Paru en Turquie en 2015 sous le titre « Yüz Yıllık Ah ! Toplumsal Hafızanın Izinde. 1915 Diyarbekir [Cent ansde malédiction ! Sur les traces de la mémoire sociale. Diyarbakir 1915] 1», l’ouvrage d’ Adnan ÇELIK et Namık Kemal DINÇ est publié en français en 2021 sous le titre : «La Malédiction. Le génocide des Arméniens dans la mémoire des Kurdes de Diyarbekir2» aux éditions L’Harmattan, dans une traduction d’Ali Terzioğlu et Jocelyne Burkmann, avec une solide préface (et des annotations) d’Etienne Copeaux, accessible sur son blog en ligne 3. L’ouvrage en turc a fait l’objet d’une recension exhaustive par Duygu Taşalp, post-doctorante à l’INALCO, dans la Revue d’Études Arméniennes Contemporaines, en 2016 4; et sa version française d’une lecture par Ariane Bonzon, sur slate.fr 5.

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Le génocide des Arméniens de l’Empire ottoman vient d’être officiellement reconnu par le président américain Joe Biden (avec effet à la date symbolique du 24 avril 2021, anniversaire de l’arrestation des notables arméniens de Constantinople, en 1915). Une décision entraînant évidemment les protestations du président turc, au nom d’un négationisme étatique et sociétal agressif 6, qui participe largement à « l’état de violence qui gangrène la Turquie depuis plus d’un siècle.7» (E.Copeaux).
Du côté des Kurdes, un siècle après le crime contre l’humanité, la mémoire collective du génocide brise parfois le tabou du silence et du déni, et brave les mensonges de l’histoire officielle de l’État turc, écrite au début des années 1930, dans la période kémaliste donc8. Les auteurs évoquent, en s’appuyant sur Michel Foucault, une « contre-mémoire » kurde. Les archives écrites ottomanes jeunes-turques étant difficiles d’accès en Turquie, soit détruites, soit inaccessibles, soit caviardées ou falsifiées dans certaines publications, la construction de sources orales permet, pour partie, de pallier les interdits et les lacunes – beaucoup d’historien.ne.s y ont eu recours depuis quelques décennies. C’est ce à quoi se sont attelés les deux auteurs : Adnan Çelik, historien et anthropologue (il a soutenu une thèse sur les conflits kurdes en Turquie9), et Namık Kemal Dinç, qui travaille à l’histoire orale des conflits contemporains (dans les camps de réfugiés en Turquie, il a récemment travaillé sur la persécution des Yézidis irakiens par l’État islamique). Ils ont recueilli, dans des conditions évidemment délicates (surveillance de l’État et des communautés, méfiance du milieu enquêté, poids du déni, etc.) au début de la décennie 2010, avec une équipe d’enquêteurs, une soixantaine de témoignages kurdes (en langues kurmanci et zaza principalement) dans la région de Diyarbakır, une ville parfois qualifiée de « capitale des Kurdes de Turquie ».
L’analyse thématique de ces témoignages documente plusieurs réalités. La déportation et le génocide des Arméniens ont été perpétrés au vu et au su de la population anatolienne turque et kurde (au sein de laquelle vivaient les Arméniens, les assyro-chaldéens, les alévis, les Turkmènes et autres minorités ethniques et religieuses), avec la contribution active d’une partie des Kurdes. La mémoire longue du crime, qui a été constituée par les quelques récits des grands-parents et des parents, mais aussi par son inscription dans l’espace (toponymes, lieux, bâtiments en ruines, etc.) hante les populations locales. Au prix de ce que l’un des interviewés nomme « la malédiction » qui pèse sur les petits-enfants ou arrière-petits-enfants des acteurs du crime, et qui donne son titre à l’ouvrage10.
Tout le monde savait….
Le premier chapitre est un cadrage historique national – c’est la guerre qui a permis le génocide, et régional, avec le rôle actif du préfet de Diyarbakır, le docteur Mehmet Reşit, dans la mise en œuvre des ordres de déportation des Arméniens, le vocable tehcir (déportation) dissimulant à peine, dès le début, la volonté exterminatrice, celle du génocide, soykırım ». On retrouve Mehmet Reşit dans un chapitre ultérieur, comme acteur de l’organisation du génocide, ce qui lui vaudra d’être parfois surnommé « le boucher de Diyarbakır.11»
Le second chapitre évoque la mémoire de la cohabitation des Arméniens et des Kurdes avant 1915, qui oscille entre les nécessaires relations de voisinage, une certaine convivialité du « vivre-ensemble. », plus ou moins établies de manière informelle par la coutume du kirvelik, qualifiée « d’institution sociale. » : une forme de parrainage de l’enfant kurde par un voisin arménien, et de protection de l’Arménien par son kirve kurde. Laquelle a pu, très exceptionnellement, expliquer des gestes de solidarité de voisinage au moment des expulsions, des arrestations et des premiers massacres (prévenir les voisins, éventuellement cacher un adulte, ou un enfant). Comme dans tout processus mémoriel, le passé tend évidemment à être embelli, et les tensions et conflits inter-communautaires (sociaux, confessionnels, politiques) sont omis, ou atténués.
Les chapitres 3, « Déni ou aveu. Dire 1915 en kurde » et 6, « Quand la mémoire prévaut sur l’histoire », soulignent que la mémoire perdure sur le temps long, puisque « tout le monde savait. » (E.Copeaux). Elle va à l’encontre de l’histoire négationniste officielle, écrite dans l’entre-deux-guerres et toujours imposée dans le système scolaire. La majorité des Kurdes entretenant historiquement une relation conflictuelle à un Etat central turc et turquiste agressif, on comprend que la mémoire kurde du massacre des Arméniens fait, dans une certaine mesure, écho aux difficultés rencontrées par les Kurdes, jusqu’à être eux-mêmes victimes de massacres au milieu des années 1920 (révolte de sheikh Saïd), puis une décennie plus tard (révolte de Dersim) ; puis des épisodes successifs de la « sale guerre » de ces dernières décennies. Les Kurdes ont donc été acteurs du massacre de leurs voisins, mais leur propre histoire favorise la résurgence de la mémoire sociale collective et enfouie du génocide – « firxûn », en kurde12. Et certains témoins, à défaut d’avoir reconnu une contribution personnelle au crime, disent les affres qui les ont tenaillés, parfois à l’extrême-fin de leur vie, à l’heure de peut-être devoir rendre des comptes. Dans sa préface, Etienne Copeaux relève que «la présence impalpable mais réelle des Arméniens influe toujours sur la vie des gens qui habitent dans les environs et lieux de souvenirs. Le génocide fait partie de leur vie.»
Les témoignages sont ensuite approchés de manière thématique. Ils traitent des événements survenus à Diyarbakır en 1915, et des différents acteurs du génocide. Les notables urbains et les notables ruraux ont été des relais efficaces, et économiquement intéressés, à la disparition des Arméniens et à la disponibilité soudaine de leurs biens. Les miliciens kurdes, les bejik (souvent des tueurs stipendiés de circonstance) 13, doivent être distingués des troupes irrégulières hamidiyye, auxiliaires de l’armée ottomane encadrées par des officiers, des gendarmes (qui encadrent les convois des hommes déportés) et des commandos de l’Organisation spéciale envoyés par les Jeunes-Turcs. L’argument confessionnel a également été instrumentalisé, pour mobiliser les musulmans contre les « gâvur / giaour », les « infidèles », désignés par ailleurs comme « ennemis de l’intérieur. » et agents de la menace russe14. La religion a donc pu jouer, dans une certaine mesure, une « fonction légitimatrice » du crime.
Les lieux du crime…

Traitant des « Lieux de mémoire », le chapitre 8 est particulièrement fort, quand témoins et auteurs de l’enquête se retrouvent sur les lieux du crime : gouffre dans lequel les victimes ont été précipitées (l’image du gouffre de Düden, qui illustre la couverture du livre, est saisissante) ; rivière qui a charrié les cadavres ; lieux au milieu de nulle part, mais qui portent encore une appellation sans ambiguïté. Et évidemment les bâtiments, abandonnés en ruines (églises ou bâtiments confessionnels), ou maisons individuelles immédiatement réinvesties lors de la disparition de leurs propriétaires arméniens, ce dont les propriétaires actuels sont parfaitement conscients.
« L’or des Arméniens »…
Le onzième chapitre pose la question du devenir « des biens arméniens abandonnés » par les Arméniens. Un dossier particulièrement sensible, ce qui explique que les archives officielles sont, pour le coup, totalement inaccessibles. L’État a été l’acteur principal de la spoliation, en la gérant bureaucratiquement – et donc en produisant pour cela de nombreux documents écrits. Dans le monde urbain et dans le monde rural, le rôle des aghas et des beys kurdes, notables de village et autorités tribales et/ou religieuses, a été important. Comme relais des ordres préfectoraux, mais aussi parce qu’ils sont économiquement directement intéressés à la récupération des biens des Arméniens, bijoux et liquidités, maisons et surtout terres agricoles. Cet accaparement possible a été l’un des arguments de l’État central pour inciter les Kurdes à éliminer les Arméniens. Et les propriétaires actuels sont toujours inquiets qu’une demande de restitution émerge un jour ou l’autre – ce qui contribue à conforter un négationnisme économiquement intéressé à ce qu’une telle possibilité de restitution/indemnisation ne puisse pas surgir. On rencontre là la dimension régionale et rurale de la spoliation des bien arméniens, qui se pose bien évidemment à l’échelle nationale. On sait qu’une partie des fortunes apparues sous la République de Turquie, et qui a parfois donné naissance aux grands groupes économiques contemporains, trouve sa source dans la spoliation. Intitulé « La recherche du trésor », le chapitre 15 rappelle que l’espoir de s’enrichir existe toujours. La récupération des maisons des Arméniens disparus s’accompagne toujours d’une recherche frénétique de trésors qui auraient été enfouis. « L’or des Arméniens », comme il y a eu (et il y a parfois encore) « l’or des Juifs », ailleurs…
Les évidentes ambiguïtés du « sauvetage » des Arméniens…
Le chapitre 12 s’intéresse aux rescapé(e)s, une question qui est mieux connue que d’autres depuis quelques années, ayant émergé au niveau national à travers des récits familiaux et quelques romans dans lesquels ressurgissent, des décennies après les faits, principalement des arrière-grands-mères ou grands-mères musulmanes, mais nées arméniennes15. Des indices divers, plus que les récits cachés, ont permis à leurs descendants de deviner, puis de comprendre, l’origine arménienne de leur aïeule : des recettes de cuisine, des rites épisodiques non musulmans, quelques éléments linguistiques, un prénom réapparaissant… Ces grands-mères ont été « sauvées » lors du génocide, la notion de « sauvetage » s’imbriquant en réalité le plus souvent avec celle de rapt suivi de conversion à l’islam et de mariage forcé dans la famille du « sauveteur ». Avec l’avantage non négligeable qu’un tel mariage permettait de récupérer légalement les biens de la famille disparue. Ce processus a concerné des milliers de jeunes filles ou jeunes femmes, et aussi bien les Turcs que les Kurdes. Les cas de sauvetage de jeunes garçons ou adolescents ont sans doute été moins nombreux. Ces orphelins ont donc été islamisés, et linguistiquement et culturellement « turquifiés » ou « kurdisés »16. Mais peuvent rester porteurs conscients ou pas de traces de leurs origines, d’autant que parfois la mémoire familiale des « sauveteurs » a continué sur le temps long à utiliser des expressions de distinction : «l’Arménien de notre maison », « Mon Arménien »… Et le bavfileh, l’Arménien converti, n’est jamais un vrai musulman, un vrai Turc ou Kurde… Pour autant, comme dans toutes les sociétés contemporaines ayant connu des phénomènes comparables (déportation de masse, génocide, crime contre l’humanité), il y a eu des Justes, kurdes ou turcs qui, au péril de leur vie parfois, ont caché, protégé, et ainsi sauvé, des voisins arméniens. Leur histoire reste à écrire.
L’ouvrage se termine par des réflexions sur la mémoire contre le déni ; sur le sens de cette « malédiction », qui vaudrait peut-être au peuple kurde toutes les difficultés qu’il traverse, en quelque sorte en punition pour sa participation au crime inexpiable de 1915. Sur le parallèle que la mémoire kurde pourrait tracer entre le nationalisme et le projet étatique d’une partie des Arméniens de l’Empire ottoman, et le nationalisme kurde contemporain, qu’il soit autonomiste, indépendantisme ou supra-étatique. Les auteurs parlent donc d’une « contre-mémoire kurde » à l’idéologie officielle turque du déni, et qui aurait émergé dans une forme d’identification des Kurdes au sort de leurs anciens voisins les Arméniens. Arméniens comme Kurdes étant les victimes successives de l’État central turc et oppresseur. On peut ne pas toujours suivre le raisonnement des auteurs sur ce volet, qui établissent une certaine équivalence entre le sort des victimes et celui de leurs anciens bourreaux…
Au final, cet ouvrage est une importante contribution à l’historiographie du génocide en Turquie, entamée depuis plus de trois décennies, et qui a produit des dizaines de travaux majeurs par des auteur(e)s turcs ou non, universitaires pour la plupart, tous édités en Turquie même, ou traduits en turc. Autant de fissures indispensables sur le bloc du négationnisme d’État.
Jean-Paul BURDY
NOTES & REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1 ÇELIK Adnan, DINÇ Namık Kemal, Yüz Yıllık Ah ! Toplumsal Hafızanın Izinde. 1915 Diyarbekir, Istanbul, Hrant Dink Vakfı – Ismail Besikçi Vakfı, 2015, 405 p.
2 ÇELIK Adnan, DINÇ Namık Kemal, La Malédiction. Le génocide des Arméniens dans la mémoire des Kurdes de Diyarbekir, Paris, L’Harmattan, 2021, 341 pages. La préface, l’introduction et les considérations méthodologiques, et la table des matières sont accessibles sur: http://liseuse.harmattan.fr/978-2-343-22906-5
3COPEAUX Etienne, 10 mars 2021: https://www.susam-sokak.fr/2021/03/diyarbakir-1915.html
4 TAŞALP Duygu, Compte-rendu de Diyarbakır 1915, Revue d’Études Arméniennes Contemporaines, juin2016 . En ligne :https://www.academia.edu/28674683/Compte_rendu_de_livre_Adnan
5 BONZON Ariane, 3 mai 2021 :https://www.slate.fr/story/208250/turquie-kurdes-armeniens-genocide-guerre-malediction-morts-deni-pkk-joe-biden . Signalons également quelques « Impressions de lecture » sur le site kedistan.net du 4 juin 2021 :http://www.kedistan.net/2021/06/04/impressions-lecture-la-malediction-diyarbakir-1915/
6 D.Taşalp [2016] rappelle que «Les manuels scolaires [turcs] parlent toujours du « mensonge du soi-disant génocide arménien » (sözde ermeni soykırımı yalanı). », op.cit. Nous renvoyons à un article de synthèse rédigé à une époque où la candidature de la Turquie à l’Union européenne laissait espérer la possibilité, pour une partie de la société civile turque, d’aborder enfin publiquement et sereinement la question du génocide : BURDY Jean-Paul, La Turquie candidate et le génocide des Arméniens : entre négation nationaliste et société civile, Pôle Sud, 2005/2, n°23, p. 77-93. URL :https://www.cairn.info/revue-pole-sud-2005-2-page-77.htm & : https://questionsorientoccident.blog/2005/02/01/la-turquie-le-genocide-des-armeniens-entre-negation-nationaliste-et-societe-civile/ . L’optimisme relatif d’alors n’est évidemment plus de mise, eu égard à la puissante réactivation du négationnisme par le nationalisme islamiste et néo-ottomaniste de l’AKP, de ses alliés politiques ultra-nationalistes du MHP, et du principal parti d’opposition « social-démocrate post-kémaliste » du CHP. Seul le parti pro-kurde HDP, voué aux gémonies par les précédents, et menacé de dissolution, a pris des positions qui échappent au mensonge d’Etat sur le génocide .
7 E.Copeaux [2021] , op.cit.
8 On se référera sur ce volet d’écriture de l’histoire aux travaux de nos collègues historiennes Büsra Ersanlı (ERSANLI Büşra, Iktidar ve Tarih. Türkiye’de « Resmi Tarih » Tezinin Olusumu (1929-1937) [Le pouvoir et l’histoire. La genèse des thèses de « L’histoire officielle » en Turquie (1929-1937), Istanbul, Afa Yayınları, 1993, 309p. ; 3e éd. Iliteşim Yayınları, 2015) et Füsun Üstel (ÜSTEL Füsun, Makbul Vatandaş’ın Peşinde II. Meşrutiyet’ten Bugüne Vatandaşlık Eğitimi [A la recherche du « bon citoyen ». L’éducation civique depuis les débuts de la IIe période constitutionnelle], Istanbul, Iliteşim Yayınları, 2004, 373p. ; 3e éd. 2021 ; et aux travaux d’Etienne Copeaux sur les manuels d’histoire turcs (COPEAUX Etienne, Espaces et temps de la nation turque. Analyse d’une historiographie nationaliste, Paris, CNRS, 1997, 370p.). Dans la dernière décennie erdoğanienne, Büsra Ersanlı et Füsun Üstel sont toutes deux passées par la « case prison » pour leurs prises de positions publiques, en particulier sur la « question kurde ».
9 ÇELIK Adnan, Temps et espaces de la violence interne. Revisiter les conflits kurdes en Turquie à l’échelle locale (du XIXe siècle à la guerre des années 1990), Présentation d’une thèse d’anthropologie soutenue à l’EHESS en novembre 2018, Études arméniennes contemporaines,2019, no12, p.123-138. Thèse à paraître chez Brépols en 2021. En ligne :https://journals.openedition.org/eac/2231
10 Les recenseurs turcophones et kurdophones de l’ouvrage soulignent que « Ah » peut se traduire par « malheur », ou par «malédiction » – ce dernier terme ayant été retenu pour le titre français.
11 Issu d’une famille circassienne, un des fondateurs en 1894 du Comité Union et Progrès, il avait déjà organisé en 1914 des déportations de Rum (Grecs) dans la région de l’Egée. Il sera accusé à partir de 1916 de s’être formidablement enrichi grâce à la spoliation des biens arméniens (en particulier des bijoux). La perspective d’être jugé pour ses crimes le mènera au suicide en février 1919. Mais sa famille a pu acquérir à l’époque de nombreux biens immobiliers à Constantinople.
12 Le terme arménien « Ցեղազպանութիւն” / Tsérhazbanoutioun » que l’on peut traduire par « extermination d’une race » semble avoir été utilisé dès les années 1930, préfigurant donc le néologisme « génocide », créé par Raphaël Lemkim en 1943, et entériné par l’ONU dans l’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, en décembre 1948.
13 Certains porteurs de la « contre-mémoire kurde » repérés par les auteurs établissent des similitudes entre les« bejik », les milices d’occasion chargées en 1915 de l’exécution d’une partie du génocide, et les corps des «korucu », les « protecteurs de village» kurdes, institués par « l’État profond » turc (services secrets, ultra-nationalistes, mafieux, etc.) à la fin du XXe siècle pour mener la « sale guerre » contre la guérilla du PKK.
14 Cet argument en forme d’accusation est l’une des pièces maîtresses du discours négationniste officiel: les Arméniens, militants nationalistes du démantèlement de l’Empire ottoman, déserteurs de l’armée ottomane ou organisés en milices, étaient des agents objectifs des succès militaires de l’ennemi russe sur le front du Caucase (nord-est). D’où la nécessité de les déporter loin de ce front pour laisser le champ libre aux opérations militaires ottomanes. Ils ont, à l’occasion des opérations militaires et de la déportation, été victimes des conditions terribles de l’époque (combats, famines, épidémies, etc.), au même titre que toutes les autres victimes disparues en Anatolie entre 1914 et 1922 (le laps de temps élargi ainsi choisi permettant de « noyer » l’épisode de 1915-1916).
15 On pense, en particulier, à l’ouvrage pionnier de Fethiye Çetin, avocate et écrivaine née en 1950, et ayant découvert à 24 ans des origines familiales arméniennes et chrétiennes: en 1915, alors que sa famille fuyait le massacre, sa grand-mère a été arrachée à sa mère par un officier turc qui l’a adoptée, et l’a plus tard mariée à un Turc : ÇETIN Fethiye, Anneannem, Istanbul, Metis Yayıncılık, 2004, 120p. [tr.fr. Le livre de ma grand-mère, Marseille, Ed.Parenthèses, 2013, 128p.]. Le grand retentissement de ce livre en Turquie l’a amenée à la compléter avec la sociologue Ayse Gül Altınay par les récits de vingt-quatre petits-enfants d’Arméniens cachés dans la société turque: ALTINAY Ayse Gül , ÇETIN Fethiye, Torunlar, Istanbul, Metis Yayınları, 2009, 240p. [Les Petits-Enfants, Arles, Actes Sud, 2001, 336p.]
16 Officiellement autorisé par Constantinople, le même processus de conversion à l’islam a été mis en œuvre dans les années 1890, lors de la première vague de massacres d’Arméniens sous le sultan Abdül Hamid II. On distinguera chronologiquement ces convertis des massacres de 1894-1895 ou du génocide de 1915 (les bavfileh, en kurde) des Arméniens islamisés de longue date (depuis le XVIe siècle pour certains), en particulier le groupe des Hemşinli/ Hamchènes, installés sur la mer Noire, dans la région d’Artvin. Ils ont conservé l’usage d’un dialecte arménien spécifique. Cf., par exemple: https://www.yerkir.eu/activites/les-armeniens-islamises-du-hamchene/

Les auteurs: Adnan ÇELIK et Namık Kemal DINÇ