
Une fois de plus, une visite à l’Elysée du roi du Bahreïn Hamad Bin Issa Al Khalifa, mardi 30 avril, suscite une amorce de polémique, bilatérale en l’occurrence. Modeste certes, mais significative.

On se souvient peut-être que le 23 juillet 2012, une première polémique avait surgi quand une permanencière de l’AFP avait photographié par hasard dans la cour de l’Elysée le président François Hollande recevant le roi Hamad (voir notre post du 1er août 2012: https://questionsorientoccident.blog/2012/08/01/france-bahrein-mais-que-faisait-donc-le-president-de-la-republique-francois-hollande-le-23-juillet-2012/ ) Or cette visite n’apparaissait nulle part dans l’agenda prévisionnel du président, ce qui avait été à l’époque analysé comme significatif de la gêne, côté français, à recevoir un chef d’Etat du Golfe qui, quelques mois plus tôt, avait écrasé avec l’aide des blindés saoudiens le mouvement de contestation démocratique de la place de la Perle, à Manama (14 février-15 mars 2011), version locale des “printemps arabes” alors en pleine effervescence.. De nombreuses critiques s’en étaient suivies sur la question de la défense des droits de l’homme par le pouvoir socialiste de l’époque, en particulier dans la région du golfe Persique – où tous les records de ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis ont été battus sous le mandat du ministre [socialiste] de la Défense, Jean-Yves Le Drian, actuel ministre des Affaires étrangères, toujours très apprécié à Riyad comme à Abou Dhabi. Au point d’ailleurs qu’il n’est pas sûr que son changement d’affectation ministérielle en 2017 ait vraiment été perçu dans ces deux capitales, par ailleurs grandes utilisatrices des armes françaises dans la guerre menée au Yémen depuis 2015 (on se reportera utilement sur ce point au rapport de 15 pages classé « confidentiel Défense » de la Direction du renseignement militaire (DRM), daté du 25 septembre 2018, révélé le 15 avril 2019 par Disclose en partenariat avec la cellule investigation de Radio France).
Hier donc, mardi 30 avril 2019, le président Emmanuel Macron a reçu à l’Elysée le roi Hamad, arrivé quelques jours plus tôt à Paris (où il a une résidence privée). Le roi avait déjà rencontré la veille, à son habitude, une délégation d’hommes d’affaires français, les invitant à investir dans le royaume. Bahreïn a alors annoncé la signature de près de deux milliards d’euros de contrats avec plusieurs grands groupes français, dont Thales, Total et Axa, à l’occasion de la visite de la délégation royale à Paris. Le roi a également déploré l’incendie qui a frappé Notre-Dame-de-Paris, monument icônique pour la France.
Mais revenons à notre propos. A l’issue de l’entretien entre le président français et le roi Hamad, l’Elysée a publié sur son site un communiqué officiel (https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/04/30/entretien-avec-sa-majeste-hamad-bin-issa-al-khalifa-roi-de-bahrein), que nous reproduisons intégralement:
“ Le Président de la République, Emmanuel Macron, a reçu ce jour au Palais de l’Elysée, le Roi de Bahreïn, Sa Majesté Hamad Bin Issa Al Khalifa.
À cette occasion, le Président de la République a souligné l’importance du partenariat avec Bahreïn, compte tenu de la position stratégique du Royaume au Moyen-Orient et des défis qui se posent dans son environnement régional. La rencontre a été l’occasion d’aborder les questions régionales, et en particulier la Syrie, l’Iran et les pays du Golfe. Le Président de la République a exprimé sa préoccupation face aux tensions et aux actions déstabilisatrices à travers la région, qui entravent la résolution politique des crises. La lutte contre le terrorisme a fait l’objet de discussions approfondies, en accordant une attention particulière à la lutte contre la radicalisation et le financement du terrorisme.
Le Président a encouragé les autorités bahreïniennes à poursuivre leurs efforts pour permettre le rétablissement d’un dialogue politique incluant l’ensemble des composantes de la société bahreïnienne. Il a souligné que la garantie des droits était indissociable de la stabilité.
Le Président de la République a marqué l’engagement de la France à accompagner Bahreïn dans sa stratégie ambitieuse de diversification économique, en rappelant l’excellence des entreprises et de l’expertise françaises dans les secteurs des transports, de l’énergie et du développement urbain. Il a également confirmé la volonté de la France de renforcer la coopération culturelle, universitaire et scientifique avec le Royaume de Bahreïn. Enfin, le Président de la République a salué la volonté des autorités bahreïniennes de développer l’enseignement du français et de faire de la France un partenaire culturel de premier rang, notamment à travers un accord avec le musée du Louvre, ou encore avec l’Institut Français de la Mode.”
Les premier (enjeux stratégiques régionaux au Moyen-Orient, lutte contre le terrorisme; et l’Iran, hantise obsessionnelle à Manama) et troisième (coopération bilatérale franco-bahreïnie dans différents domaines économiques, culturels et universitaires) paragraphes sont des plus ordinaires. Mais pour le deuxième paragraphe, rien ne va plus ! Alors qu’il indique que le président français “a encouragé les autorités bahreïniennes à poursuivre leurs efforts pour permettre le rétablissement d’un dialogue politique incluant l’ensemble des composantes de la société bahreïnienne. Il a souligné que la garantie des droits était indissociable de la stabilité”, patatras! Un tweet du ministre des Affaires étrangères du Bahreïn, Cheikh Khalid ben Ahmed Al Khalifa1 a fermement démenti au petit matin du mercredi 1er mai que “la question du dialogue politique” ait été abordé par le président français.
Citation du tweet: « Le président français n’a abordé aucun sujet en rapport avec le dialogue politique. Au Bahreïn, il y a un dialogue politique qui se produit chaque jour via les institutions législatives et la libre expression dans la presse et les médias. Au contraire, le président français a rendu hommage aux politiques de réformes et d’ouverture (…) du roi et a encouragé à continuer dans cette approche.«
Ce n’est pas qu’une querelle de vocabulaire ou de traduction. C’est, une fois de plus, la question de la crédibilité des acteurs et des communiqués officiels. Le président français a-t-il clairement signifié à son interlocuteur que la France était sensible à l’état [déplorable] des droits humains dans le royaume, se démarquant ainsi de son prédécesseur qui avait cherché en juillet 2012 à rendre la moins visible possible la visite du roi à l’Elysée? Ou bien, hypothèse qui aurait notre préférence au bénéfice du doute, le ministre bahreïni cherche-t-il à étouffer une remarque française dont l’opposition bahreïnie [ou ce qu’il en reste: les opposant.e.s qui ne sont pas emprisonné.e.s pour de longues années sont en exil à l’étranger, et presque tou.te.s déchu.e.s de leur nationalité2] ne manquera(it) pas de se saisir? A cette heure, nous n’avons pas de réponse, faute de communiqué officiel du côté de Manama – la BNA, Bahrain News Agency, aux ordres, attendant à son habitude les instructions du Palais pour rendre compte -ou pas- de cette interprétation contradictoire de l’entretien entre Emmanuel Macron et le roi.
En juin 2018, les inquiétudes exprimées sur twitter par Cécile Longé, l’ambassadrice de France à Manama, avaient déjà suscité l’ire de Bahreïn: à l’occasion de la confirmation de la condamnation à cinq ans de prison de l’opposant Nabeel Raja, éminente figure de la défense des droits humains dans l’archipel, elle y disait sa préoccupation quant au « traitement des défenseurs des droits de l’homme et des opposants politiques dans le pays. » Selon des sources diplomatiques, ces déclarations avaient amené à un report d’une visite officielle du roi en France, qui n’avait pas été officiellement annoncée mais qui était, semble-t-il, initialement prévue au début de l’été 2018.
Décidément, Bahreïn est un (tout petit) caillou persistant dans la chaussure des présidents français, en 2019 comme en 2012….
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1 Khalid ben Ahmed Al Khalifa est évidemment un membre de la famille régnante, les Al Khalifa monopolisant le pouvoir politique et tous les ministères régaliens, la chambre basse du Parlement n’étant plus représentative, du fait d’un redécoupage des circonscriptions après 2012 destiné à segmenter et noyer l’électorat chiite pourtant majoritaire; et les deux dernières séquences électorales législatives (2014 & 2018) ayant été boycottées par une opposition anéantie par la répression, mais bénéficiant toujours d’un large soutien dans l’électorat chiite.
2 Le 21 avril 2019, le roi Hamad a rendu par décret royal leur nationalité à 551 citoyens bahreïnis qui en avaient été déchus par la justice ou par décret. Mais on estime à un millier le total des déchéances depuis la répression de 2011, et il semble donc que la plupart des opposant.e.s politiques déchu.e.s ne bénéficient pas de cette restauration de nationalité.
