Le siège de McLaren-Bahrain


Dans tous les Etats du Golfe, l’investissement dans des sports médiatisés (principalement : football, tennis, cyclisme, Formule 1), des compétitions sportives majeures (voir le Mondial de football au Qatar en 2022) et des vedettes sportives (voir l’achat par l’Arabie saoudite en 2022 et 2023 de stars du foot mondial pour construire ex nihilo un championnat saoudien) est un élément important des stratégies de soft power  pour construire (ou reconstruire) des images positives à l’international. Et ce, même s’il n’y a aucune tradition historique, et aucune pratique locale, du sport en question (on pense, en particulier, aux épreuves de cyclisme sur route, où des équipes « nationales » du Golfe courent sans aucun public autre que les télévisions qui retransmettent les épreuves).



Le Grand Prix de Formule 1 de Bahreïn est toujours le premier du calendrier annuel de la Fédération internationale de l’automobile (FIA). Les équipes arrivent début février, pour commencer les essais du début de saison, et pour une course disputée début mars (cette année, le samedi 2 mars 2024)1. Le Grand Prix n’a évidemment pas été créé en 2004 pour occulter des événements survenus en 2011. Mais depuis une décennie, le calendrier est opportun. La mise en avant du Grand Prix, qui sature la couverture médiatique à propos de Bahreïn, permet de rendre totalement absent l’anniversaire du 14 février 2011, début du « Printemps de la place de la Perle » à Manama : le « printemps arabe bahreïni », écrasé un mois plus tard, le 15 mars, avec l’aide des forces saoudiennes. Et qui avait entraîné la suspension de l’épreuve 2011, rétablie en 2012 malgré les protestations des opposants au régime2. A la même date du 14 février 2024 s’est également ouvert à Manama un « événement international » autour de l’ingéniérie financière, le «Fintech Revolution Summit » , ayant pour objectif de valoriser Bahreïn comme grande place financière et bancaire du Golfe, un statut qui lui est désormais disputé par les Emirats arabes unis. Les rares manifestations d’opposition au pouvoir sont donc, plus encore qu’à l’habitude, médiatiquement invisibilisés. Sport et finance-tertiaire : deux môles importants de l’économie post-pétrolière que vise le royaume.


Le circuit de Sakhir, au centre de l’île principale


La Grand Prix a évidemment une importante dimension économique par les investissements locaux et internationaux (Fédération internationale de l’automobile, écuries, sponsors3, etc.), et par les retombées financières (secteurs de l’hôtellerie et du tourisme4). Le gouvernement bahreïni investit donc beaucoup dans le secteur. Il est ainsi entré en 2020, via un prêt de la Banque nationale de Bahreïn au capital de la marque automobile britannique McLaren : un nom prestigieux, mais une entreprise en difficultés financières persistantes5. La Bahrain Mumtalakat Holding Company, le fonds souverain du royaume de Bahreïn, n’a cessé d’injecter des sommes importantes dans McLaren : au total environ 1,5 milliard de dollars depuis 20206, dont 6 versements à hauteur d’un demi-milliard de dollars depuis mars 2023, et le rachat en juin 2023 des actions détenues par l’Arabie saoudite dans McLaren. Le Royaume détiendrait donc en 2024 56 % des parts7. Un investissement décrié par l’opposition comme étant systématiquement à perte.


Appel au boycott du Grand Prix, Manama, début 2012


1 A cette même date se déroule le Grand Prix d’endurance au Qatar ; et en Formule 1, le Grand Prix suivant se déroule en Arabie saoudite, à Djeddah, les 7-9 mars (à la veille du ramadan donc, qui commence le 10 mars)…Outre un circuit de Sakhir soumis à de fréquentes rafales de vent accompagnées de tempêtes de sable, l’originalité du Grand Prix de Bahreïn est de se dérouler en nocturne depuis 2014.

2 On se reportera à notre chronique de 2012 sur ce blog : « Bloody Formula 1 » : Jours de colère autour du Grand Prix de Formule 1 du Bahreïn 2012 », post du 21 avril 2012. URL : https://questionsorientoccident.blog/2012/04/21/bloody-formula-1-jours-de-colere-autour-du-grand-prix-de-formule-1-du-bahrein-2012/

3 Parmi les sponsors, les principaux sont les constructeurs automobiles, les motoristes, les fabricants de pneumatiques. Mais aussi les cigaretiers et autres vendeurs de boissons alcoolisées, qui ne sont pas bridés par les législations anti-tabagiques et anti-alcooliques existant dans les pays occidentaux.

4 Le Grand Prix attirerait en moyenne une centaine de milliers de spectateurs sur trois jours (dont de nombreux Saoudiens venus par le pont-digue), générant le plus gros chiffre d’affaires de l’année touristique.

5 On notera qu’au sein de McLaren Group existe depuis peu une écurie NEOM-McLaren de Formule E (électrique), entreprise anglo-saoudienne (NEOM étant le nom du gigantesque projet de développement d’une ville nouvelle futuriste au nord-ouest de l’Arabie saoudite, lancé par le prince-héritier Mohammed ben Salmane en 2017, dans le cadre du plan Vision 2030).

6 En 2020, l’équipe cycliste Team Bahrain de l’UCI World Tour a été sponsorisée par McLaren, mais l’entreprise s’est retirée du partenariat à la fin de la saison en raison de la pandémie de covid-19.

7 Cf. Bahrain Mirror, 2/12/2023 : http://bahrainmirror.com/en/news/63931.html . Le gouvernement bahreïni, dirigé par le prince héritier, envisagerait de mettre McLaren en bourse une fois que l’entreprise aura retrouvé son équilibre.