Salih Muslim, dirigeant du PYD syrien, à Moscou en décembre 2013, sous le portrait d’A.Öcalan, leader du PKK turc

Kobanê, juillet 2013- Drapeaux du PKK et portraits d’Öcalan

Les Kurdes sont, au Moyen-Orient, un peuple autochtone nombreux qui n’a pas obtenu d’Etat lors des partages des lendemains de la Première guerre mondiale. Depuis un siècle (pour ne pas remonter plus avant, au temps des Empire ottoman et perse), ils sont donc principalement répartis entre quatre Etats-nations (Turquie, Irak, Iran, Syrie) qui les ont souvent maltraités, et toujours réprimés. Et ce, en accord fréquent avec des Puissances extérieures (principalement les Britanniques, les Américains, les Soviétiques puis Russes) qui les ont régulièrement instrumentalisés en fonction des cheminements tortueux de leurs politiques moyen-orientales. Au-delà d’un sentiment ethno-culturel global d’appartenance au « peuple kurde », progressivement construit par les conflits du siècle et de multiples organisations politiques, les Kurdes sont aussi diversifiés (et parfois divisés) par des éléments ethniques (les vieilles appartenances tribales, par exemple), linguistiques (trois langues : kurmanî, soranî, zaza ; quatre alphabets : latin, arabe, persan, cyrillique), religieux (sunnisme, chiisme, alévisme, yézidisme, yarsanisme, voire… laïcisme), culturels (montagnes, campagnes, villes, diaspora, patriarcat-féminisme), politiques (Etat d’appartenance, statut juridique de la citoyenneté, représentation politique), idéologiques (conservateurs, progressistes, baasistes, communistes, marxistes-léninistes, islamistes, etc.). Le cadre général extrêmement -et volontairement- schématisant que nous évoquons ici suffit donc à rappeler d’emblée que la « question kurde » ne peut être abordée que dans une complexité qui fait aussi sa richesse. Ce qui impose ainsi, dans la dernière décennie (depuis 2002 avec l’arrivée de l’AKP au pouvoir à Ankara ; depuis 2003 avec le renversement de Saddam Hussein en Irak ; depuis 2011 avec le début de la crise syrienne) une lecture prudente des événements, à la fois globale et par pays. La bataille de Kobanê/Aïn al-Arab, en cours depuis un mois au Rojava (« Kurdistan occidental ») de Syrie mais aux portes de la Turquie, en est un bon exemple.

La bataille de Kobanê, principalement un enjeu kurde pour la Turquie

A Kobanê, malgré des bombardements américains sur leurs positions, les forces de l’Etat islamique (EI) semblent en train de réduire la résistance des milices kurdes liées au PYD syrien et au PKK turc. En Turquie même, un peu partout dans le pays, les manifestations de soutien aux Kurdes de Kobanê ont fait près de quarante morts ces derniers jours, lors de violents affrontements soit avec les forces de police, soit avec des groupes ultra-nationalistes turcs qui veulent en découdre avec le PKK, ou quelques groupes pro-djihadistes soutenant l’Etat islamique (dont, semble-t-il, le Hizbullah, mouvement djihadiste sunnite kurde apparu en 1993, violemment anti-PKK), ou encore des forces soutenant le régime de Damas… Au plan international, et tout particulièrement en Allemagne, les manifestations pro-Kobanê de la diaspora kurde sont nombreuses (le plus souvent sous l’égide du PKK), et les pressions se multiplient sur Ankara, y compris de la part de la « coalition internationale », pour que l’armée turque intervienne en franchissant la frontière syrienne. Mais la « question kurde », revenue au premier plan de l’actualité depuis l’irruption des djihadistes de l’EI à Mossoul (Irak) en juin, et le siège de Kobanê (Syrie) en septembre, est loin d’être simple. Elle est traversée de tensions et de contradictions politiques, à la fois internes et liées aux acteurs locaux, régionaux et extérieurs. Pour des questions politiques internes, Ankara a toutes sortes de raisons de ne pas intervenir à Kobanê ; et encore moins d’intervenir seule en Syrie à la fois contre EI et le régime de Damas. Mais aussi « l’opposition modérée » syrienne (arabe et kurde, que la coalition occidentalo-arabe entend soutenir contre l’EI), du fait des choix ambigus du PYD vis-à-vis du régime de Damas, et de ses pratiques politiques hégémoniques. Mais aussi les forces politiques du Gouvernement régional kurde d’Erbil, en Irak, lequel se méfie d’une montée en puissance du PKK au Rojava…

En Irak, un Kurdistan quasi indépendant soutenu par les Occidentaux et la Turquie

L’autonomie actuelle du Kurdistan d’Irak est le fruit d’une longue histoire, bien antérieure à 2003. Elle a été progressivement construite par la « no-fly zone » imposée à Saddam Hussein par les Occidentaux après 1991. Dès cette époque, les Kurdes avait installé à Erbil un parlement, et organisé des élections relativement démocratiques, même si ne concourraient vraiment que deux partis (PDK et UPK) « appartenant » à deux chefs de clans séculaires (les Barzani et les Talabani). Elle a été renforcée par la constitution fédérale irakienne de 2005 accordant une large autonomie aux provinces kurdes du nord-est. Elle a été encouragée par les Américains lors de l’insurrection sunnite des années 2006-2010, puis accélérée par la politique pro-chiite de Nouri al-Maliki. Economiquement, elle a été permise par les ressources pétrolières, accaparées par les Kurdes dans le cadre du non respect (imputable à parts égales à Bagdad et à Erbil) du partage des ressources prévues par les accords de 2005. Du coup, le Kurdistan Regional Government (KRG) est pratiquement le gouvernement d’un Etat à qui il manque très peu pour être formellement indépendant (la proclamation de l’indépendance, et sa reconnaissance internationale). A l’aune des mœurs régionales, le régime est démocratique, avec respect des principales libertés, un système parlementaire (111 députés, avec des sièges réservés aux minorités ethnico-religieuses), un pluripartisme, un partage des « ressources politiques » et de la rente pétrolière entre les principales forces politiques et leurs clientèles.

L’économie pétrolière, largement fondée sur la contrebande avec la Turquie voisine, a permis un boom économique, dont la spéculation immobilière est sans conteste l’aspect le plus spectaculaire. La rente pétrolière s’est d’ailleurs potentiellement accrue depuis juin, quand, en réponse à la prise de Mossoul par l’EI, les peshmergas d’Erbil se sont emparés de Kirkouk et de ses puits de pétrole historiques. D’innombrables compagnies étrangères se sont donc installées à Erbil, surtout dans les secteurs du pétrole (beaucoup d’Anglo-Américains : plusieurs raffineries ont été ouvertes depuis une décennie) , du BTP et de la grande distribution (beaucoup de compagnies turques). Le pays est ouvert : lignes aériennes directes, politique de visas très large. Et la « politique étrangère » est résolument pro-occidentale : les Etats-Unis, l’Union européenne (dont la France : Danielle Mitterrand et Bernard Kouchner ont laissé leur empreinte chez les Kurdes d’Irak…), Israël (depuis longtemps). Et la Turquie qui, après s’être beaucoup méfié après 2003-2005 de cet autonomisme kurde, ne voulant connaître que Bagdad par réflexe jacobin, a finalement massivement investi politiquement à Erbil : grand consulat général ayant pratiquement rang d’ambassade, représentations permanentes des deux grands partis kurdes d’Irak à Ankara, visites officielles réciproques innombrables. Lors de l’irruption de l’EI dans la province de Ninive, en juin, le KRG a accueilli à bras ouverts et installé des dizaines de milliers de réfugiés et déplacés fuyant les exactions des djihadistes. Et bénéficie de l’aide militaire envoyée en urgence par un certain nombre de pays occidentaux (les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, etc.) pour monter en puissance face à l’EI.

En Syrie, les ambiguïtés du gouvernement du Rojava par le PYD

Au nord-nord-est de la Syrie, les Kurdes ont conclu, dès avril 2011, au tout début de la contestation donc, un marché avec le régime de Damas. Moyennant la récupération de leurs droits civiques et sociaux spoliés depuis 1963, et l’obtention d’une large autonomie, ils se sont engagés en contrepartie à ne pas prendre parti dans le conflit entre le régime et ses opposants, et à ne pas chercher l’affrontement avec les forces armées de Bachar Al-Assad, y compris avec les moukhabarat, d’ailleurs en partie restés sur place. Ce choix stratégique de Damas, qui libère au même moment les militants du PKK turc qu’il détenait (et des détenus islamistes radicaux qui formeront ultérieurement le noyau des djihadistes…), correspond chronologiquement au retour en Syrie du leader du PYD, Salih Muslim, né à Aïn al-Arab-Kobanê en 1951. Celui-ci, étudiant en Turquie dans les années 1970, avait côtoyé Abdullah Öcalan dans les années 1980, puis avait rejoint la branche syrienne du PDK irakien de Mustafa Barzani (le célèbre père de Massoud), avant de le quitter en 2003 au profit du PYD.  Il avait alterné depuis les années 1980 travail en Arabie saoudite, clandestinité, exil en Turquie et en Irak, et séjours dans les geôles syriennes. A partir de l’été 2011 donc, les Kurdes prennent le contrôle de leurs régions, rebaptisées « Rojava » (« L’ouest« ). Mais la situation politique a évolué au Rojava de manière sensiblement différente qu’en Irak. La diversité initiale des forces politiques a laissé place à une hégémonie croissante du PYD sur les autres partis ou courants, par la force le plus souvent, avec pour résultat leur mise sous tutelle. Car le PYD s’est ouvertement révélé être la branche syrienne du PKK de Turquie. En témoigne, si besoin était, l’iconographie politique de ce parti (photo ci-dessus) : les couleurs, les symboles, les portraits omniprésents du « cher leader » A.Öcalan. Le mode de fonctionnement est « classiquement » marxiste-léniniste  : le parti dirigeant et ses alliés (une nébuleuse de plus de 30 groupes, blocs, initiatives, associations, typique des systèmes communistes d’autrefois) ; ses organisations de masse pour les jeunes, les femmes, les ouvriers, les paysans, etc. ; ses syndicats, ses clubs sportifs, ses milices armées (le YPG), le culte de la personnalité (celle d’Öcalan), etc.

Un épisode de novembre 2013, passé relativement inaperçu, a attesté d’un mode de fonctionnement politique, et d’une culture politique qui paraît parfois d’un autre âge, et qui n’auront surpris que ceux qui n’ont pas connu les partis ou groupes marxistes-léninistes des années 1970, dont le PKK et le PYD restent des formes de buttes-témoins orientales. L’annonce de la création d’une « administration provisoire pour les régions du Kurdistan de l’Ouest« , a immédiatement suscité une vive irritation dans les rangs de « l’opposition modérée » syrienne, attachée à l’unité nationale toutes ethnies et confessions confondues. Certes, le texte prévoit une « autonomie démocratique », avec comme programme adopté par une assemblée législative « la démocratie, le socialisme, l’écologie et le féminisme ». Et la laïcité de fait garantit également la liberté religieuse et confessionnelle. Mais la manière dont cela est mis en place, dans la vieille tradition du saucissonnage politique  et du « front unique des forces progressistes », ne laisse pas d’être problématique. Y compris au sein du mouvement kurde lui-même : le 14 novembre, le président du Kurdistan d’Irak Massoud Barzani a ainsi accusé le PYD « d’essayer par la force des armes et en accord avec le régime syrien d’imposer un état de fait et de faire croire qu’il contribue à la révolution dans le Kurdistan de l’Ouest. Mais de quelle révolution parle-t-il et contre qui la mène-t-il ? En réalité, c’est le régime qui lui a livré les régions » qu’il contrôle… Barzani réagissait ainsi à la marginalisation par le PYD de la branche syrienne de son organisation PDK. Et ce n’est sans doute pas l’effet du hasard chronologique si M.Barzani a alors tenu un grand meeting conjoint avec le premier ministre turc Erdoğan à Diyarbakır  (la « capitale du Kurdistan de Turquie« ) , avec concert des chanteurs à succès Sivan Perver et Ibrahim Tatlises. L’affaire était apparue à l’époque comme un avertissement sans frais à Saleh Muslim.

On portera au crédit du PYD (comme de sa maison-mère le PKK d’ailleurs) la place faite aux femmes dans l’organisation militaire : un tiers des forces combattantes serait composés de femmes, qui occupent y compris des fonctions de commandement. C’est d’ailleurs une femme qui commande les défenseurs kurdes à Kobanê.  Le contraste est là particulièrement fort avec les mouvements djihadistes sunnites arabes, même si quelques « soeurs » en niqab circulent armées de kalachnikov dans les rues de la « capitale » de l’EI, Raqqa. On soulignera aussi que ce sont les combattants du PYD qui, sans pratiquement aucune aide extérieure, ont exfiltré des confins du nord-ouest de l’Irak des milliers de personnes prises dans la nasse de l’Etat islamique en juin-juillet : en particulier des « minoritaires », kurdes comme arabes, chrétiens, yézidis, yarsanis, etc.

Au plan international, eu égard à ses liens avec le PKK, le PYD s’inscrit plutôt dans des orientations « anti-impérialistes » -comprendre anti-occidentales. En décembre 2013, Salih Muslim, à la tête d’une délégation du PYD, s’est rendu en visite officielle à Moscou, reçu en particulier par des officiels au Kremlin (le vice-ministre des Affaires étrangères), au patriarcat de Moscou (un conseiller du patriarche Cyrille), et par des députés de Russie Unie (le parti poutinien) et des députés nationalistes à la Douma. S.Muslim s’inscrit là dans la tradition politique remontant aux années 1980-1990 de soutien de Moscou au PKK, qui avait à l’époque pignon sur rue politique à Damas, et ses camps d’entraînement militaire dans la Bekaa libanaise contrôlée par l’armée syrienne. Toujours en décembre, une délégation du PYD s’est rendue à Pékin « à l’invitation du gouvernement chinois » selon l’agence de presse du Rojava, Firat News Agency.

Du coup, depuis 2011, le PYD s’est fait beaucoup d’ennemis, en interne et à l’extérieur : les groupes kurdes qui refusent l’inféodation au PYD; les « opposants modérés » au régime de Damas, arabes ou kurdes, qui considèrent que le Rojava du PYD a trahi la cause démocratique initiale, et fait objectivement le jeu de Damas ; les nationalistes arabes anti-Kurdes, qui ne veulent pas d’une partition du territoire syrien ; les islamistes djihadistes qui veulent réduire les Kurdes en Syrie comme en Irak à la portion territoriale la plus réduite possible ; le KRG irakien, qui ne veut pas que le PKK s’implante territorialement hors de Turquie, en Syrie et en Irak. Et surtout, la Turquie, qui ne veut pas que le PKK turc dispose d’une base arrière solide en Syrie. Lequel PKK, organisation révolutionnaire et anti-impérialiste reste, faut-il le rappeler, classé comme « organisation terroriste » par la Turquie et la plupart des Etats occidentaux.

La Turquie ne veut pas d’une victoire du PYD, donc du PKK, à Kobanê

En Turquie, où la guérilla du PKK a commencé il y a plus de 30 ans, le « grand dirigeant »  Abdullah Öcalan (qui a longtemps été un protégé du régime baasiste d’Hafez Al-Assad, avant que celui-ci ne soit contraint de le « lâcher », sous la menace d’une intervention militaire turque) est emprisonné depuis 1999, mais continue à diriger le mouvement depuis sa cellule, via ses avocats et des députés pro-kurdes du BDP puis du HDP. L’AKP est engagé depuis plusieurs années dans une négociation politique aussi compliquée qu’opaque avec le PKK, pour obtenir un renoncement définitif  à la lutte armée moyennant des concessions culturelles, linguistiques, voire politique (décentralisation). Pour autant que l’on sache, les discussions ont connu trois phases depuis 2009: une phase dite « d’ouverture démocratique » en 2009-2010, par des négociations avec le parti pro-kurde du BDP; un « processus d’Oslo », des négociations secrètes avec le PKK, en 2010-2011; et un « processus de règlement » depuis fin 2012, menée avec A.Öcalan via le chef des services de renseignement turcs (MIT), Hakan Fidan, et par l’entremise de députés pro-kurdes du HDP.  Mais tout ceci est extrêmement fragile. Ankara joue donc aussi ces dernières années la carte du KRG d’Irak pour contenir le PKK: ce n’est donc pas pour voire surgir à sa frontière syrienne un territoire kurde quasi indépendant pro-PKK et pro-Assad. Ankara a d’ailleurs reçu Salih Muslim début octobre pour « discuter des dossiers urgents » avec lui. Lors de sa conférence de presse, Muslim a regretté que la Turquie ne l’autorise pas à faire transiter des combattants vers Kobanê, et a reconnu que le KRG d’Erbil avait refusé de lui fournir de l’aide.

C’est bien à cette aune qu’il faut lire la bataille de Kobanê vue d’Ankara (et d’Erbil). La Turquie, qui a du ouvrir sa frontière à plus de 200000 réfugiés principalement kurdes fuyant l’offensive de l’EI, ne veut pas d’une victoire du PYD (ou plutôt de ses « forces de défense », les milices YPG) et des volontaires du PKK qui ont franchi la frontière pour aller se battre contre l’EI. Car ce serait une victoire politico-militaire du PKK, et l’on comprend pourquoi Kobanê est devenue un symbole (« la ville martyre ») pour les Kurdes de Turquie et d’une diaspora en Europe occidentale largement acquise au PKK. Les forces politiques kurdes ou pro-kurdes s’activent  en Turquie même pour faire pression sur l’AKP, et au plan international en saisissant le secrétaire général de l’ONU soulignant le déséquilibre entre le soutien à l’intervention internationale contre l’EI en Irak, et le peu de réaction au drame de Kobanê en Syrie.

Iran : une intervention directe en Irak contre l’EI, et des frémissements pro-kurdes

La République islamique réussit pour le moment, via des pasdarans omniprésents dans l’ouest, à contrôler étroitement ses régions kurdes, et à verrouiller la frontière avec la Turquie et l’Irak, pour éviter contamination et circulations. Mais la République islamique est pleinement concernée par la situation. Elle est au premier rang en Irak, face à l’Etat islamique : soutien politique au nouveau premier ministre à Bagdad, Haïdar Al-Abadi, qui travaille à former un gouvernement d’union incluant les forces politiques, ethniques et confessionnelles que la politique chiite sectaire de son prédécesseur Nouri Al-Maliki avait marginalisées ; soutien militaire de la force Al-Qaods des pasdarans à une armée irakienne débandée, et à des milices chiites motivées, mais peu opérationnelles. Le discours officiel sur Kobanê est une critique de « la passivité de la communauté internationale » face à l’offensive de l’EI: il faut donc soutenir le gouvernement syrien dans sa lutte contre « tous les terroristes ». Quelques frémissements laissent  supposer que la situation à Kobanê concerne une partie de la population : quelques modestes manifestations non officielles à Téhéran de soutien à Kobanê et de dénonciation de l’Etat islamique (cette dernière pouvant éventuellement être lue au deuxième degré comme une critique de la République islamique, comme avaient pu être lues les manifestations de l’opposition verte de soutien aux « révolutions arabes » et contre « la dictature », voire « le dictateur » en février 2011) ; des communiqués du PJAK, organisation kurde iranienne clandestine proche du PKK turc, de soutien aux combattants de Kobanê).

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On l’aura compris, dans le « Grand Jeu » régional autour de l’Etat islamique et de la « question kurde », du point de vue des Occidentaux, il y a « les bons Kurdes » (on serait presque tenté de dire « Nos bons Kurdes », pour paraphraser le vocabulaire paternaliste de la période coloniale ou mandataire): ceux d’Irak. Et les autres. Ceux du Rojava, en Syrie, posent problème à Ankara d’abord, à certains Occidentaux ensuite, parce que le PYD est étroitement lié au PKK turc (toujours « organisation terroriste » pour Ankara et les Occidentaux), soutenu par Moscou, peu soucieux des autres forces politiques kurdes, et finalement allié au régime de Damas. Quand au PKK de Turquie, tout dépendra de l’évolution de la bataille de Kobanê, des décisions d’Abdullah Öcalan du fond de sa cellule de l’île d’Imralı, et des choix stratégiques du président turc. Soit les négociations ouvertes il y a plus de deux ans entre le PKK et l’AKP continuent -sans d’ailleurs aucune certitude qu’elles débouchent vraiment. Soit elles sont rompues, au risque de réenclencher un cycle de la violence armée dans toute la partie orientale du pays, et en particulier le long des frontières syrienne et irakienne… Öcalan a d’ailleurs menacé : «Si Kobané tombe, le processus de paix est mort.»

Les sources :

> Une publication récente (août) sur les différentes composantes de la « question kurde »:

ROMANO David, GURSES Mehmet (dir.), Conflict, Democratization, and the Kurds in the Middle East: Turkey, Iran, Iraq, and Syria, Palgrave Macmillan , 8/2014, 336p.

> Pour l’organigramme extraordinairement complexe des forces politiques kurdes principalement en Syrie dans leurs relations avec les Kurdes d’Irak et de Turquie, cf. Hélène LACROIX, The Kurds and Rojava. State building in the Syrian War, MESOP online, 27/2/2014 : 

http://www.mesop.de/2014/02/27/the-kurds-rojava-state-building-in-the-syrian-war-by-dr-helene-lavoix-red-team-analysis/

> Pour les liens PKK-PYD et PYD-régime de Damas, cf., par exemple:

Allan KAVAL, Kurdes, l’autre visage du conflit syrien, article publié le 18/10/2013 sur le site Les Clés du Moyen-Orient:
http://www.lesclesdumoyenorient.com/Kurdes-l-autre-visage-du-conflit.html