la part de la population immigrée. A Oman, elle représente 40 % de la population totale (1,8M sur 5,2M), mais 60% de la main d’œuvre. Les mesures de restriction du nombre de travailleurs étrangers dans 87 activités du secteur privé, annoncées en janvier 2021, ont été mises en œuvre, facilitées par les conséquences de la paralysie du pays pendant la pandémie. Ces mesures ont entraîné le départ de 218000 étrangers dans l’année – dont certains ressortaient d’ailleurs des services publics. Dans le contexte du covid-19, les travailleurs immigrés en situation irrégulière ont été autorisés à quitter librement le pays. Mais « l’omanisation des emplois », annoncée et revéndiquée depuis des années, n’est pas facile. Le secteur public, déjà hypertrophié, est toujours très recherché par les jeunes Omanais, qui sont réticents à s’embaucher dans le secteur privé, où les salaires et les conditions de travail sont comparativement peu attractifs – surtout dans les emplois agricoles ou industriels occupés par des immigrés. De leur côté, les employeurs sont peu enclins à embaucher des nationaux aux exigences élevées.


Manifestation à Sohar, 25 mai 2021

Une embellie économique et budgétaire paraît cependant s’esquisser au début 2022, avec la réouverture du pays après la pandémie (qui permet le retour des touristes) ; et surtout avec le doublement du prix du baril, de 50 dollars à la mi-2021 à plus de 100 dollars au printemps 2022. Cette augmentation relance la question de la capacité d’Oman à se libérer du cercle vicieux de la dépendance aux hydrocarbures (qui représentent encore plus de 70 % des revenus de l’État), alors que le gouvernement entend développer les énergies renouvelables (valorisation de l’énergie solaire, de l’éolien, isolation des bâtiments, etc.). Paradoxalement, une augmentation des revenus pétroliers pourrait inciter le sultanat à revenir à ses anciennes habitudes, ralentissant ainsi les progrès de l’économie non pétrolière, alors que les réserves de brut devraient être épuisées au milieu du siècle.

Le cas omanais confirme que, confrontés à une résistance sociale et à la demande d’une plus grande représentation politique, certains Etats du CCG ne disposent que d’une marge de manœuvre limitée pour réformer des contrats sociaux fondés sur la rente pétrolière. Il est difficile de remettre en cause un Etat-providence paternaliste et clientéliste traditionnellement pourvoyeur d’emplois publics.


NOTES

1 Cette TVA a généré en un an 13,5 % des revenus totaux non pétroliers.

2 En l’état, le projet ne concernerait que les hauts revenus nets supérieurs à 100 000 US dollars pour les étrangers, et à 1 000 000 US$ pour les Omanais. Mais le sultanat ne doit pas non plus décourager les investissements étrangers. En 2021, Oman a lancé un programme de résidence des investisseurs, grâce auquel les étrangers fortunés peuvent obtenir une résidence à long terme : 200 expatriés ont ainsi obtenu la nationalité omanaise, un privilège très rarement accordé auparavant.

3 20 % (selon les statistiques officielles) à 40 % (selon la Banque mondiale) des jeunes Omanais sont au chômage en raison de l’inadéquation entre les formations et les diplômes et le marché du travail.