À l’instar des autres monarchies du Golfe, Qatar et Emirats arabes unis, et de l’Arabie saoudite, Bahreïn a fait du sport un des piliers de sa stratégie de soft power diplomatique. Historiquement, et comme aux Emirats, les émirs de la famille royale privilégie l’équitation – héritage de la tradition britannique (avec dans ce secteur, des liens étroits avec la famille royale britannique) et, plus récemment, la course automobile. Pour le reste, le royaume a massivement recours à la main-d’oeuvre étrangère pour créer de toutes pièces des équipes « nationales » dans d’autres sports – athlétisme, cyclisme…
Une politique de naturalisations d’athlètes étrangers
Le royaume a ainsi naturalisé plusieurs athlètes étrangers, principalement africains, comme les coureurs marocains Abdul Haq Al-Qurashi et Rachid Ramzi, le footballeur du même pays Faouzi Aaish, la coureuse éthiopienne Maryam Yusuf Jama, et plus récemment la coureuse kényane Ruth Jebet, afin de porter les couleurs de Bahreïn dans les grandes compétitions sportives internationales. Cela permet aussi au petit royaume d’apparaître comme une consécration pour des jeunes sportifs africains à très haut potentiel, à qui leurs pays d’origine ne peuvent donner les moyens de leurs ambitions. Ainsi entre 2013 et 2016, une quarantaine d’athlètes africains, pour la plupart kényans, ont obtenu la nationalité bahreïnienne.
Ces nombreuses naturalisations ont coïncidé chronologiquement avec de plusieurs scandales de dopage, en athlétisme, en cyclisme1, et même en équitation2. La Fédération internationale d’athlétisme, World Athletics, a donc limité à un maximum de 10 athlètes bahreïnis naturalisés pour les épreuves des JO de Paris 2024, et jusqu’en 2027. Manama a du également créer une agence antidopage nationale et d’une filière pour faire émerger des athlètes locaux, appelée Talent Academy.
Des médailles aux JO de Paris 2024 grâce aux athlètes naturalisés.
Lors des JO 2024 à Paris, le bilan des médailles est des plus modestes pour les pays arabes, avec seulement dix-sept médailles, dont sept en or, quatre en argent et six en bronze. Etonnament, c’est Bahreïn qui s’en sort le mieux, avec quatre médailles, ce qui le place au 33e rang mondial. La petite pétromonarchie du Golfe, qui est pourtant le moins peuplé des pays arabes, avec un peu plus d’un million et demi d’habitants, a réussi à tirer son épingle du jeu. Grâce à des athlètes naturalisés.

– la Kényane d’origine Winfred Yavi a gagné l’or au 3000 m steeple féminin

– le Daghestanais de la Fédération de Russie Akhmed Tazhudinov remporte l’or en lutte libre

– la Nigériane d’origine Salwa Eid Naser a décroché la médaille d’argent au 400 m féminin

– l’Arménien Gor Minasyan gagne la médaille de bronze en haltérophilie aux côtés d’un Iranien et d’un Azerbaïdjanais.
Les médias bahreïnis se sont évidemment félicité de ce « succès historique national », en rappelant que la première participation bahreïnie aux Jeux olympiques date seulement de 1984. « La moisson de Bahreïn a suscité l’admiration à Paris », affirme ainsi le quotidien local Al-Ayam, ajoutant que cela «reflète la stature du pays comme puissance sportive montante ».

– Le roi félicite les médaillés olympiques
En 2011, débats et polémiques sur les « naturalisations politiques »
L’observateur notera que la naturalisation d’athlètes dans la dernière décennie semble susciter moins de polémiques que la politique de naturalisations menée depuis le début du siècle dans une logique d’ingéniérie démographique3. Lors du « Printemps de la Perle » de 2011, les manifestants, majoritairement chiites, avaient dénoncé la naturalisation de travailleurs étrangers sunnites (Yéménites, Syriens, Jordaniens, Egyptiens), mais aussi des non-Arabes, compte tenu du très grand nombre de non-nationaux originaires d’Asie (Pakistanais surtout, mais aussi Baloutches ou Indiens). Les uns comme les autres étant naturalisés bien avant d’avoir atteint les délais de rigueur de 15 ans (pour les Arabes) ou de 25 ans (non-Arabes) qu’imposent les textes. Cette politique visant à l’évidence à augmenter le pourcentage de sunnites dans la population nationale et réduire la proportion de chiites estimée aux deux tiers des quelques 1,6M de nationaux. Ce qui expliquait la récurrence de l’argument des « naturalisations politiques » (al-tajnis al-siyasi), des slogans du type « Non à la naturalisation des étrangers! ». Au printemps 2011, on a pu relever sur nombre d’affiches et de banderoles, et entendre sur la place de la Perle ou dans les cortèges des manifestants: « Non aux naturalisations ! ».
NOTES
1 Le coureur australien Robert Stannard, suspendu rétroactivement pour dopage entre 2018 et 2022, est engagé en 2024 par l’équipe Bahrain Victorious.
2 L’équipe d’équitation du Bahreïn, dirigée par un des fils du roi, a perdu en 2023 sa médaille d’or aux championnats du monde pour dopage aux stéroïdes d’un des chevaux.
3 Cf. notre post de blog du 18 juillet 2011: « Bahreïn . « Al-tajnis al-siyasi», ou: quelles « naturalisations politiques»? » URL: https://questionsorientoccident.blog/2011/07/18/bahrein-al-tajnis-al-siyasi-ou-quelles-naturalisations-politiques/
