> Article J-P.Burdy: « La République islamique d’Iran au coeur de recompositions potentielles au Moyen-Orient, 2001-2014« , dans le Dossier « L’Iran, nouvelle puissance régionale? »  de la revue Diplomatie, septembre-octobre 2014, p.40-46

La montée en puissance idéologique et territoriale de l’Etat islamique, à cheval sur le nord-est de la Syrie et le nord de l’Irak, traduit l’affaiblissement impressionnant de plusieurs des principaux Etats arabes de la région  – la Syrie, l’Irak, mais aussi l’Egypte. Cette déliquescence endogène et exogène des Etats, qui s’accompagne d’une remise en cause des frontières héritées des partages d’influence de Sykes-Picot en 1915-1916, résulte de facteurs multiples et intriqués, internes (l’épuisement total des idéologies nationales-arabes des années de la décolonisation ;la délégitimation de régimes républicains devenus dictatures claniques kleptocratiques et aux prétentions dynastiques ; le choix de politiques néo-libérales qui laissent à l’abandon la majorité des populations et des territoires périphériques, alors que les clans au pouvoir accaparent les richesses, etc.) et externes (les prétentions récurrentes de certaine puissance occidentale à « imposer la démocratie » et le néolibéralisme au « Grand Moyen-Orient » ; la manne financière des pétromonarchies du Golfe, aux fins de propagation du salafisme sunnite radical, etc. ). Dans la dernière décennie, l’Iran, du fait de son programme nucléaire, a été abondamment présenté comme la principale menace pour la sécurité régionale, voire pour l’Occident. A l’heure où Daech est installé à Paris ce 15 septembre comme la « nouvelle menace terroriste radicale » pour l’Occident, il est sans doute important de relire, au-delà des stigmatisations idéologiques intéressées, le rôle que l’acteur étatique iranien joue et peut jouer au Moyen-Orient. D’où l’intérêt de la livraison de septembre-octobre 2014 de Diplomatie-Affaires stratégiques et relations internationales, qui consacre son dossier central à « L’Iran, nouvelle puissance régionale ? », auquel nous avons contribué.   JPB

L’Iran, puissance régionale? no spécial de Diplomatie no 70, 2014

La montée en puissance idéologique et territoriale de l’Etat islamique, à cheval sur le nord-est de la Syrie et le nord de l’Irak, traduit l’affaiblissement impressionnant de plusieurs des principaux Etats arabes de la région – la Syrie, l’Irak (où l’Etat a été démantelé en 2003 par les Américains, qui ont dissous et l’armée et le parti Baas, soit les deux forces structurantes du pays), mais aussi l’Egypte (désormais incapable, depuis des années, de contrôler la péninsule du Sinaï). Cette déliquescence des Etats, qui s’accompagne d’une remise en cause des frontières héritées des partages d’influence de Sykes-Picot en 1915-1916, résulte de facteurs multiples et intriqués, internes (l’épuisement total des idéologies nationales-arabes des années de la décolonisation ;la délégitimation de régimes républicains devenus dictatures claniques kleptocratiques et aux prétentions dynastiques ; le choix de politiques néo-libérales qui laissent à l’abandon la majorité des populations et des territoires périphériques, alors que les clans au pouvoir accaparent les richesses, etc.) et externes (les prétentions récurrentes de certaine puissance occidentale à « imposer la démocratie » et le néolibéralisme au « Grand Moyen-Orient » ; la manne financière des pétromonarchies du Golfe, aux fins de propagation du salafisme sunnite radical, etc. ). Dans la dernière décennie, l’Iran, du fait de son programme nucléaire, a été abondamment présenté comme la principale menace pour la sécurité régionale, voire pour l’Occident. A l’heure où Da’ech est installé à Paris ce 15 septembre comme la « nouvelle menace terroriste radicale » pour l’Occident, il est sans doute important de relire, au-delà des stigmatisations idéologiques intéressées, le rôle que l’acteur étatique iranien joue et peut jouer au Moyen-Orient. D’où l’intérêt de la livraison de septembre-octobre 2014 de Diplomatie-Affaires stratégiques et relations internationales, qui consacre son dossier central à « L’Iran, nouvelle puissance régionale ? », auquel nous avons contribué.

Sous le titre « La République islamique d’Iran au cœur de recompositions potentielles au Moyen-Orient, 2001-2014 », nous articulons les axes structurants des années 1990-2000 (antiaméricanisme, nucléaire, sanctions) avec les conséquences de la guerre en Syrie (où Téhéran soutient le régime de Damas) sur la consolidation des affrontements entre puissances régionales rivales au Moyen-Orient. L’Arabie saoudite wahhabite a largement contribué à confessionnaliser ces rivalités (sunnisme vs chiisme), de même que le sectarisme du chiite Nouri Al Maliki en Irak. L’irruption récente de l’Etat islamique au Nord-Irak, à partir de sa double matrice irakienne du milieu des années 2000 et syrienne depuis 2012, est susceptible de faire bouger les lignes. S’il paraît difficile de concevoir une coalition internationale contre Daech sans l’Iran, acteur majeur en Irak comme en Syrie, on peut cependant s’interroger sur la place centrale accordée à Riyad et à certains autres Etats du Conseil de coopération du Golfe (principalement le Koweït et le Qatar), dont on sait qu’ils ont été ces dernières années les principaux pourvoyeurs idéologiques et financiers des djihadistes sunnites radicaux, au nom de la lutte contre le régime de Bachar Al-Assad, mais surtout contre le chiisme, et pour le containment de la République islamique d’Iran

Marie Ladier-Fouladi, analysant « Un an de présidence Rohani », souligne l’activisme diplomatique d’un président qui apparaît comme un super-ministre des Affaires étrangères -il a été pendant 15 ans secrétaire général du conseil de sécurité nationale. L’auteure estime d’ailleurs que le déblocage diplomatique en quelque sorte la mission qui lui a été confiée par le Guide (en consensus avec l’ancien président Rafsandjani) quand il a été autorisé à se présenter à l’élection. Mais, du coup, le contraste est fort avec l’inertie de la politique intérieure, alors que les défis socio-démographiques et économiques restent majeurs. Dans le domaine économique, Rohani semble continuer largement à pratiquer la politique de subventionnement de son prédécesseur ; et, dans tous les domaines (politique, religieux, presse, etc.), la politique de répression ne s’est pas atténuée, et le bilan des droits de l’homme reste désastreux.

Clément Therme, traitant de « L’Iran et la « communauté internationale » : la normalisation impossible ? », souligne que les dirigeants iraniens demeurent profondément divisées entre deux options : la confrontation maintenue avec l’Occident, et la sortie de l’isolement diplomatique et économique. Un an après l’élection de Rohani, le bilan de l’ouverture paraît mitigé. Le nouveau président a cherché à rééquilibrer les priorités de la diplomatie iranienne au nom des « intérêts nationaux », loin des slogans révolutionnaires d’Ahmadinejad. Mais ces nouvelles orientations se heurtent à des débats internes opaques, et à de franches oppositions (en particulier au sein des Gardiens de la Révolution, au nom d’intérêts idéologiques et économiques bien compris). Le nouveau président n’est pas sûr de sortir victorieux de ces tensions. Le pragmatisme semble cependant devoir s’imposer à une diplomatie iranienne confrontée à des enjeux régionaux majeurs, dans le dossier syrien, mais plus encore, depuis quelques mois, dans une crise irakienne qui l’implique directement pour des questions de voisinage et d’enjeux confessionnels -l’Etat islamique, djihadiste sunnite, étant au moins autant anti-chiite qu’anti-occidental. Et, après une décennie pendant laquelle l’Iran en voie de nucléarisation a été présenté comme la principale menace sécuritaire pour le Moyen-Orient, l’Occident a désormais besoin de l’acteur étatique iranien dans sa coalition anti-djihadiste. Les acteurs djihadistes non-étatiques -même si l’Etat islamique est en voie d’institutionnalisation, étant sans doute beaucoup plus déstabilisateurs que la République islamique.

Tristan Hurel analyse les enjeux et les perspectives du pétrole iranien, sous le titre : « L’éventuel retour de l’Iran sur le devant de la scène pétrolière : une perspective en demi-teinte ». Troisième producteur mondial de gaz (et détenteur des deuxièmes réserves mondiales), et sixième producteur de pétrole (et détenteur des quatrièmes réserves), Téhéran reste un acteur de référence. Mais des décennies d’isolement et de sanctions, de vieillissement de l’appareil productif et de législation peu favorable aux investisseurs étrangers, rendront l’éventuelle réintégration de l’Iran sur le marché mondial plutôt difficile. Celui-ci a beaucoup changé en trois décennies : affaiblissement de l’OPEP (dont l’Iran impérial était un des membres fondateurs), nouveaux producteurs (du côté des BRICS, en Afrique et en Amérique du Sud), nouvelles perspectives ouvertes par les pétrole et gaz de schiste (en particulier aux Etats-Unis), etc Dès lors, les très gros investissements dont l’industrie iranienne des hydrocarbures a besoin ne sont peut-être pas prioritaires pour les Occidentaux.

Thierry Coville s’interroge enfin sur « Les perspectives économiques et commerciales » pour un Iran tirant l’essentiel de ses ressources des hydrocarbures, mais traversant une grave crise économique, surtout depuis 2012. Une crise autant structurelle que conjoncturelle, qui témoigne au minimum et de l’impéritie de la période Ahmadinejad, et de l’efficacité des sanctions internationales. L’élection de Rohani, et le déblocage des négociations nucléaires, laissent entrevoir de nouvelles perspectives économiques, sous réserve que les négociations réussissent et que les sanctions soient levées. Rien n’étant acquis à ce jour, les freins existant aussi bien au sein du régime iranien qu’au cœur du système politique américain.

Concernant la zone Méditerranée-Moyen-Orient, cette livraison de Diplomatie comprend également:

  • une analyse de Jean Marcou sur la récente élection, pour la première fois au suffrage universel direct, du nouveau président de la République de Turquie, l’ex-premier ministre Recep Tayyip Erdogan ;
  • une autre analyse de Jean Marcou sur « La « nouvelle » Egypte d’Abel Fatah al-Sissi ».
  • et un dossier sur le Maroc, abordant et les questions de politique intérieure (« Le désenchantement du PJD ») et de politique étrangère (insistant sur le rôle central du roi et du makhzen).

Voir l’article de Diplomatie en pdf: