Logos du Hezbollah et des Gardiens de la Révolution iraniens (sur le site internet de Tsahal)

Enseignant à l’Université Libre de Bruxelles (ULB)  et chercheur à l’Ecole Royale Militaire de Belgique (ERM) , Didier Leroy a soutenu en 2010 une thèse de sciences sociales et politiques sur le Hezbollah libanais, publiée en 2012 sous le titre : « Hezbollah, la résilience islamique au Liban » (Editions L’Harmattan). Il est intervenu le 17 janvier 2014 devant le séminaire de recherche du GREMMO, à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée (Lyon). Synthèse de son intervention sur « La réalité de « l’Axe du refus » à travers l’exemple du Hezbollah,  de la révolution islamique aux soulèvements arabes »  par Jean-Paul Burdy et Jean Marcou (Sciences Po Grenoble, master Méditerranée-Moyen-Orient, MMO). Toutes les notes et références de bas de page sont toutefois de la seule responsabilité de J-P.Burdy.


Didier LEROY : « La réalité de « l’Axe du refus » à travers l’exemple du Hezbollah, de la révolution islamique aux soulèvements arabes », conférence au séminaire de recherche du GREMMO, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon, le 17 janvier 2014.

Didier LEROY : Introduction / Les paradigmes chimériques .

Les « axes » sont à la mode : l’Axe du mal (Axis of Evil) de G.W.Bush ; l ‘Axe du refus ou de la résistance (Axis of Refusal), Iran, Syrie, Hezbollah, Hamas ; l’Axe de la raison (Axis of Reason) promus par Israël, et comprenant principalement l’Egypte, la Jordanie, l’Arabie saoudite.… Quid donc de « l’Axe du refus », et plus spécifiquement de la place qu’y occupe le Hezbollah ?

Il convient de rappeler tout d’abord que le Hezbollah  est un « fait social complexe » (formule de Sabrina Mervin 1) qui fait l’objet d’une double lecture :

– d’un côté, le discours du terrorisme, tenu par Israël principalement, et par l’Union européenne depuis l’été 2013 2 ;

– de l’autre côté, le discours de la résistance, créé par le Hezbollah, avec le soutien de la Syrie et de l’Iran, et une forte capacité de mobilisation. Au-delà de ces deux discours idéologiques, il y a une réalité sociologique. Le Hezbollah est le parti politique le plus influent de la scène libanaise, le groupe armé le plus puissant du pays, le plus grand fournisseur d’aides sociales, la plus grande force de santé publique ; et une force culturelle, en particulier avec la forte audience de la chaîne télévisée Al-Manar. Après l’armée, c’est peut-être aussi le premier employeur du pays. Ces éléments de puissance ont permis à Elisabeth Picard de qualifier le Hezbollah « d’Etat dans un non-Etat. » 3

1/ L’évolution idéologique du Hezbollah peut être évaluée en 3 phases 4.

De 1978 à 1985, une première phase d’ idéologie religieuse à très forte influence iranienne, développée principalement dans la Bekaa, autour d’Abbas Moussaoui 5, co-fondateur du mouvement à partir de 1978, à partir d’une dissidence du parti Amal. Cette période est celle d’une forme de « proto-Hezbollah », le parti apparaissant à partir de 1982. De 1985- à 1992, s’ouvre une deuxième phase d’idéologie politique. Le point de départ en est la publication d’un manifeste dans le journal As-Safir en février 1985 6, ce qui mène à la participation du Hezbollah aux premières élections législatives post-guerre civile, en 1992. A partir de 1992 et jusqu’à nos jours, une troisième phase de programme politique : le Hezbollah se libanise, se « nationalise » et participe au jeu politique national 7 .

2/ Les évolution structurelles au plan militaire.

* Phase 1, de 1982 à 1990 : Pendant la guerre civile libanaise, le Hezbollah est considéré comme exerçant une forme de « jihad islamique ». Du fait d’un certain nombre d’attentats et d’enlèvements, il acquière une réputation de mouvement terroriste, et une labellisation terroriste internationale (de la part des Etats-Unis, du Canada, d’Israël, de certains Etats du Golfe et de certains pays européens…). En réalité, la polynymie des mouvements qui revendiquent à l’époque ces actions terroristes rend difficile leur attribution. Le Hezbollah ne reconnaîtra a posteriori qu’une douzaine « d’ opérations martyres «  dûment labellisées.

* Phase 2, de 1990 à 2000 : Elle est marquée principalement par la montée en puissance militaire au détriment de Amal. L’activisme du Hezbollah impose largement le désengagement de Tsahal du sud-Liban, qui passe sous le contrôle du parti. Emerge alors une sorte de «  modèle Hezbollah », dont la réputation (organisation + efficacité) s’étend à la fois au Liban et dans la région, y compris chez les non-chiites.

* Phase 3 , de 2000 à 2006 : C’est une période d’accalmie relative, qui permet au Hezbollah de s’enraciner militairement au sud-Liban, d’accroître fortement son arsenal et de l’enterrer. Il mène cependant une guerre d’usure contre Israël, notamment dans le secteur Est du positionnement de la FINUL, autour des fermes de Chebaa. Et il rappelle son existence par l’entretien « d’actes de résistance » contre Israël (tirs épisodiques sur des zones inhabitées et des objectifs non stratégiques)

* Phase 4 , de 2006 à 2013 : Elle s’ouvre par la guerre de juillet 2006, dite « Guerre des 33 jours », ou «Victoire divine » pour le Hezbollah, ou « Guerre du Nord » pour Israël. Chacune des parties revendique la victoire, alors que le bilan est dramatique pour le Liban, au plan des pertes humaines, des bombardements sur l’ensemble du territoire libanais, et tout spécialement sur la banlieue sud de Beyrouth (quartier d’Haret Hreik, fief du parti). C’est une non-victoire israélienne, et une non-victoire pour le Hezbollah. Toutefois, celui-ci a réussi à établir un nouveau rapport de force, une forme « d’équilibre de la terreur », en disposant de dizaines de milliers de roquettes (50000?), mais aussi de ressources humaines considérables et de qualité. On évoque le chiffre de 30 000 personnes permanentes payées, plus des brigades de miliciens mobilisables conservant leurs armes à domicile (une forme de modèle helvétique). Ces combattants sont formés sur place ou pour certains en Iran ; ils ont une formation religieuse et idéologique. Et ils sont dans une forte dépendance multiforme au parti, sur un modèle de « prise en charge de la naissance à la mort » (scolarisation, formation, dépendance socio-économique, soldes, soins, aides aux familles des martyrs, aides à la reconstruction après les destructions de 2006, etc.).

3/ L’Axe du refus rejette « L’entité sioniste  » (Israël) et combat  « l’hégémonisme américain « .

 Si on tape « Axe du refus » sur internet ou Google Images, on tombe immédiatement sur des illustrations tripartites : Bachar Al-Assad, Mahmoud Ahmadinejad, Hassan Nasrallah. Une forme de « trinité chiite » dont le Hamas palestinien est absent, ce qui amène d’entrée à relativiser l’idée courante et convenue (en réalité un piège) d’un « axe chiite ». Et on tombe vite également sur des caricatures « clientélistes », dans lesquelles le Hezbollah et le Hamas apparaissent comme des marionnettes manipulées par Téhéran. La réalité est évidemment plus complexe.

Les relations du Hezbollah à l’Iran : « L’Iran au Liban ? ».

La quasi similarité des logos respectifs du Hezbollah et des Pasdarans iraniens (Gardiens de la révolution iraniens) attestent des liens historiques très étroits entre l’Iran et le Hezbollah. Pour autant, le Hezbollah est-il « L’Iran au Liban » ?Ces liens sont non seulement évidents, mais ils sont très ouvertement invoqués et revendiqués, par exemple sur de nombreuses banderoles ou panneaux dans la banlieue sud de Beyrouth ou dans la Bekaa. Ce sont des liens intra- et inter-familiaux, bien connus entre les clercs libanais (tel Moussa Sadr, né à Qom, en Iran 8) et les clercs chiites irano-irakiens 9 . Ces relations remontent fort loin dans le temps, quand l’Iran safavide imposant le chiisme comme religion d’Etat en Perse a été aidé pour cela par des clercs libanais et bahreïnis. Ce sont aussi des pratiques religieuses communes à tout le monde chiite duodécimain. On remarquera toutefois que cela ne concerne pas les alaouites de Syrie, certes reconnus comme chiites par une fatwa de l’imam Moussad Sadr en 1973, mais de manière à la fois très théorique et circonstancielle : la remarque est importante, car elle relativise radicalement, là encore,  la théorie d’un « axe chiite » dont la Syrie serait un des piliers 10. Cette histoire relationnelle permet de rappeler que chacune des grandes communautés confessionnelles au Liban a un « parrain » extérieur : les sunnites ont l’Arabie saoudite, les maronites ont la France, et les chiites ont l’Iran.

La chronologie des relations Iran-Hezbollah est d’ailleurs instructive. Le slogan initial du mouvement était « Révolution islamique » et ne passera à « Résistance islamique » que plus tard. Alors que le marja’a de référence du parti Amal islamique libanais (pro-syrien) était le grand ayatollah irakien et quiétiste Ali al-Sistani, le marja’a de référence du Hezbollah (pro-iranien) était l’ayatollah Khomeyni : ce qui fait que, dès le début, le Hezbollah a adopté la théorie khomeyniste du velayat-e faqih, qui était (et est) pourtant loin de faire l’unanimité dans le monde chiite duodécimain. Dans le même ordre d’idées, c’est le Guide suprême iranien Khamenei qui a désigné directement, au sein de la shura du parti, deux des dirigeants du Hezbollah comme ses mandataires directs au Liban (dont Hassan Nasrallah, dès 1989 semble-t-il. ) Les relations bilatérales ont été plus tièdes sous la présidence de M.Khatami : quand celui-ci s’est rendu en visite officielle au Liban en 2003, le Hezbollah n’a pas été l’interlocuteur principal des officiels iraniens ; alors que le Hezbollah a largement pris en charge la tournée triomphale de M.Ahmadinejad au sud-Liban en 2010. L’aide maximale de l’Iran au Hezbollah a sans doute été atteinte après 2006, pour la reconstruction de Beyrouth-sud ravagé par les bombardements israéliens, avec une aide logistique et financière majeure pour la reconstruction d’ensemble, et des aides individuelles très importantes très vite versées aux familles dont les logements ont été détruits ou endommagés.

L’importance de la relation bilatérale est-elle susceptible d’évoluer après l’élection de H.Rohani à la présidence iranienne ? C’est peu probable, car la relation passe principalement par le Guide suprême, et non par le président de la République. Le Hezbollah suit donc les évolutions de la politique iranienne : en novembre dernier, le Hezbollah s’est déclaré satisfait de l’accord P5 + 1. Et déclare toujours que « le Hezbollah est l’Iran au Liban ! ». L’ancien ambassadeur d’Iran au Liban dans les années 1980, Ali Akbar Mohtashemi, avait un jour déclaré que « le Hezbollah [était]  l’enfant spirituel de l’Imam Khomeyni et de la révolution islamique » 11. Pour autant, quelle que soit sa très forte dette à l’égard de l’Iran, le Hezbollah a aussi toujours pris en compte d’autres références, par exemple les idées de l’ayatollah M.H.Fadlallah, disparu en 2010, et qui était considéré comme sa principale autorité religieuse 12: or Fadlallah était hostile à la théorie khomeyniste du velayat-e faqih. Le Hezbollah, parti libanais, dont tous les cadres sont actuellement libanais 13 , a donc été et est pragmatique dans ses relations étroites et multiformes avec l’Iran.

La relation du Hezbollah à la Palestine et au Hamas

Au-delà des discours de référence permanente à « la Palestine », la relation du Hezbollah à la cause palestinienne est plus ou moins méfiante. La Palestine apparaît comme une cause désincarnée, au-delà d’une sensibilité partagée à l’occupation israélienne (Ihtilal/احتلال ). En réalité, il y a un chiasme : un alignement idéologique fantasmé sur la cause palestinienne, et un calcul démographique très terre-à-terre. Il y a en effet au Liban un million de chiites, et environ 500000 Palestiniens sunnites, dont le Hezbollah ne souhaite pas voir l’intégration administrative par naturalisation, ce qui modifierait profondément l’équilibre confessionnel.

Quelques éléments de chronologie :

– Dans les années 1970, les chiites du sud-Liban ont souffert de l’hégémonisme et parfois des exactions des Palestiniens de l’OLP, maîtres du « Fatahland ». On notera d’ailleurs qu’une partie des chiites ont bien accueilli les chars israéliens en 1978 puis 1982…

– En 1985, lors de « la guerre des camps palestiniens », le Hezbollah soutient le Fatah contre les milices chiites du mouvement Amal pro-syrien.

– En 1988-1989, la guerre fratricide du: Hezbollah contre Amal débouche sur la victoire du Hezbollah. Les Accords de Taëf, en 1990, consacrent cette suprématie, et une forme de compromis : les Palestiniens restent armés et maîtres dans leurs camps (mais n’en sortent pas), et le Hezbollah acquiert le monopole de « la résistance à Israël ».

– A partir de 2000, le Hezbollah se rapproche du Hamas palestinien (sunnite), qui est ravitaillé en armes principalement par l’Iran, et dont la direction politique est installée à Damas. Dans une certaine mesure, la contribution du Hezbollah sera le transfert d’une partie de la martyrologie chiite dans la Palestine du Hamas,  en particulier via les canaux d’Al-Manar.

La crise syrienne depuis 2011 a modifié la donne, et a brisé la confiance entre le Hezbollah et le Hamas. En effet, celui-ci a rallié la cause des Frères musulmans syriens entrés en lutte contre le régime de Bachar Al-Assad. Le Hamas, longtemps hébergé à Damas a quitté la Syrie (fin 2011) pour Le Caire, puis Doha. Son principal dirigeant, Khaled Mechaal aurait ainsi fait « primer les nouveaux frères sur les anciens amis .14» L’année 2013 a aggravé les choses, avec la bataille de Qusseyr (mai-juin), engagement militaire majeur et désormais public du Hezbollah en Syrie. En effet, les combattants du Hezbollah y ont été victimes (morts et blessés) de techniques de piégeage des maisons qu’ils avaient enseignées aux combattants du Hamas. Qusseyr a été présenté par le Hezbollah comme une grande victoire militaire. Mais, outre les pertes en hommes qu’il y a subi, le Hezbollah a aussi du constater qu’il se retrouvait face à certains combattants du Hamas, ou à des rebelles syriens formés par le Hamas . La relation Hezbollah-Hamas apparaît donc désormais comme le maillon faible de l’Axe de la résistance, ce qui s’inscrit finalement dans une relation historique avec les Palestiniens contradictoire : le Hezbollah les soutient dans les Territoires, mais les contient au Liban même. Un retour de la confiance entre le Hamas et le Hezbollah devra donc sans doute passer par un changement de dirigeants du Hamas, notamment le départ de Khaled Mechaal15

La relation du Hezbollah à la Syrie

Alliance récente qui se solidifie, elle est à replacer dans contexte la relation de Damas avec le Liban, pays considéré comme l’élément central de l’influence régionale de la Syrie. Elle doit donc se comprendre dans le cadre de la politique des Assad pendant les trente ans d’occupation militaire (1976-2005) : « Divide ut regnes – Diviser [les Libanais] pour régner ». Mais on n’oubliera pas qu’il a aussi existé au Liban une concurrence entre Damas et Téhéran. On distinguera trois phases principales dans cette relation Hezbollah/Syrie. .

1/ De 1982 à 1993, une phase de tension(s) : La présence militaire syrienne au Liban commence en 1976, et s’appuie à la fois sur les chrétiens, et sur les chiites de Amal. Or, en 1982, la création du Hezbollah par les Iraniens apparaît à Damas comme une concurrence de Téhéran dans leur chasse gardée libanaise (en particulier dans la Bekaa), qui se traduit par l’affaiblissement de leur allié Amal. La tension est maximale en 1987, quand les Syriens exécutent 23 militants du Hezbollah dans une de leurs casernes. Damas essaye ensuite de rapprocher les deux formations chiites libanaises. Un premier accord syro-iranien en 1989 n’est pas respecté. Un deuxième accord en 1990 impose une alliance politique et électorale à Amal et au Hezbollah. Elle existe toujours deux décennies plus tard/

2/ De 1993 à 2000, une phase d’adaptation. Hassan Nasrallah devient secrétaire général de l’organisation en 1992. L’action du Hezbollah entraîne le retrait de Tsahal du sud-Liban, et Damas comprend que le Hezbollah est devenu une carte importante dans d’éventuelles négociations avec Israël. De son côté, le Hezbollah a de plus en plus besoin de Damas, et surtout de son aéroport, pour recevoir les cargaisons d’armes envoyées par Téhéran. Le territoire syrien est aussi un éventuel refuge appréciable pour les dirigeants ou cadres du Hezbollah lors des offensives israéliennes au Liban. La sécurisation par Damas de la longue frontière Syrie-Liban permet aussi au Hezbollah de se concentrer sur le front de la résistance au sud, sur la frontière libano-israélienne.

3/ Depuis 2000, une entente stratégique, illustrée depuis 2011. En 2000, l’arrivée au pouvoir de Bachar Al-Assad, moins méfiant que son père Hafez, et qui aurait une certaine fascination pour le Hezbollah, renforce donc une entente stratégique pragmatique et non-confessionnelle. Bachar Al-Assad a ainsi régulièrement organisé à Damas des rencontres tripartites avec les Iraniens et le Hezbollah -ce que son père n’avait jamais fait. En retour, les chiites du Liban, au-delà même du Hezbollah, manifesteront massivement en 2005, en particulier au sein du Mouvement du 8 mars, leur soutien à la Syrie, quand une forte pression au Liban même et à l’international contraint l’armée syrienne à quitter le pays. Cette entente Hezbollah-Damas va montrer toute son importance dans la guerre en cours en Syrie, par étapes : soutien politique du Hezbollah en 2011 : début d’un engagement non public de miliciens en 2012 ; intervention militaire massive et assumée à partir de la bataille de Qusseyr en mai-juin 2013.

On peut cependant apporter quelques bémols à cette entente Hezbollah-Syrie. Brièvement :

En conclusion sur « l’Axe du refus »

– Sur la longue durée, il apparaît que, derrière les différents protagonistes, il y a certes des intérêts communs, mais aussi des agendas propres, d’Etats ou d’organisations.

– Sur la durée, le Hezbollah est à la fois de plus en plus autonome par rapport à son « parrain » iranien et à son fournisseur syrien ; mais aussi de plus en plus dépendant, pour ses armes et pour ses financements.

– Il n’y a pas « d’axe chiite », mais des logiques de puissances et d’intérêts stratégiques et pragmatiques.

– Depuis la guerre en Syrie, le lien Hezbollah-Hamas est très fortement fragilisé. L’alliance Hezbollah-Syrie est plus construite et pragmatique. Le maillon fondamental et le plus solide est donc bel et bien la relation Hezbollah/Iran.

La discussion qui a suivi l’exposé de Didier Leroy a permis de préciser certains points.

1/ Sur le contrôle qu’exerce actuellement le Hezbollah sur la communauté chiite et sur les espaces chiites du Liban :

– La société chiite ne recouvre pas le Hezbollah et réciproquement. Même si des travaux récents tendent à montrer une autonomisation intellectuelle et économique d’une partie des chiites (en particulier chez les jeunes urbains), l’influence et le contrôle de l’organisation restent prégnants.

– Malgré les problèmes sécuritaires de ces derniers mois (attentats, enlèvements), on peut estimer que le Hezbollah continue à contrôler la banlieue sud. Même s’il a du concéder à l’Armée libanaise et parfois à la police des postes de contrôle routier -peu efficaces d’ailleurs : s’ils l’étaient, la circulation automobile serait largement paralysée entre le centre ville, l’aéroport et le sud.

– Dans la Bekaa, le contrôle du Hezbollah est plus problématique, traditionnellement à cause des clans et des familles qui font du trafic de drogue ; plus récemment à cause de la porosité de la frontière avec la Syrie, qui permet une intense circulation de combattants et de trafiquants.

2/ Didier Leroy a mobilisé pour ses recherches sur le Hezbollah et son évolution idéologique la théorie de la résilience (utilisée par les psychologues, dont Boris Cyrulnik). Dans le discours du Hezbollah, la résilience (muruna  / مرونة )apparaît plus forte que la résistance  (qaawima  / مقاومة). La résilience est le moyen de résister , mais aussi de surmonter la crise. Le Hezbollah est une structure résiliente, et a développé une idéologie résiliente. Celle-ci permet de sortir de la phase de désolation (l’invasion de 1982, les bombardements de 2006) par la phase de réparation (déclenchement de la résistance islamique ; reconstruction) pour arriver à la victoire et au triomphe (l’évacuation du sud-Liban en 2000, la victoire de 2006). La résilience s’inscrit d’ailleurs dans l’idéologie chiite et l’esprit de l’achoura : on est réprimé, on frôle la mort, mais on renaît toujours et on se reconstruit (cf. l’iconographie chiito-iranienne et hezbollahie de la branche qui repousse sur l’arbre mort ou coupé…)

3/ Dans le récent débat sur le mariage civil au Liban, avec le premier mariage civil entre un sunnite et une chiite (un contrat de mariage civil enregistré en avril 2013 ; leur fils né en septembre, premier nouveau-né inscrit « sans appartenance religieuse ») , le Hezbollah a condamné l’épisode, comme d’ailleurs les Aounistes du CPL.

NOTES

1  MERVIN Sabrina, Le Hezbollah, état des lieux, La-Tour-d’Aigues, Actes Sud, Coll. Sindbad, 2008, 356p.

2  LEROY Didier, « Hezbollah & blacklist: l’Europe se ferme beaucoup de portes au Liban », entretien à Ouest-France, 5/8/2013

http://international.blogs.ouest-france.fr/archive/2013/08/04/hezbollah-liban-ue-nasrallah-liste-noire-sanctions-finul-chi.html#more

3 In MERMIER Franck et PICARD Elizabeth (dir.), Liban, une guerre de 33 jours, La Découverte, Paris, 2007, 256 p., p.84-94.

4 On peut se référer à AVON Dominique et KATCHADOURIAN Anaïs-Trissa, Le Hezbollah, de la doctrine à l’action : une histoire du « parti de Dieu », Seuil, Paris, 2010, 282p. Trad.angl. : Hezbollah : A History of the « Parti of God » ? Harvard University Press, 2012, 256p.

5  Abbas al-Mussawi (1952-1992), né dans la Bekaa, formé à Najaf (Irak) quand l’ayatollah Khomeyni y était en exil. Il rentre au Liban en 1978, est un des co-fondateurs du mouvement en 1978 avec Subhi al-Tufayli. Il est ensuite responsable de l’appareil de sécurité du parti. Elu secrétaire général en mai 1991, il est tué par une attaque israélienne sur sa voiture au sud-Liban en février 1992 : son successeur est Hassan Nasrallah.

6  Le manifeste de 1985, qui unifie différents groupes, jure fidélité à l’ayatollah Khomeyni, appelle à la création d’un régime islamique et à l’expulsion des puissances étrangères présentes sur le sol libanais -principalement Israël.

7  Le président iranien de l’époque, Ali Akbar Rafsandjani, aurait alors fortement poussé le Hezbollah dans cette direction « participative ».

8   Libanais né à Qom, Iran, en 1928, l’imam Moussa Sadr a été une figure charismatique pionnière de la structuration de la communauté chiite libanaise dans les années 1960-1970. Après des études de théologie à Qom, puis dans les grandes hawza des ayatollah al-Hakim et al-Khoie à Najaf (Irak), il s’installe au Liban (à Tyr) en 1959. Il est à l’origine de la création d’un Conseil supérieur chiite (en 1967) , puis d’un Conseil du sud-Liban (1970), puis d’un Mouvement des déshérités (1974), d’où sortira la milice d’autodéfense chiite Amal (« Espoir ») en 1975. Le Hezbollah naîtra d’une dissidence au sein de Amal. Moussa Sadr a mystérieusement disparu en 1978, pendant une visite officielle dans la Libye de Kadhafi. Après la chute du régime libyen, en 2011, les nombreux disciples de Moussa Sadr au Liban et ailleurs ont nourri l’espoir de le retrouver, ou au moins d’apprendre les conditions de sa disparition. En vain.

9   Cf. MERVIN Sabrina, Un réformisme chiite. Ulémas et lettrés du Gabal Amil (actuel Liban-Sud) de la fin de l’Empire ottoman à l’indépendance du Liban, Paris-Beyrouth-Damas, Karthala-CERMOC-IFEAD, 2000, 521p; CHEHABI Houchang E. (dir.), Distant relations, Iran and Lebanon in the last 500 years, Centre for Lebanese Studies, Oxford, 2006, 322p.; GAGNANT Alice, « Le cèdre et la tulipe ». Le lien chiite entre l’Iran et le Liban, de son émergence à sa réalité géopolitique, mémoire de recherche de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble (s.d.JP.BURDY), Grenoble, juillet 2011, 172p.

10  KRAMER Martin, Syria Alawis and Shi’ism, in Shi’ism, Resistance and Revolution, Shi‘ism, Resistance, and Revolution. Boulder, Colorado, 337p.; London, IB.Tauris, 1990, p. 237-253 ; MERVIN Sabrina, Des nosayris aux ja’farites: le processus de “chiitisation” des alaouites, in DUPRET Baudouin (dir.), La Syrie au présent, reflets d’une société, Sinbad-Actes Sud, 2007, 880p., p.359-364 ; ULUÇAY Ömer, Arap Aleviliği Nusayrilik, Adana, Yözde Yayïnevi, 1999, 441p.; WEULERSSE Jacques, Le Pays des Alaouites, Thèse imprimée, 2 vol., Institut français de Damas, 1940.

11 Cité par SAMAAN Jean-Loup, Les métamorphoses du Hezbollah, Paris, Karthala, 2007, 219p., p.156. Mohtashemi aurait déclaré en 1991 au journaliste Robert Fisk: “Oui, j’ai créé le Hezbollah, ses membres sont mes enfants.” (ibid.). Il est ultérieurement devenu ambassadeur d’Iran à Damas.

12  Libanais né à Najaf, en Irak, fils d’un clerc chiite, Mohammad Hussein Fadlallah (1935-2010) s’est installé au Liban en 1966. Il a contribué, à partir des années 1960, à la structuration religieuse, culturelle et sociale de la communauté chiite libanaise. Il en est devenu la principale autorité spirituelle , y compris pour le Hezbollah. Tout en prônant la lutte armée contre Israël et l’impérialisme américain, et en soutenant la République islamique d’Iran, il s’est toujours démarqué du terrorisme, des attentats-suicides et de la thèse khomeyniste du velayat-e faqih -ce qui avait d’ailleurs provoqué débats et polémiques en 1992. A travers plusieurs fatwas, il a développé des thèses considérées comme  » progressistes »  sur le statut et la condition des femmes.

13 On sait toutefois que, parmi les Gardiens de la révolution qui sont arrivés dans la Bekaa à partir de l’extrême-fin de 1979, et qui ont très largement contribué à la construction initiale du Hezbollah, un certain nombre se sont définitivement installés au Liban, ont épousé des chiites libanaises et auraient, dit-on, acquis la nationalité libanaise.

14 Déclaration d’Ammar al-Moussawi, directeur des Relations internationales du Hezbollah à Didier Leroy, 2013.

15 On remarquera que le Hamas n’a pas rompu ses relations avec l’Iran, et réciproquement. Khaled Mechaal semble très affaibli : pour être allé se mettre en 2012 sous la protection de l’ex-émir du Qatar ; par l’évolution en 2013 de la guerre en Syrie, au profit du régime de Bachar Al-Assad ; par le renversement du régime des Frères musulmans par l’armée égyptienne en juillet 2013 -alors même que le président Morsi n’avait pas fait de cadeaux au Hamas et à la bande de Gaza.