« Le site de l’accident vu par la caméra thermique d’un drone turc » selon une dépêche de l’agence iranienne IRNA, qui s’appuie alors sur une vidéo de l’agence turque Anadolu dont la véracité paraît pour le moins discutable -ce que confirme le lendemain un communiqué des Forces armées iraniennes auprès de la même IRNA…


La localisation de l’épave de l’hélicoptère du président iranien Raïssi a été difficile : l’appareil s’était écrasé dimanche en fin d’après-midi dans une zone montagneuse du nord-ouest iranien, à proximité de la frontière azerbaïdjanaise, alors que les conditions météorologiques, correctes au décollage, s’étaient fortement dégradées – pluie battante et vent, couvert nuageux et brouillard épais, la nuit s’étant vite ajoutée à ce tableau. Il a fallu de longues heures aux colonnes de secours pour localiser et atteindre l’épave, et confirmer au milieu de la nuit du dimanche au lundi le décès de tous les occupants de l’appareil.

Une version turque péremptoire et triomphaliste

Très vite, une revendication est apparue pour s’attribuer le mérite de la première localisation : celle de la Turquie. S’appuyant sur une déclaration matinale du ministre turc des Transports, Abdulkadir Uraloğlu, les agences de presse turques ont affirmé à l’unisson que « le lieu de l’écrasement de l’hélicoptère a été identifié par le drone turc [Bayraktar] Akıncı , après qu’Ankara a envoyé des équipes sur place pour aider la mission de secours iranienne. 1». C’est le président turc lui-même, Recep Tayyip Erdoğan, qui a détaillé le déroulé des opérations, après avoir présidé lundi matin une réunion de cabinet à l’issue de laquelle Ankara a présenté ses condoléances aux autorités et au peuple iranien, et a décrété une journée de deuil national2: « L’Iran est notre voisin frontalier et le peuple iranien est notre frère. Nous partageons la même géographie depuis des siècles, et travaillons côte à côte en paix (…) Après le crash de l’hélicoptère, nous avons donc contacté les autorités iraniennes et mobilisé toutes nos ressources pour contribuer aux efforts de recherche et de sauvetage. Akıncı a effectué des recherches dans la région pendant 7,5 heures, parcourant un total de 2 100 kilomètres (…) Il est revenu dans notre pays après avoir accompli avec succès sa mission. »



L’agence de presse officielle Anadolu (AA), citant l’application de suivi des aéronefs FlightRadar24, a rapporté que «les mouvements d’Akıncı dans le ciel iranien ont été suivis par plus de 200 000 personnes. » Elle diffuse une vidéo sur YouTube qui s’appuie sur des images (captures d’écran ci-dessus) pour confirmer que c’est le drone Akıncı qui a découvert l’épave – mais la reconstitution est évidente pour un œil averti3. Selon un analyste turc des questions de défense et de l’aviation, Tolga Ozbek, « Le site de l’accident a été identifié par la caméra thermique du drone, et ses coordonnées ont ensuite été partagées avec les autorités iraniennes .» Ajoutant : « L’Iran fabrique certes un grand nombre de drones, [mais] ils ne disposent pas d’un drone capable d’effectuer ce type de mission de recherche et de sauvetage. » Et tous les médias turcs de rappeler à l’envie les performances du drone de combat à haute altitude et longue endurance (HALE) Akıncı , fabriqué par la firme Baykar et qui peut atteindre 40 000 pieds et une vitesse de 195 nœuds, et voler quelles que soient les conditions météorologiques. Ce qu’a confirmé Selcuk Bayraktar (par ailleurs gendre du président Erdoğan), qui co-dirige Baykar. L’impression qui se dégage à la lecture de ces différentes déclarations médiatiques est celle d’une intense campagne officielle de marketing économique et politique au profit de l’industrie turque des drones, effectivement florissante depuis une décennie, Baykar étant désormais le fleuron d’une industrie turque de défense en plein essor4.

Une version iranienne nationale irritée et tardive

Vus de Turquie, et au plus haut niveau de l’État, les faits sont donc établis : c’est le drone turc qui a localisé l’épave de l’hélicoptère, permettant aux secours iraniens d’y accéder. Le seul problème, c’est que l’Iran ne l’entend pas du tout de cette oreille. Et on a très vite senti, du côté de Téhéran, l’irritation monter, jusqu’à un communiqué des Forces armées diffusé par l’agence officielle iranienne IRNA mercredi 22 mai au matin5. D’abord pour contester que la découverte de l’épave revienne au drone turc : « La Turquie voisine a proposé son aide et dépêché un drone équipé d’équipements de vision nocturne. Mais ce drone n’a pas réussi à déterminer avec précision le lieu de l’accident et est finalement rentré en Turquie». Puis pour affirmer qu’au contraire, ce sont bel et bien des drones iraniens qui ont permis de retrouver Raïssi : «Les forces armées iraniennes ont utilisé des drones nationaux pour localiser l’hélicoptère du président Ebrahim Raïssi après son crash meurtrier: «L’endroit exact de l’accident a été découvert par les forces de secours au sol et les drones iraniens des forces armées.» Ces drones, qui étaient déployés dans la région du Golfe, ont été reroutés vers les lieux de l’accident, ce qui leur a pris quelques heures pour effectuer le trajet, et réussir leur mission.



Le seul problème dans cette version martiale du 22 mai est que la même IRNA avait publié la veille des images vidéo du site de l’accident ainsi légendé : « (…) le drone turc Akinci a fourni il y a quelques heures une information pertinente aux autorités iraniennes ». Nouveau problème pour l’analyste : IRNA utilise pour cette affirmation les images fournies par l’agence turque Anadolu (AA : est en surimpression des images, cf. image ci-dessous), dont nous avons souligné le caractère discutable 6



A cette heure, il n’est pas donc encore possible de trancher avec certitude, entre l’hubris triomphante du président turc, et le nationalisme sourcilleux des militaires iraniens.

NOTES

1 AKIN Ezgi, « Turkey’s fastest drone plays key role locating Iran helicopter crash site. The location of the helicopter crash site was identified by Turkey’s Akıncı drone, according to Turkish officials, after Ankara sent teams to help Iran’s search mission », Al Monitor,May 20, 2024.

URL : https://www.al-monitor.com/originals/2024/05/turkeys-fastest-drone-plays-key-role-locating-iran-helicopter-crash-site

2 « Erdoğan lauds Turkish drone for aiding search for Raisi », Hurriyet Daily News, May 21, 2024.

URL: https://www.hurriyetdailynews.com/erdogan-lauds-turkish-drone-for-aiding-search-for-raisi-193779

3 Cf. Anadolu Ajansi (en turc): https://www.youtube.com/watch?v=n4qBvBJ12oU . La première partie se veut factuelle, mais mentionne très brièvement (en anglais) qu’il s’agit d’un montage-reconstitution. La deuxième partie est un spot publicitaire pour les drones Bayraktar. La fin de la vidéo fait apparaître le drone Akıncı décrivant un croissant et une étoile au-dessus du lac de Van, en forme de signature de la réussite de sa mission en Iran.



4 « Baykar » est la contraction de « Bayraktar Kardeşler » , « les frères Bayraktar. » En effet la firme est contrôlée par la famille Bayraktar, père et fils : l’ingénieur en mécanique Özdemir Bayraktar, le fondateur en 1984; Haluk Bayraktar le PDG, Selçuk Bayraktar, le directeur technique et Ahmet Bayraktar le directeur financier. Baykar a développé une gamme complète de drones à usages civils, mais surtout militaires: en 2007, le « Bayraktar Mini UAV », un mini drone; en 2008, le « Bayraktar Malazgirt », mini drone hélicoptère; en 2014, le « Bayraktar TB2 », drone tactique de moyenne altitude et de longue portée (MALE); en 2019, « Bayraktar Akıncı », drone stratégique de haute altitude et de longue endurance (HALE). Le TB2 et l’Akıncı ont d’abord équipé l’armée turque avant de connaître un succès remarquable à l’exportation – dans plus de trente pays- et d’apparaître dans plusieurs conflits récents. Ils ont joué un rôle majeur dans la guerre victorieuse menée par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie; et sont utilisés par l’Ukraine dans sa résistance contre l’agression russe.

5 Cf. IRNA, 22/5/2024: https://en.irna.ir/news/85485953/Turkish-drone-failed-to-detect-Iranian-copter-after-crash-General . Repris par l’AFP : https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-iran-a-utilise-des-drones-nationaux-pour-localiser-l-helicoptere-de-raissi-20240522?

6 Cf. IRNA, : https://www.irna.ir/news/85482810/