BHL à Benghazi, avec N.Sarkozy et D.Cameron, 15 septembre 2011


Les acteurs de la politique étrangère ne sont pas tous des permanents apparaissant sur les organigrammes de la cellule diplomatique de l’Elysée et du Quai d’Orsay. Des affaires récentes ont ainsi rappelé l’existence de conseillers occultes et autres porteurs de valises. Mais il existe aussi, depuis toujours, des acteurs (et actrices) tout à fait officiels, chargé(e)s de missions d’ampleur variable, et de plus ou moins longue durée. Autour du conflit proche-oriental, et des « révolutions arabes », les dernières semaines en ont donné plusieurs exemples, auxquels les étudiants préparant l’épreuve de « Questions internationales » des concours administratifs ont du prêter attention.

On peut ainsi souligner le  rôle de l’intellectuel Bernard-Henri Lévy, à la manoeuvre depuis mars 2011 pour promouvoir les « rebelles libyens », et amener le président Sarkozy à prendre en urgence les positions radicales que l’on sait lors du soulèvement de Benghazi, puis tout au long de la guerre en Libye. Indépendamment du fond, son activisme (qui n’est pas nouveau: on se souvient de sa présence en Bosnie et à Sarajevo, et une décennie plus tard de son soutien à l’intervention contre l’Irak en 2003) n’a pas manqué d’irriter quelque peu le ministre des Affaires étrangères, M.Alain Juppé, qui a découvert certains épisodes de cet activisme (dont l’un sur le perron de l’Elysée) sur ses écrans de télévision. Il a pu en lire la longue (plus de 660 pages)  transcription quelque peu romancée dans « La guerre sans l’aimer », que BHL a publié début novembre 2011 chez Grasset: une forme de « romanquête », comme dans « Qui a tué Daniel Pearl?« , qui traitait en 2003 de l’assassinat au Pakistan d’un journaliste américain.

De notoriété publique, M.Juppé avait posé comme condition à son arrivée au Quai d’Orsay, l’arrêt des interférences de tiers dans la définition et la mise en œuvre de la politique étrangère: c’était principalement M.Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, qui était visé, en tant qu’acteur majeur d’une diplomatie semi-secrète au Maghreb (Algérie, Libye), au Machrek (Syrie) et en Afrique sub-saharienne (Côte d’Ivoire). Sur ces terrains, ses missions avaient largement dépassé la lutte internationale contre le terrorisme, pour court-circuiter à de nombreuses reprises entre 2007 et 2010 un ministre des Affaires étrangères qui en a parfois été fort marri (en particulier sur les dossiers libanais, syrien et ivoirien).

Mme Hoffenberg et le président Sarkozy, lors d’un dîner à la Maison Blanche
(source: site AJC, Mme Hoffenberg- novembre 2007- cliquez pour agrandir)

Il a été mis fin il y a peu à la mission de Madame Valérie Hoffenberg, qui avait été nommée en août 2009 « représentante spéciale de la France pour la dimension économique, culturelle, commerciale, éducative et environnementale du processus de paix au Proche-Orient »1:: un intitulé qui avait laissé les diplomates de métier osciller entre la perplexité et l’irritation. Mme Hoffenberg était auparavant représentante en France de l’American Jewish Committee, groupe de pression américain pro-israélien 2. Sa  nomination s’est inscrite dans la volonté du président Sarkozy, et du ministre Bernard Kouchner, d’affirmer plus nettement qu’avant 2007 l’amitié franco-israélienne. Ce qui devait permettre à la France de pouvoir prétendre désormais jouer un rôle central dans la relance d’un processus de paix israélo-palestinien totalement bloqué. A plusieurs reprises pendant sa mission, les prises de position de Mme Hoffenberg ont toutefois été critiquées, y compris chez les diplomates, comme trop partisanes, et interférant avec le travail diplomatique dans la région 3. Ses rapports avec ses trois ministres de tutelle successifs (M.Kouchner, Mme Alliot-Marie et M.Juppé)  ont, semble-t-il, été houleux.

Depuis la fin de son mandat diplomatique,  Mme Hoffenberg est candidate UMP à l’élection des représentants des Francais de l’étranger, dans la 8e circonscription méditerranéenne qui va de Malte à Israël, via la Grèce, Chypre et la Turquie (tout un programme géopolitique !). C’est l’occasion incidente de souligner que le président de la République vient de confirmer l’existence du « secrétariat d’Etat aux Français de l’étranger », innovation dans la structure gouvernementale, dont le premier titulaire a été le judoka David Douillet, nommé en juin dernier; et dont le titulaire depuis ce 28 septembre est M. Edouard Courtial, jeune député UMP de l’Oise. Responsable national des fédérations UMP, Courtial est membre de la « cellule de riposte à la gauche » mise en place par M.Brice Hortefeux dans le cadre de la préparation des élections présidentielles. Le parti socialiste a dénoncé le maintien de ce secrétariat d’Etat, estimant que sa raison d’être principale était l’approche des échéances électorales de 2012 4.

Autre acteur plus récemment missionné, l’ancien premier ministre Edouard Balladur. On sait que les compétences acquises par les anciens premiers ministres font qu’ils sont souvent chargés de missions diplomatiques particulières. On se souvient ainsi que M.Jean-Pierre Raffarin, très apprécié en Chine depuis son voyage officiel pendant l’épidémie de SRAS en 2003, a été chargé par l’Elysée de restaurer les relations franco-chinoises en 2008-2009 5. M.Raffarin avait, plus tard, décliné le poste d’ambassadeur de France à Pékin qui lui était proposé par le président de la République. Et il a cosigné avec son épouse, en décembre 2010, un petit ouvrage « Ce que la Chine nous a appris« , fort apprécié des commentateurs chinois -c’est-à-dire du régime de Pékin. Cet ouvrage présente la particularité, pour l’instant au moins, de n’être édité qu’en chinois.

M.Edouard Balladur avait été nommé, le 5 juillet dernier, « envoyé spécial du G8, pour la mise en œuvre du partenariat de Deauville », « consacré au soutien aux pays arabes, dans leur transition vers des sociétés libres et démocratiques« . Sa mission a pris la forme, pour l’essentiel, d’une tournée dans les pays du Golfe persique, dont l’Arabie saoudite, principalement pour lever des fonds destinés à la relance des économies de trois pays arabes en voie de démocratisation, et réduire leur dette: la Tunisie, l’Égypte, et la Libye. M.Balladur a rendu compte de l’avancement d’étape de sa mission au président lundi 26 septembre. L’attention des journalistes étant,ce jour-là, monopolisée par le contexte politique intérieur -« Affaire Karachi », Affaire Sawari II » (rétrocommissions supposées lors de la vente de sous-marins au Pakistan, et de frégates à l’Arabie saoudite) et résultats des élections sénatoriales- on ne dispose pas encore, à l’heure où nous écrivons, d’un compte-rendu circonstancié de la mission de levée de fonds de M. Balladur.

NOTES:

1 La lettre de mission de Mme Hoffenberg est sur son site: http://valeriehoffenberg.wordpress.com/ma-mission/

2 Le site de l’AJC: http://ajc-france.blogspot.com/search/label/Photos

3 Le 27 juillet 2011, l’hebdomadaire satirique Le Canard Enchaîné a consacré un article très sévère à Mme Hoffenberg, sous la plume de Dominique Simmonot, et sous le titre « Beaucoup de moyens, peu d’Orient« .

La création de ce secrétariat d’Etat a été critiquée par le prof. Casasus, de Lausanne: http://www.marianne2.fr/Le-secretariat-d-Etat-aux-Francais-de-l-etranger-un-calcul-politicien_a207989.html# . Et, plus récemment: http://www.liberation.fr/politiques/01012362509-pour-le-ps-david-douillet-ne-doit-pas-etre-remplace

5 Les relations franco-chinoises étaient très dégradées au moment des JO de Pékin de 2008, sur la question des droits de l’homme; suite aux incidents ayant accompagné la tournée parisienne de la torche olympique; et suite au déplacement du dalaï-lama en France. L’ouvrage de JP.et A-Marie Raffarin, « Ce que la Chine nous a appris » est publié à Pékin aux éditions Shi jie zhi shi chu ban she, novembre 2010.