
La place de la Perle à Manama, ou l’impressionnante territorialisation confessionnelle de l’affrontement politique au Bahreïn en 2011-2012.
En février-mars 2011, l’épisode le plus remarqué du « printemps de Manama » a été l’occupation de la place de la Perle, souvent comparée à celle de la place Tahrir, au Caire. Mais, le conflit politique au Bahreïn restant très largement fondé sur des tensions socio-confessionnelles, la Perle était moins une centralité urbaine que le point de convergence des quartiers chiites de la périphérie de Manama. Alors que le pouvoir et la base sociale de la dynastie tribale sunnite des Al Khalifa sont surtout installés dans un « bastion sunnite » au centre de l’île, hors de la ville capitale, l’opposition, majoritaire et chiite, est ancrée dans le vieux centre ville de Manama et dans les « villages chiites » du nord-ouest et du nord-est. La séquence bahreïnie des « révolutions arabes » de 2011 est donc restée fondamentalement marquée par le conflit chiites-sunnites, dans des formes et une inscription dans l’espace urbain qui rappellent celles du conflit d’Irlande du Nord, à Belfast par exemple.
Notre communication sur Manama au colloque international de Lyon, 29-30 octobre 2012:
« Villes, acteurs et pouvoirs dans le monde arabe et musulman »
Commentaire de la carte de la page de titre (cliquez pour l’agrandir): la cartographie de 250 manifestations entre mars 2011 et août 2012 confirme l’impressionnante territorialisation confessionnelle du conflit.
La vingtaine de manifestations sunnites pro-régime (étoiles rouges) se déroulent dans des zones et selon des trajectoires correspondant soit à des lieux symboliquement connectés au pouvoir sunnite (la mosquée sunnite al-Fateh, en face du palais Gudaibiyah du premier ministre), soit à des espaces à peuplement quasi exclusivement sunnite : Muharraq, bastion sunnite central autour de Rifaa (en violet: peuplement sunnite).
Les quelques 230 manifestations chiites d’opposition sont tout aussi inscrites dans des espaces historiquement peuplés de chiites (en noir: zones ayant élu des députés chiites en 2010) : le vieux centre de Manama, les « villages chiites » du nord-nord-ouest et du centre-est. Elles ne peuvent pas déborder sur le bastion sunnite central, fortement sécurisé.
Dès
lors, l’analyse spatiale du « Printemps de Manama » (14 février-15
mars 2011) et de la répression ultérieure montre que l’opposition démocratique
au régime autoritaire n’a pas pu dépasser la contradiction politique, sociale,
confessionnelle et spatiale fondamentale opposant pouvoir sunnite et opposants
chiites.
Résumé:
La place de la Perle à Manama, ou l’impressionnante territorialisation confessionnelle de l’affrontement politique au Bahreïn en 2011-2012.
En février-mars 2011, l’épisode le plus remarqué du « printemps de Manama » a été l’occupation de la place de la Perle, souvent comparée à celle de la place Tahrir, au Caire. Mais, le conflit politique au Bahreïn restant très largement fondé sur des tensions socio-confessionnelles, la Perle était moins une centralité urbaine que le point de convergence des quartiers chiites de la périphérie de Manama. Alors que le pouvoir et la base sociale de la dynastie tribale sunnite des Al Khalifa sont surtout installés dans un « bastion sunnite » au centre de l’île, hors de la ville capitale, l’opposition, majoritaire et chiite, est ancrée dans le vieux centre ville de Manama et dans les « villages chiites » du nord-ouest et du nord-est. La séquence bahreïnie des « révolutions arabes » de 2011 est donc restée fondamentalement marquée par le conflit chiites-sunnites, dans des formes et une inscription dans l’espace urbain qui rappellent celles du conflit d’Irlande du Nord, à Belfast par exemple.
The Pearl Roundabout in Manama, or the impressive religious territorial roots of the political dispute in Bahrain in 2011-2012
In February-March 2011, the most noted episode of the « Manama Spring » was the occupation of the Pearl Roundabout, often compared to the occupation of Tahrir Square, Cairo. But, because the political conflict in Bahrain remains largely based on socio-religious tensions, the Pearl was much less of a downtown central hub as the point of convergence of the Shi’i neighbourhoods on the outskirts of Manama. While the power and the social bases of the Al Khalifah tribal Sunni dynasty are mostly anchored in a « Sunni stronghold » in the center of the island away from the capital city, the opposition, and Shi’a majority, is rooted in the Manama old city center, and in the « Shi’i villages » in the north-west and north-east. The Bahraini sequence of the 2011 « Arab revolutions » thus remained basically marked by the Sunni-Shia conflict in forms, and an adaptation to the urban space, reminiscent of the conflict in Northern Ireland, and specifically in Belfast.