Les autorités gouvernementales iraniennes ont ordonné dimanche 15 décembre la fermeture des écoles, lycées et universités à Téhéran, dans ses banlieues, et dans plusieurs autres villes du pays. La raison : une pollution atmosphérique qui dépasse largement les seuils d’alerte pour la santé, et donc « particulièrement nocive pour les personnes vulnérables ». Depuis plusieurs jours, un épais nuage grisâtre enveloppe la capitale iranienne, oblitérant totalement les montagnes de l’Alborz qui la dominent. Selon les relevés de la municipalité, la concentration en particules fines (PM2,5) atteignait dimanche vers 17H00 (13H30 GMT) 145 microgrammes par mètre cube en moyenne sur 24 heures et pour la ville, et dépassait les 165 µg/m3 dans plusieurs quartiers de la capitale. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande un taux inférieur à 25 µg/m3 en moyenne sur 24 heures.Des mesures de fermeture identiques avaient déjà été prises pendant plusieurs jours en novembre.
Les questions géopolitiques (nucléaire, politique régionale) et macro-économiques (hydrocarbures, conséquences économiques et sociales des sanctions) occultent presque totalement un autre dossier pourtant majeur pour l’Iran: la crise environnementale. En 2015, l’ancien ministre Issa Kalantari, proche du président Rohani, avait utilisé une formule-choc qui a connu un grand écho : si le pays ne prend pas des mesures radicales majeures, l’Iran risque un véritable effondrement environnemental, et court vers une «grande catastrophe» (fajeh-e bozorg) écologique (1). L’un des symptômes les plus évidents de la crise environnementale est donc la pollution de l’air dans la plupart des villes iraniennes.
Une pollution de l’air majeure, et des manifestations environnementales
En 2013, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé quatre villes iraniennes dans le top ten des villes les plus polluées au monde (2): Ahwaz, la capitale pétrolière du pays, dans la province du Khouzistan jouxtant l’Irak, trois fois plus polluée que Pékin ; et Yasouj, dans les monts Zagros, autre ville industrielle avec une centrale au charbon et une raffinerie. Les deux autres villes, Sanandaj, au Kurdistan, et Kermanshah, proche de l’Irak ne sont pas des métropoles industrielles, mais sont étouffées par les gaz d’échappement automobiles. Métropole de près de 15 millions d’habitants, Téhéran souffre également d’une très sévère pollution de l’air, qui s’ajoute à une pénurie d’eau récurrente (3). Pendant de longs mois, un smog épais et brunâtre recouvre l’agglomération, et obscurcit l’horizon au point de rendre la montagne est invisible du centre ville. Un cocktail pathogène de plomb, de dioxine, de benzène, de monoxyde de carbone, et de poussières fines irrite les yeux et la gorge : on estime que l’air n’est respirable sans risque pour la santé qu’une centaine de jours par an. Les causes sont multiples. La ville est installée sur le versant sud de l’Alborz (5000m), qui forme un croissant autour de l’agglomération et bloque les vents humides venant de la Caspienne, au nord. En hiver, les phénomènes d’inversion de températures bloquent les polluants sur le versant sud, très ensoleillé, générant des taux d’ozone très élevés. La circulation automobile est responsable de 80 % de ces polluants : l’agglomération est réputée pour ses embouteillages interminables toute l’année, à l’exception de la période de vacances de la fête du printemps, nowrouz, le nouvel an kurdo-iranien. Le coût très faible d’une essence de piètre qualité encourageant l’usage intensif de l’automobile : jusqu’au 15 novembre, le litre coûtait à peine 10000 rials (8 centimes d’euros), son augmentation à 15000 rials (12 centimes d’euros) a provoqué une violente « crise de l’essence », réprimée dans le sang.
A l’instar d’autres mobilisations environnementales, à l’initiative principalement d’ONG qui peinent à s’exprimer dans un contexte répressif, les manifestations contre la pollution de l’air se sont multipliées dans la dernière décennie: en février 2015, 11 ONG environnementales en ont appelé dans une lettre ouverte aux agences des Nations-Unies pour lutter contre des niveaux de pollution catastrophiques combinés à des tempêtes de sable sans fin (4). Au Khouzistan (sud-ouest), en particulier dans la ville d’Ahwaz, on ne compte plus les manifestations dans l’espace public contre la pollution dramatique de l’air dans la région.
Les espoirs contradictoires liés à l’accord sur le nucléaire, douchés depuis 2018 par les choix américains
La levée progressive des sanctions après l’accord sur le nucléaire de juillet 2015 a pu être envisagée comme positive pour les politiques environnementales, car elle permettrait d’affecter des fonds récupérés à financer des projets environnementaux encalminés. Nombre d’analystes sont cependant restés pessimistes sur l’impact environnemental de la levée des sanctions. Ils estimaient a contrario qu’elle allait relancer les investissements industriels, en particulier dans le domaine des hydrocarbures, avec un risque évident d’une nouvelle dégradation des indicateurs environnementaux (consommation d’énergies fossiles, émission de gaz à effet de serre et de poussières et effluents polluants, consommation d’eau accrue, etc.). La balance risquait donc d’être compliquée entre les exigences de la relance économique post-sanctions, et les engagements pris par le pays dans le cadre de la COP21 en 2015.
Sous la présidence Khatami (1997-2005), le gouvernement avait tenté d’instaurer des normes antipollution dans le domaine automobile, et de développer l’utilisation de l’essence sans plomb. Un programme décennal incitatif avait été lancé en 2001 pour encourager l’achat de voitures moins polluantes. Une taxation des industries polluantes s’appuyait sur le principe du « pollueur-payeur », alors que des avantages fiscaux étaient octroyés aux « industries vertes ». Les effets ont été très limités, comme en ont témoigné l’échec régulier de la « Journée nationale de l’air pur » chaque 19 janvier, et l’inefficacité des tableaux lumineux affichant les taux de pollution atmosphériques aux grands carrefours. De leur côté, de nombreux groupes environnementalistes, ou des associations de résidents, ont mené des actions de sensibilisation des Téhéranais, ou intervenant sur des problèmes locaux, tout en faisant pression sur les autorités politiques centrales et les autorités municipales. La période des sanctions a aggravé les niveaux de pollution, par le vieillissement du parc automobile, et l’utilisation de carburants de très médiocre qualité.
Les autorités métropolitaines ont cependant élaboré des plans de développement des transports collectifs (extension des réseaux du métro, de lignes de bus en sites propres) et semi-collectifs (taxis) utilisant des motorisations moins polluantes (gaz GNL, motorisations hybrides). La levée des sanctions devait permettre, par de nouveaux investissements dans les raffineries, et dans l’automobile, une évolution du parc automobile par son rajeunissement, avec des motorisations appliquant des normes plus rigoureuses, et des carburants de meilleure qualité. Des campagnes officielles, soutenues par les associations écologistes, encouragent désormais le co-voiturage et les modes alternatifs à la voiture, par la promotion de « journées sans voitures » ; par l’instauration de restrictions de circulation lors des heures de pointe, en fonction des plaques d’immatriculation ; par la hausse du prix des carburants à la pompe, jusque-là fortement subventionnés.
2016 : Les femmes interdites de vélo pour indécence
Mais la lutte contre la pollution atmosphérique est une action de long terme, qui implique des changements radicaux dans les usages de la ville, en particulier en matière de place de l’automobile dans les déplacements urbains (5). Certains projets des collectivités territoriales, ou certaines initiatives de la société civile se heurtent à des résistances sociétales, et parfois à des obstacles inattendus. A la mi-2016, le conseil municipal de la ville de Marivan (province du Kurdistan) a mis en place une opération « Mardis propres », en invitant les habitants à préférer leur vélo à la voiture une fois par semaine. L’initiative a été reprise par une dizaine de villes dans tout le pays. Avant un coup de frein brutal et idéologique : des religieux conservateurs ont estimé que des femmes faisant du vélo était indécent. Du coup, et alors que des manifestants affirmaient que «le vélo pour les femmes est à la fois légal, et conforme à la charia», un rassemblement « Mardi propre » a été interdit à Téhéran, la police a stoppé les cyclistes et confisqué leurs vélos ; et plusieurs femmes ont été arrêtées à Marivan. En soutien, d’autres ont décidé de manifester en marchant à côté de leurs vélos. Shahindokht Molaverdi, vice-présidente chargée des Femmes et des affaires familiales déclare le 26 août que «le vélo pour les femmes est autorisé à la condition que les coutumes religieuses soient respectées. » Une interprétation libérale vite contredite : le 10 septembre, le guide suprême Ali Khameneï tranche : « La pratique du vélo par des femmes dans des lieux publics en présence d’inconnus attire l’attention des hommes et cela pousse la société vers la corruption morale et la débauche (…) Ceci est contraire à la chasteté des dames. Il est nécessaire de l’abandonner.» (6). L’Iran se retrouve donc au même plan que l’Arabie saoudite. Une fatwa qui tombait au mauvais moment pour les municipalités qui encouragent l’usage de la bicyclette en ville. Téhéran, par exemple dispose en 2016 de 280 km de pistes cyclables et prépare 80 km de nouveaux tronçons ; et avait organisé, le 5 janvier, une balade cycliste (mixte) avec plus de 10000 participants. Et, peu après la déclaration du Guide, le Département de l’Environnement annonce une politique de subventions pour encourager l’achat de cycles et deux roues électriques (7)…
La lutte contre la pollution atmosphérique urbaine impose une réduction massive de l’émission de gaz à effet de serre, dans un pays où les énergies fossiles que sont le pétrole et le gaz sont le socle du développement économique, et de la puissance géopolitique. L’Iran avait inscrit, dans son Ve plan quinquennal (2011-2015), un programme de réduction des émissions de gaz à effet de serre, en augmentant la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique. Mais, dans le contexte de la crise du nucléaire iranien, ce mix a très peu évolué, au-delà du couplage au réseau électrique du réacteur nucléaire de Bouchehr fin 2011 (deux autres sont prévus à l’horizon 2025) et du développement de la ferme éolienne de Manjil (inaugurée en 2007, dans la province de Gilan, Caspienne). Energie solaire ou géothermie : les énergies alternatives sont donc très peu développées en Iran. Le projet de « Sixième plan quinquennal de développement» (2016-2021), en discussion au majlis fin 2016, entendait accélérer leur développement, pour que l’Iran puisse remplir les objectifs imposés par sa signature de l’Accord de Paris sur le climat de décembre 2015, et son adhésion, en 2015 toujours, à l’Alliance solaire internationale et l’Alliance mondiale de la géothermie.
Le retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire en 2018, et la politique de pression maximale par des sanctions brutales et sans cesse renforcées, ont mis à bas les espoirs nés de cet accord. L’étranglement de l’économie iranienne relègue à l’arrière-plan les questions environnementales, et l’action citoyenne et des ONG est, à nouveau, brutalement réprimée par les Gardiens de la révolution, qui considèrent les manifestations écologistes comme manipulées par l’inévitable « complot de l’étranger ». La qualité de l’air n’est pas près de s’améliorer en Iran.
NOTES
1 / Interview d’Issa Kalantari au quotidien en persan Shahrvand (édité à Toronto) le 27 /4/2015, reprise par M-R.DJALILI, « La grande catastrophe iranienne, c’est maintenant », Le Temps de Genève, 30/8/2016. Agronome, Issa Kalantari a été ministre de l’Agriculture sous les présidents Rafsandjani (1989-1997) puis Khatami (1997-2001). Proche de M.Rohani, il est, depuis 2013, conseiller auprès de la vice-présidente Massoumeh Ebtekar, chargée de l’environnement.
2 / Mohsen ASGARI, « Iran pollution worsens as thousands die », BBC News, Teheran, 7/1/2013 ; http://science.time.com/2013/10/18/the-10-most-polluted-cities-in-the-world
3 / Malgré 5 barrages la ravitaillant, la capitale souffre d’un déficit hydrique croissant, qui entraîne des rationnements sévères à la saison chaude. Les petits canaux (jubes) qui descendent de la montagne et bordent nombre de rues restent sont de plus en plus souvent à sec.
4 / « Ahwaz. UN Must Intervene in the Environmental Crisis in Iran – A Call by 11 NGOs », 17/2/2015, URL :http://iranhr.net/en/statement/22/
5/ A l’instar des projets de déplacement de la capitale en Egypte, des projets de transfert de tout ou partie de la capitale iranienne sont dans les cartons depuis des décennies, et ressurgissent épisodiquement : l’engorgement de la métropole, les risques sismiques (réels), et désormais la lutte contre la pollution, sont mis en avant pour étayer le projet.
6 / http://blog.francetvinfo.fr/oeil-20h/2016/09/21/iran-quand-lutte-ecologique-et-droits-des-femmes-ne-font-pas-bon-menage.html
7/ http://realiran.org/iran-allots-loans-of-up-to-3000-to-bicycles-electric-motorcycles/ Tehran Times, 15/10/2016
Photos ci-dessous: manifestation de femmes contre la pollution atmosphérique à Arak (centre-ouest) en août 2013


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