Profil bas depuis le 7 octobre 2023: c’est ainsi que l’on peut caractériser le positionnement diplomatique de Manama par rapport à la guerre à Gaza et à ses extensions au Liban et en Iran. Ce qui tranche avec l’activisme du Qatar voisin, acteur et médiateur fortement engagé dans les négociations régionales et internationales sur Gaza, la libération des otages israéliens, et le sort du Hamas (dont l’organisation politique est installée à Doha. Sur les guerres emboîtées depuis le 7 octobre 2023, Manama maintient ses éléments de langage initiaux (soutien de principe au peuple palestinien, reconnaissance de l’État de Palestine, de cessez-le-feu et de solutions négociées par une conférence internationale), tout en suivant le calendrier des réunions des organisations régionales : Ligue arabe, Organisation de la conférence islamique, sommet des chefs d’Etats, etc. Certaines de ces réunions se tiennent à Manama, tel le sommet arabe pour la paix du 16 mai 2024 (qui a accueilli Mahmoud Abbas, le syrien Bachar al-Assad, etc. – cf. photo ci-dessus); et les présidences tournantes en reviennent parfois au roi Hamad ben Issa Al Khalifa. Le roi a ainsi co-présidé au Caire (avec le maréchal al-Sissi) , le 4 mars 2025, la réunion de la Ligue arabe convoquée pour répondre à l’objectif de Donald Trump de déplacer plus de deux millions de Palestiniens de la bande de Gaza vers l’Egypte et la Jordanie, pour transformer Gaza en «Riviera du Moyen-Orient».

Manama 16 mai 2024: le roi de Bahreïn Hamad Al Khalifa accueille le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas pour le sommet arabe sur la Palestine.
Plusieurs craintes expliquent la prudence du régime de Manama
La prudence de Bahreïn, le plus petit des Etats arabes et des pétromonarchies du Golfe, s’explique par la conscience de son très faible poids dans les enceintes internationales. Et par la crainte, rapidement perceptible dès l’automne 2023, que ne s’exacerbent les tensions internes entre le pouvoir, signataire en 2020 des accords d’Abraham avec Israël (dont toute critique publique est interdite et réprimée), et une population dont les sentiments penchent majoritairement pour la « cause palestinienne ». Les relations avec l’État hébreu ont été gelées, sans rupture diplomatique ou économique. Une autre dimension, plus confessionnelle, doit inciter le palais à la prudence. Même si les chiites bahreïnis ont toujours veillé à se distinguer du régime iranien (y compris lors du « Printemps de la Perle » à Manama en février-mars 2011), la République islamique d’Iran a historiquement été un soutien et un refuge pour des opposants chiites bahreïnis. On peut penser que la majorité chiite de la population bahreïnie (estimée aux deux tiers de la population nationale) ne peut qu’être sensible depuis octobre 2023 et au sort du hezbollah libanais, et au double échange de missiles entre Israël et l’Iran courant 2024.
Les relations non rétablies avec l’Iran

Rencontre à Téhéran le 22 juin 2024 entre le ministre bahreïni des Affaires étrangères Abdul Latif Al-Zayani et son homologue iranien par intérim, Ali Bagheri Kani.
On notera qu’annoncée depuis au moins deux ans, et ponctuée de déclarations d’intention épisodiques des deux parties, la normalisation des relations diplomatiques entre Manama et Téhéran n’est toujours effective – Bahreïn se distinguant en cela de son puissant voisin et mentor saoudien. En 2016, Bahreïn avait rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran, suite à la décision de l’Arabie saoudite de rompre ses liens avec Téhéran. Mais, en mars 2023, sous l’égide remarquée de Pékin, l’Arabie saoudite et l’Iran ont conclu un accord visant à rétablir des relations diplomatiques et à rouvrir leurs ambassades et missions diplomatiques. Les deux pays ont officiellement annoncé en avril 2023 la reprise de leurs relations diplomatiques avec effet immédiat. Manama se distingue donc de tous ses voisins du Golfe en n’ayant pas rétabli ses relations avec Téhéran. Ce qui laisse supposer que persistent des obstacles politiques à cette normalisation, sans qu’ils soient explicités par l’une ou l’autre des parties…
Une reconnaissance a minima du nouveau pouvoir en Syrie
Le royaume est également resté prudent après la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie en décembre 2024. Le président syrien, qui amorçait alors sa réhabilitation au sein des instances arabes, avait été accueilli en mai 2024 à Manama, lors du sommet des chefs d’Etat de la Ligue arabe. Son portrait souriant avait été affiché dans les rues de la capitale, au même titre que celui des autres dirigeants arabes. Après Oman et les Emirats arabes unis, Bahreïn avait rouvert sa représentation diplomatique en Syrie en décembre 2018.


Le sommet arabe du 16 mai 2024 (à gauche) accueille à Manama le président syrien Bachar al-Assad. Le sommet de la Ligue arabe du 4 mars 2025 (à droite) accueille au Caire le président syrien Ahmed al-Shareh.
Présidant en décembre 2024 la session du sommet arabe, le roi Hamad ben Issa Al Khalifa avait alors adressé un courrier au nouveau président de transition syrien, Ahmed al-Shareh, se déclarant « prêt à coopérer avec les nouvelles autorités en Syrie ». En février 2025, Manama a salué la tenue de la Conférence du dialogue national syrien, « étape importante dans la construction de l’État syrien sur la base de la citoyenneté, de l’état du droit et de la consolidation des institutions constitutionnelles ». Et a réitéré la position du Royaume de Bahreïn en faveur de « la sécurité de la République arabe syrienne, de sa stabilité, de sa souveraineté, et de son intégrité territoriale ». A la différence de certains de ses voisins (en particulier les Emirats arabes unis), Bahreïn n’a que très peu d’intérêts et encore moins de projets en Syrie.