
Lundi 14 mars 2011, une colonne de véhicules blindés saoudiens d’un millier d’hommes -appartenant a priori à la Garde nationale, dans le cadre de la « Force Bouclier du Golfe » du Conseil de coopération du Golfe (CCG)- est entrée dans le royaume du Bahreïn par le pont-digue de 25km qui relie le continent à l’archipel (voir une vidéo de propagande: http://www.youtube.com/watch?v=_8k_C5fnOek) . Officiellement, ces forces ont été demandées par le gouvernement du Bahreïn, pour « sécuriser les installations stratégiques »: raffinerie, terminaux pétroliers et gaziers. Mais aussi… « les institutions financières ». L’opposition bahreïnie a immédiatement dénoncé « ce qui équivaut à une occupation de Bahreïn ».
Cette opération, sur laquelle on manque encore de détails, témoigne, comme nous l’avions souligné dans notre chronique du 5 mars, de l’extrême sensibilité du royaume saoudien au développement du mouvement de contestation de la monarchie bahreïnie. Avec une double hantise: la revendication démocratique, et l’appartenance au chiisme de la majorité des contestataires.
Le mouvement de contestation s’est radicalisé dans la deuxième semaine de mars. Les promesses d’un « dialogue national » par le monarque Hamad ben Issa al-Khalifa, qui en a confié la responsabilité au prince héritier, Salman ben Hamad al-Khalifa, n’ont pas suffit à calmer une opposition qui réclame avec insistance, entre autres, et outre l’établissement d’une véritable monarchie constitutionnelle, le départ du premier ministre et oncle du roi, Khalifa ben Salman al-Khalifa, en poste depuis 1971. Les manifestations se sont donc multipliées, à partir de la place de la Perle: vers le centre ville, en direction des palais officiels ; et à proximité des tours de verre du centre financier et bancaire de Manama. Elles ont été, à nouveau, et en particulier le 13 mars, violemment réprimées par la police, alors que des engagements de modération avaient été pris dans le cadre de l’annonce du « dialogue national ». Celle-ci avait été complétée par la promesse du roi de mettre en œuvre dans les plus brefs délais un programme de construction de 50000 logements sociaux –en réponse au sentiment de nombreux chiites d’être discriminés en matière d’accession au logement. Le Conseil de coopération du Golfe (CGC, 1981. Six membres: Arabie Saoudite, Koweït, Bahreïn, Qatar, Emirats Arabes Unis, Oman) avait d’ailleurs promis « une forme de Plan Marshall » d’aide économique décennale à Manama, pour financer ces projets de logements et d’infrastructures.
La tension politique n’est pourtant pas retombée dans le royaume. Elle s’est, au contraire, radicalisée.

Manifestation contre le roi, le prince-héritier et le premier ministre, début mars
– Alors que, suite aux affrontements de la mi-février, les manifestants scandaient à la fin du mois des slogans d’unité des chiites et des sunnites, on a pu observer les 3, 4, 9 et 10 mars, dans plusieurs villages de l’île, des heurts entre des chiites (majoritaires à 70% dans le pays, rappelons-le) et des sunnites. Ceux-ci ont organisé le 6 mars une importante contre-manifestation de soutien au régime.
– Alors que les oppositions (dans leur diversité transcendée: chiites, sunnites, société civile) s’inscrivaient dans une logique de forte pression sur le roi pour la négociation d’une réforme des institutions par une assemblée constituante, visant à installer une monarchie constitutionnelle et les libertés démocratiques, on a vu apparaître le 8 mars dernier, pour la première fois depuis des décennies, la revendication d’une disparition de la monarchie au profit d’un régime républicain. Cet appel a été lancé par trois groupes chiites, sous la bannière de la « Coalition pour une République bahreïnie » . Le tir a cependant été corrigé par les principaux partis et mouvements d’opposition, qui ont rappelé qu’ils se situaient toujours dans le cadre d’un régime monarchique maintenu, mais profondément réformé.
Toutefois, il est bien possible que cette poussée anti-monarchique à Manama ait à la fois exaspéré, et plus encore inquiété, la grande monarchie saoudienne voisine. La crainte d’une « contamination » du royaume par le grand mouvement qui secoue le monde arabe depuis le début de l’année, et surtout par les événements de Bahreïn, est évidente depuis le début. Elle n’est pas dénuée de fondements : on sait que la côte orientale saoudienne, la province du Hasa, à proximité de Bahreïn (région dont est, d’ailleurs, issue la dynastie bahreïnie au XVIIIe siècle), est majoritairement chiite. L’agitation y est endémique depuis des décennies. Or, cette région est absolument stratégique pour le royaume, puisque l’essentiel de ses ressources pétrolières, et nombre de ses grandes plates-formes industrielles, y sont concentrées. La Garde nationale saoudienne y est tout particulièrement déployée, pour y maintenir une surveillance étroite. Or, on a appris que, début mars, des manifestations de rue ont commencé dans plusieurs villes du Hasa, en général au sortir des grandes prières du vendredi. Des arrestations ont été signalées parmi les manifestants.
Si
les faits confirment la rumeur selon laquelle d’autres contingents
étrangers interviendraient au Bahreïn –des forces de police émiraties
sont apparemment déjà arrivées, on
assisterait pour la première fois à la mise en œuvre des clauses de
sécurité collective réciproque du Conseil de coopération du Golfe.
Initialement, le CGC avait comme
objectif principal, suite au déclenchement de la guerre Irak-Iran par
Saddam Hussein en
1980, d’assurer la sécurité des Etats du Golfe contre des menaces
extérieures.-ce qu’il avait cependant été bien incapable de faire lors
de l’invasion du Koweït par le même Saddam Hussein en 1990.
Mais si les troupes du CGC interviennent au Bahreïn pour mater la contestation politique, on entre désormais beaucoup plus dans la logique contre-révolutionnaire qui était celle des monarchies de la Sainte-Alliance née du Congrès de Vienne de 1815.
Ce mardi 15 mars, le roi du Bahreïn a proclamé l’état d’urgence pour une durée de trois mois. Concomitante de la contre-offensive du colonel Kadhafi contre les insurgés de Cyrénaïque, et d’une intervention saoudienne à Bahreïn dont il reste à mesurer l’ampleur et la portée, cette annonce du roi rappelle à l’historien qu’après le « Printemps des Peuples » de 1848, il y a eu, dès la fin de l’année et surtout en 1849, un « Automne des Peuples »….
Lundi 14 mars 2011, une colonne de véhicules blindés saoudiens d’un millier d’hommes -appartenant à la « Force Bouclier du Golfe »- est entrée dans le royaume du Bahreïn par le pont-digue de 25km qui relie le continent à l’archipel. Cette opération témoigne, comme nous l’avions souligné dans notre chronique du 5 mars, de l’extrême sensibilité du royaume saoudien au développement du mouvement de contestation de la monarchie bahreïnie.
Mardi 15 mars, intervenant en direct à la télévision, le roi a proclamé l’état d’urgence pour 3 mois. Cette annonce, concomittante de la contre-offensive du colonel Kadhafi contre les insurgés de Cyrénaïque, et d’une intervention saoudienne au Bahreïn dont il reste à mesurer l’ampleur et la portée, rappelle à l’historien qu’après le « Printemps des Peuples », de 1848 il y a eu, dès la fin de l’année, et surtout en 1849, un « Automne des Peuples »….