L’illumination aux couleurs chinoises de la tour Azadi à Téhéran, mi-février 2020
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La République islamique est violemment impactée par l’épidémie de coronavirus, dont la gravité vient de forcer le Guide Ali Khameneï à affirmé vouloir faire appel à l’armée pour « vider les rues, les routes et les magasins » dans les plus brefs délais, aidée par les bassidji (les «Volontaires », milice rattachée aux Gardiens de la révolution). Sans pour autant que le confinement et l’arrêt des circulations inutiles soient décrétés, à la veille d’un Nouvel an (nowruz) toujours très familial en Iran. Au plan international, le gouvernement Rohani dénonce des sanctions américaines qui l’empêchent de se procurer matériels et médicaments sur les marchés internationaux (voir notre post du 4 mars 2020) ; et vient de solliciter auprès du FMI un prêt de 5 milliards de dollars – une première pour l’Iran depuis…1962 !1 Téhéran a lancé une ample campagne diplomatique contre les sanctions américaines, en les corrélant aux difficultés du pays à combattre le coronavirus. Et remercie chaleureusement tous les gestes de soutien arrivant de l’extérieur: de Chine principalement, mais aussi des Emirats arabes unis et du Qatar, qui s’ajoutent à des aides antérieures arrivées de France ou d’Allemagne.
L’importance et la létalité de l’épidémie en Iran, et le fait que la centralité des pèlerinages chiites à Qom a initialement contribué à répandre le virus dans toute la région via les communautés chiites (du Pakistan au Golfe et à l’Irak) , ont entraîné la mise à en isolement terrestre et aérien de l’Iran. C’est dans ce contexte que l’on peut relever l’importance accordée par Téhéran à ses relations avec Pékin -de même que Pékin souligne sa proximité avec Téhéran dans cette épreuve sanitaire majeure.
Quand l’épidémie s’est développée en Chine, en janvier, l’Iran a manifesté sa solidarité avec les populations chinoises frappées – particulièrement à Wuhan, en envoyant des stocks de masques en Chine. A la mi-février, la grande tour Azadi [« Liberté »], monument central à Téhéran sur la route de l’aéroport de Mehrabad, a été illuminée aux couleurs du drapeau chinois, avec des slogans de soutien à Wuhan. Et, alors que les compagnies aériennes occidentales étaient de plus en plus nombreuses à ne plus desservir la Chine, Téhéran a maintenu jusqu’il y a peu les vols entre l’Iran et la Chine, essentiellement par des vols de Mahan Air, une compagnie « privée » notoirement liée aux Gardiens de la révolution (elle assure depuis toujours de nombreuses rotations vers la Syrie). La République islamique était l’un des soutiens que pouvait faire valoir le régime de Pékin, alors mis au ban pour sa dissimulation initiale de l’épidémie.
Le tour est ensuite venu pour l’Iran d’être durement frappée par le coronavirus. Au-delà des dimensions politiques de l’épidémie (notre post du 4 mars) , celle-ci a révélé les difficultés de l’appareil médical iranien de faire face à la submersion des hôpitaux par les malades infectés. La Chine a alors, en retour, manifesté symboliquement et concrètement son soutien à l’Iran, soit directement par le gouvernement central (l’envoi de médecins spécialistes, et de cargaisons d’appareils respiratoires, de kits de dépistage et de masques), soit par l’intermédiaire de provinces et de municipalités (en particulier celle de Shanghaï) ; soit par des entreprises privées (Alibaba) . Un groupement de traducteurs chinois et iraniens a été mis en place, qui traduisent du chinois au persan des textes scientifiques, des informations générales et des vidéos sur le coronavirus : le « China-Iran Epidemic Prevention Mutual Assistance Team » a été lancé le 24 février en Chine, et diffuse sur les réseaux sociaux iraniens, en particulier via Instagram (@anticorona_ir). Toutes ces actions sont mises en scène, et par Téhéran, et surtout par Pékin.

Au-delà de l’assistance humanitaire bilatérale, la dimension géopolitique est évidente. Téhéran peut ainsi montrer que son isolement par les sanctions internationales -américaines principalement- n’est pas absolu. Et que Pékin reste un partenaire commercial et diplomatique -tout discret qu’il soit, Pékin étant attentif à ne pas envenimer plus encore ses relations avec Washington, par exemple en prenant position pour l’Iran dans la quasi « guerre du Golfe » depuis mai 2019. Les deux capitales partageant par ailleurs un axe de propagande complotiste: la responsabilité sans cesse suggérée ou affirmée des Etats-Unis dans une forme de guerre bactériologique, même si l’épidémie s’est révélée en Chine.
De son côté, Pékin, stigmatisée pour sa dissimulation initiale de l’épidémie, puis pour les méthodes brutales de répression des lanceurs d’alerte, confirme sa « diplomatie du masque » en dépêchant, malgré ses propres pénuries intérieures, des cargaisons de masques, mais aussi de la littérature scientifique dès que sortie des laboratoires chinois, à certains pays particulièrement frappés par le covid-19, et qui avaient initialement envoyé des masques en Chine : vers le Japon et la Corée du sud, par exemple. Et, alors que la France et l’Allemagne ont refusé de se dessaisir de leurs stocks de masques au profit d’une Italie, plongée dans la tourmente épidémique, la Chine a dépêché à Rome un avion chargé de palettes de matériels, accompagnées de 9 médecins ayant combattu l’épidémie. Rome n’a pas manqué de saluer « la vraie solidarité » chinoise… Par ces actions de soft power, Pékin, qui évoque des « routes de la soie de la santé » entend ainsi manifester sa bonne volonté, et sa bonne prise en mains de la crise sanitaire en interne; souligner la reprise de la production industrielle dans un pays qui est devenu en quelques décennies « l’usine du monde ». Et, plus globalement, mettre en avant la supériorité du modèle de gouvernance chinois sous l’autorité du seul parti communiste, présenté comme nettement plus efficace que les démocraties occidentales…

NOTES
1 Au même moment, le Hezbollah libanais vient d’accepter que le gouvernement de Beyrouth (auquel il participe) fasse une demande de prêt au FMI pour aider le Liban à sortir de sa défaillance en matière de paiement des échéances de la dette, et de la quasi banqueroute du système bancaire local.