La mort du président Ebrahim Raïssi (et du ministre des Affaires étrangères Hossein Amir Abdollahian, ainsi que de plusieurs autres officiels) a ouvert un cycle de cinq jours de cérémonies de deuil officiel, qui se dérouleront successivement à Tabriz (ce mardi 21 mai, les médias officiels oscillent entre «des dizaines de milliers» et «des millions» de participants à la cérémonie), Qom, Téhéran et Machad. Les médias iraniens sont entièrement consacrés au « martyr Raïssi », et aux «rassemblements éplorés» des partisans du régime (par exemple sur une place centrale de Téhéran). Ils n’évoqueront évidemment pas une autre réalité, qui est pourtant apparue très vite sur les réseaux sociaux dès la nuit du dimanche au lundi: des manifestations de joie à l’annonce de la disparition de l’hélicoptère du président et ce, avant même que sa mort ne soit confirmée lundi matin à l’aube. En réalité dès que l’ayatollah Ali Khamenei, le guide suprême, a appelé dimanche « le peuple iranien à ne pas s’inquiéter » car « il n’y aura pas de perturbation dans l’administration du pays » – ce qui pouvait être considéré comme une forme de confirmation avant l’heure de la mort de Raïssi. La nouvelle de la disparition a été fêtée d’abord sur les réseaux sociaux (beaucoup de femmes sans voile chantant et dansant, et/ou buvant de l’alcool) puis, très rapidement, dans les rues de plusieurs villes, sous forme de feux d’artifice (en particulier à Saqquez, la ville natale de Mahsa Jina Amini, au Kurdistan iranien, mais aussi à Téhéran et dans plusieurs autres villes) et de pétards, de mèmes et de blagues de rue1.



Le bilan calamiteux du « boucher de Téhéran »

L’heure n’est donc pas à la tristesse pour tous les Iraniens et toutes les Iraniennes, eu égard au passé et au bilan présidentiel de Raïssi. Son passé de juge des tribunaux révolutionnaires, ayant multiplié, parfois à la chaîne, les condamnations à mort, lui a valu le surnom de « boucher de Téhéran ». Quand à son bilan présidentiel, après qu’il a été choisi par le régime en 2021 pour succéder au « conservateur réformateur » Hassan Rohani, et très mal élu, il est calamiteux : ses promesses de campagne de lutte contre la corruption n’ont évidemment rien changé, la corruption népotique des élites étant systémique dans le régime de la République islamique ; la corruption et l’impéritie des dirigeants expliquent que la situation économique n’a cessé de se dégrader, plongeant un nombre toujours croissant d’Iraniens dans la précarité ou la franche misère2 ; et surtout, Raïssi s’est illustré dans la répression sanglante et toujours persistante du mouvement des femmes après la mort de Mahsa Amini en 2022. La décision de réprimer vient certes du guide Khamenei au nom de la charia et de l’idéologie du voilement obligatoire, mais Raïssi a très largement contribué à durcir et la législation sur le voile (ordonnant récemment le retour massif de la « police des moeurs » dans l’espace public, qui s’acharne plus encore sur les filles et femmes non ou mal voilées), et la violence des condamnations par la justice : le nombre de condamnations à mort s’est envolé ces derniers mois.


Caricature de Paolo Lombardi 20/5/2024


Des condoléances d’une sincérité et d’une célérité variables

Pour ce qui est des condoléances officielles, on distinguera plusieurs catégories, au-delà des seuls usages diplomatiques applicables à la disparition d’un chef d’État. On aura relevé que se sont particulièrement empressés les « vrais amis » du régime de Téhéran, à l’aune de leurs partenariats stratégiques avec Téhéran : Xi Jinping (« Le peuple chinois a perdu un bon ami ») ; Poutine («Un politicien remarquable: en tant que véritable ami de la Russie, il a apporté une contribution personnelle inestimable au développement des relations de bon voisinage entre nos pays et a déployé de grands efforts pour les amener au niveau du partenariat stratégique»); Bachar al-Assad (qui a annoncé trois jours de deuil en Syrie). Et les proxies et autres dépendants des subsides et de l’encadrement iraniens : Hassan Nasrallah pour le Hezbollah libanais («Le président martyr était pour nous un grand frère et un appui solide, un grand protecteur des mouvements de résistance […], défenseur de la Palestine et de Jérusalem»), le Premier ministre libanais Mikati ayant parallèlement décrété trois jours de deuil; les dirigeants du Hamas (ceux de Doha, et ceux de Gaza); Mohammed Ali al-Houthi au Yémen («Une perte non seulement pour l’Iran, mais aussi pour l’ensemble du monde islamique, pour la Palestine et pour Gaza») ; la coalition irakienne des milices pro-iraniennes Hachd al-chaabi (« Le président Raïssi a toujours déclaré que l’Irak et l’Iran formaient un seul peuple qui ne peut être séparé»).

Les voisins immédiats ont présenté leurs condoléances de voisins plus ou moins politiquement ou économiquement proches, ou contraints par mitoyenneté, de l’Iran : la Turquie (qui met en avant un de ses drones Bayraktar qui aurait détecté la chaleur de l’incendie de l’hélicoptère, permettant ainsi aux sauveteurs iraniens localiser l’épave); l’Azerbaïdjan (le président Raïssi rentrait de l’inauguration, en compagnie du président Aliev, d’un barrage sur l’Araxe , alors que les relations bilatérales sont tendues ces dernières années, en particulier du fait des relations étroites de Bakou avec Israël); le Pakistan (qui avait reçu Raïssi il y a à peine un mois, venu rabibocher Téhéran et Islamabad après des échanges de tirs transfrontaliers au Baloutchistan) ; Oman (où se dérouleraient actuellement des négociations secrètes avec les Américains sur le nucléaire); l’Arabie saoudite et les émirats du Golfe (récemment réconciliés avec Téhéran). Même Bahreïn, dont les relations avec Téhéran sont historiquement exécrables, a déploré la mort du président Raïssi. Alors que des rumeurs complotistes courent sur «l’Elie Copter» de Raïssi (celui-ci ayant redécollé de la frontière irano-azerbaïdjanaise – voir ci-dessus), Israël s’est contenté d’un très sobre: «Ce n’est pas nous».

Les Occidentaux ont adressé à l’Iran de sobres condoléances – le service minimum requis selon les usages diplomatiques. On aura toutefois relevé les condoléances de Charles Michel au nom du Conseil européen : minimalistes certes, mais sans doute un peu trop précipitées dans leur envoi. L’assemblée générale des Nations Unies a respecté une minute de silence, ce qui renvoie sans doute à une majorité de ses membres se percevant comme appartenant à un « Sud global », certes divisé, mais pour lequel la démocratie et les droits humains ne sont pas une priorité, suivant en cela les préceptes anti-occidentaux de Pékin et de Moscou. Dans ce groupe, on aura relevé ainsi la déclaration du président sud-africain Cyril Ramaphosa: « C’est une tragédie extraordinaire, inimaginable dans laquelle a péri le dirigeant remarquable d’un pays avec lequel l’Afrique du Sud entretient de fortes relations bilatérales ». Ou encore celle du président vénézuélien Nicolas Maduro: « Nous sommes profondément attristés de devoir dire adieu à une personne exemplaire, un leader extraordinaire du monde comme l’est et le sera toujours notre frère Ebrahim, un excellent être humain, un défenseur de la souveraineté de son peuple et un ami inconditionnel de notre pays ». En revanche, le président brésilien a été particulièrement sobre: on avait connu Lula beaucoup plus engagé du côté de l’Iran – par exemple en mai 2010, lors de son premier mandat, quand il avait proposé un plan tripartite Brésil-Iran-Turquie sur le programme nucléaire iranien – une proposition alors rejetée d’emblée par les Occidentaux.

NOTES

1 Par exemple sur le vocable anglais chopper, qui se traduit et par hélicoptère, et par hachoir à viande; ou sur le hashtag persan #helikotlet, jeu de mots entre hélicoptère et kotlet (une galette iranienne à base de viande hachée)

2 Le nombre de grèves actuellement en cours ces dernières semaines en témoigne d’abondance : les enseignants, et les retraités des télécoms, dans tout le pays ; les chauffeurs routiers des régions de Shiraz et du Sistan-Baloutchistan ; les ouvriers du bâtiment à Chabahar, des ouvriers de la métallurgie, etc. Les retraités sont à l’évidence l’un des groupes les plus frappés par l’inflation, leurs pensions ne suivant pas.

SOURCES

Revue de la presse iranienne et des médias internationaux; réseaux sociaux.



Raïssi, la marionnette du guide Khameneï. Caricature d’Olivier Shopf, 2021