1953- Memorandum de la CIA sur l’organisation du coup d’Etat pro-shah (US National Archives)

Le Conseil de coopération du Golfe (CCG) a tenu à Noël une réunion au sommet au Bahreïn, à la tonalité très sécuritaire. A défaut de traiter de la répression anti-chiite dans le royaume, on a ressorti, pour l’occasion, le vieux dossier des trois îles et îlots du détroit d’Ormuz (Abu Moussa, la Grande Tomb et la Petite Tomb) occupés par l’Iran depuis 1971, et revendiqués par l’émirat de Sharjah (EAU). Sans surprise, le communiqué final du CCG somme l’Iran de mettre fin à ses ingérences dans les affaires intérieures des Etats du Golfe. Les Iraniens, quand à eux, menaient, au même moment, de grandes manoeuvres navales au large de leurs côtes, destinées à prévenir tout agresseur potentiel de la République islamique de la capacité de celle-ci à se défendre. On préfèrera à la redondance des communiqués du CCG l’analyse de l’évolution des Etats du Golfe qu’Olivier da Lage, très bon connaisseur de la région, vient de poster sur son blog (http://odalage.wordpress.com/). Pour notre part, nous avons retenu l’annonce du décès du général Norman Schwarzkopf Jr., « héros de la première guerre du Golfe ». Occasion de rappeler que son père, Norman Schwarzkopf Sr., avait été le héros d’un autre épisode de l’histoire de la région: le « coup tordu » de la CIA contre le Dr.Mossadegh en Iran en 1953…


Février 1991: Colin Powell, Norman Schwarzkopf Jr., Paul Wolfowitz

Les dépêches d’agence ont annoncé le décès à Tampa (Floride), le 27 décembre 2012, du décès du général Norman Schwarzkopf Jr., alias « Stormin’ Norm’ », alias « The Bear » (« l’Ours ») (1934-2012). Il avait accédé à la célébrité peu de temps après être devenu, en 1988, commandant du US Centcom, commandement opérationnel américain pour la zone Moyen-Orient-Corne de l’Afrique-Asie du sud-ouest. Confronté à l’invasion du Koweït par Saddam Hussein en août 1990, Norman Schwarzkopf avait pris le commandement de la coalition internationale pour libérer l’émirat -opération sous mandat de l’ONU, à la différence de la guerre de 2003. S’étaient donc succédées les opérations Desert Shield (au 2e semestre 1990, pour protéger l’Arabie saoudite et les autres émirats du Golfe d’une nouvelle poussée irakienne, ce que le Conseil de coopération du Golfe était totalement incapable d’empêcher), puis Desert Storm, début 1991, pour refouler les Irakiens hors du Koweït, et porter un coup militaire sévère, mais non fatal, au régime de Bagdad. C’est un étudiant de l’IEP de Grenoble qui nous avait fait remarquer, à l’époque, que Norman Schwarzkopf Jr., outre sa grande capacité à manipuler les journalistes embedded, semblait avoir une bonne maîtrise conjointement de la langue arabe et de la langue persane. Fan de militaria et de revues militaires américaines, l’étudiant nous avait suggéré que l’explication à ces compétences linguistiques assez rares de Norman Schwarzkopf Jr. venaient peut-être de ce qu’il était le fils de Norman Schwarzkopf Sr.  La remarque était très pertinente.

Général H.Norman Schwarzkopf Sr., v.1952

Herbert Norman Schwarzkopf Sr. (1895-1958) est connu des (rares) spécialistes de « l’affaire Lindbergh » en 1932, une des grandes affaires criminelles des Etats-Unis contemporains. Chef de la police du New Jersey dans les années 1920, grand acteur de la lutte contre les trafiquants d’alcool et autres mafieux au plus fort de la Prohibition, c’est lui qui dirige l’enquête sur le mystérieux enlèvement du fils du célèbre aviateur. Mais tout le monde a oublié que cet officier de police a aussi mené une carrière militaire: cavalier diplômé de West Point, ancien combattant de la Première guerre (terminée avec le grade de colonel), il se retrouve en poste à Téhéran en 1942, peu après qu’une intervention militaire soviéto-britannique a destitué en septembre 1941 Reza Shah Pahlevi, accusé de germanophilie, et installé sur le trône et sans aucun pouvoir réel son fils Mohammed-Reza. Chef de la mission militaire américaine, Norman Schwarzkopf Sr. est en charge de la Gendarmerie impériale iranienne pendant le reste de la guerre. Celle-ci jouera un rôle non négligeable en 1946-1947 dans la lutte contre les tentatives de Staline de main-mise sur l’Azerbaïdjan iranien et sur le Kurdistan iranien, érigé en éphémère « République kurde de Mahabad ». Norman Schwarzkopf Sr. est ensuite muté à la prévôté des forces d’occupation américaines en Allemagne.

Il est très vite de retour à Téhéran, en 1953, avec le grade de général de division. Mais cette fois, c’est dans le cadre de la préparation par la CIA du renversement du premier ministre et héros du nationalisme iranien: le docteur Mohammed Hidayat Mossadegh. Celui-ci avait nationalisé les pétroles iraniens le 1er mai 1951, au grand dam de la célèbre Anglo-Iranian Oil Company. Dans un premier temps, les Américains avaient laissé leurs alliés britanniques se débrouiller de cette affaire, Washington estimant que le Dr.Mossadegh avait donné des gages de nationalisme anti-soviétique lors des tentatives expansionnistes de Staline au lendemain de la guerre. Mais quand la situation se radicalise en Iran, forçant le shah à s’enfuir du pays, et que Mossadegh reçoit le soutien du parti communiste iranien, le Toudeh (« Les masses »), Washington réévalue sa position -Eisenhower vient d’être élu président et entend affirmer sa fermeté face à Moscou. Mossadegh est désormais perçu comme un allié potentiel de Moscou, et donc une menace pour l’Occident et la sécurité des approvisionnements pétroliers du « Monde libre » à partir du Golfe. La CIA va donc mettre en oeuvre « l’Opération Ajax » (plus précisément « Tudeh Party Ajax Operation ») visant à renverser Mossadegh, à écraser le Toudeh, et à rétablir Mohammed-Reza sur son trône. Ce qui sera fait, sous la direction de Kermit « Kim » Roosevelt, dit « Mr.Iran », cadre de la CIA et petit-fils du président Théodore Roosevelt. Un opérateur de la CIA racontera: « la scène ressemblait à un film de Cecil B.de Mille »… Pour la deuxième fois, le Shah Mohammed-Reza est mis sur le trône par la volonté de l’étranger. Norman Schwarzkopf Sr. restera encore quelque temps en Iran, pour former les premiers cadres de la nouvelle police politique du régime impérial, la SAVAK, de sinistre mémoire.

C’est ainsi que le général Norman Schwarzkopf Sr. a été l’un des acteurs du « dirty trick » (« coup tordu ») iranien de la CIA, premier d’une longue série sur toute la planète. Et c’est aussi pourquoi Norman Schwarzkopf Jr., écolier à Téhéran dans les années 1940, avait quelques compétences linguistiques arabe et persane en 1991…