
Les principaux dirigeants présents au sommet du 11 novembre à Riyad

Le 11 novembre s’est tenue à Riyad une assemblée générale d’instances arabes et musulmanes : la Ligue arabe (22 membres), et l’Organisation de la coopération islamique (OCI, 57 membres, dont évidemment l’Iran et la Turquie ; et la Russie avec le statut d’observateur à l’OCI ; les Palestiniens sont représentés par Mahmoud Abbas, président usé et discrédité d’une Autorité palestinienne à laquelle la situation à Gaza échappe complètement, car gérée par le Hamas) . Cette assemblée hors norme se tient en Arabie saoudite, le prince-héritier et Premier ministre Mohamed ben Salmane (MBS) entendant s’appuyer sur la centralité musulmane de son royaume (les Lieux Saints de La Mecque et Médine, l’organisation du hadj annuel, etc.) pour s’affirmer comme leader du monde musulman pro-palestinien – mais et l’Iran et la Turquie prétendent aussi à ce statut…
Ce sommet arabe et musulman du 11 novembre a accouché d’une dénonciation de « l’agression israélienne contre la bande de Gaza, les crimes de guerre et les massacres barbares et inhumains perpétrés par le gouvernement d’occupation ». Pas un mot évidemment sur les ignobles massacres du 7 octobre perpétrés par le Hamas en Israël. Parmi les présents et signataires de cette dénonciation de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, le président syrien Bachar Al-Assad, récemment réintégré au sein de la Ligue arabe, grand spécialiste de l’humanitaire, qui avait allègrement massacré des milliers de Palestiniens lors du siège du quartier palestinien de Yarmouk, à Damas, entre 2012 et 2015, et écrasé sous les bombes, les gaz et la torture, plusieurs centaines de milliers de Syriens entre 2011 et 2019. En réalité, il ne sort rien de très concret de ce sommet au-delà du rituel « soutien aux Palestiniens » ; de la demande d’un cessez-le feu ; et d’une proposition de demande d’une résolution contraignante du conseil de sécurité de l’ONU contre Israël (on notera que les Emirats arabes unis sont actuellement membre non-permanent du conseil de sécurité).
A ce stade, quelques remarques à l’état brut sur le positionnement des uns et des autres après un mois de guerre à Gaza, des massacres du Hamas le 7 octobre aux bombardements israéliens sur Gaza.
1) Il y a longtemps que les Etats du Golfe se désintéressent des « Frères palestiniens ». Des années 1950 aux années 1980, au temps du nationalisme arabe (nassérisme, baasisme, communisme, etc.), le soutien aux Palestiniens était un des axes forts d’une partie des régimes arabes (les voisins de la Palestine et les républiques plus que les pétromonarchies du Golfe). Puis on a assisté à un désintérêt progressif de régimes qui soit négocient avec Israël (Egypte, Jordanie), soit passent la question palestinienne par pertes et profits. Restent ces dernières années des rappels discursifs quasi automatiques (« Soutien aux Palestiniens », vitupérations d’Israël); et des mentions rituelles annuelles à la libération d’Al-Qods-Jérusalem.
2) Par contraste, du Maghreb au Machrek, il reste une évidente sensibilité des opinions publiques (péjorativement qualifiée parfois de « rue arabe ») à la cause palestinienne . Même si elle peut rarement s’exprimer dans le rue (depuis la mi-octobre, on a relevé des manifestations principalement en Jordanie, en Egypte, en Tunisie, au Maroc ; dans le Golfe, rien – sinon quelques rassemblements nocturnes et interdits au Bahreïn). Avec la guerre à Gaza, la question palestinienne fait un retour brutal au centre de l’actualité et embarrasse les régimes de la région. Mais à l’issue de la réunion du 11 novembre, personne, même pas MBS, n’a voulu prendre le leadership sur une initiative de paix israélo-palestinienne : il y a trop à perdre… MBS a donc ressorti discrètement le plan de paix arabe, esquissé en 2002 par le prince-héritier Abdallah, qui conditionnait la normalisation des relations avec Israël à l’établissement d’un Etat palestinien.
3) Dans le Golfe, « tout le monde déteste le Hamas » – sauf le Qatar. Le Hamas est une structure emblématique issue des Frères musulmans égyptiens. Les Frères étant un mouvement que combattent par tous les moyens et depuis des lustres l’Arabie saoudite, les EAU, et l’Egypte du maréchal Al-Sissi (qui a renversé le président et frère musulman M.Morsi en 2013, et maintient depuis dans ses prisons entre 60000 et 100000 frères). Certains analystes estiment que l’espoir dissimulé des Saoudiens et des Emiratis est que le Hamas et le Djihad islamique sunnites pro-iraniens soient écrasés par Israël, ce qui serait une défaite des Iraniens, et du Qatar.
4) Les Etats les plus pro-palestiniens lors de cette réunion du 11 novembre sont la Tunisie, l’Algérie, la Turquie, l’Iran. L’Algérie et le Liban (ce dernier sous la coupe du Hezbollah) demandent la rupture de toutes les relations diplomatiques et économiques avec Israël, ce que refusent le Bahreïn et les EAU pour le Golfe, l’Egypte et la Jordanie voisins en paix avec Israël. La Jordanie (dont les deux tiers de la population sont palestiniens) et l’Egypte sont donc sur des positions de médiation par nécessité politique interne et voisinage immédiat avec Israël. Erdogan est apparu comme très pro-Hamas – mais il venait à peine de renouer avec Israël. L’Iran, représenté par son président Raïssi, demande que Tsahal, l’armée israélienne, soit qualifiée « d’organisation terroriste » (comme le sont le Hamas, le Djihad, la branche militaire du Hezbollah, les Gardiens de la révolution, par les Américains et tout ou partie des Européens.)
5) En réalité, l’enjeu majeur pour les régimes du Golfe est le devenir des accords d’Abraham avec Israël signés en 2020 sous l’égide de Donald Trump par les EAU et Bahreïn, le Soudan et le Maroc. Signature sans la moindre contrepartie, même symbolique, pour les Palestiniens. Depuis 2020, les signataires ont développé des relations sécuritaires, militaires, économiques avec Jérusalem. Jusqu’au 7 octobre, l’Arabie saoudite de MBS était dans une dynamique de détente avec l’Iran ; de normalisation avec Israël (annoncée comme imminente fin septembre) ; de renforcement du pacte de sécurité avec Washington. La guerre à Gaza déséquilibre brutalement ces objectifs saoudiens.

L’émir Hamad Al-Thani du Qatar et son hôte Ismaël Haniye (Hamas) à Gaza le 23 octobre 2012
6) Le Qatar est, pour le moment, LE grand vainqueur parmi les régimes du Golfe, sollicité par tout le monde dans la crise des otages. Doha héberge luxueusement les dirigeants politiques du Hamas depuis 2012, dans la cadre de son soutien idéologique et financier de longue date aux Frères musulmans. En même temps que le Qatar héberge, à quelques kilomètres de Doha, la plus grande base militaire américaine au Moyen-Orient, Al-Udeid. Concrètement, depuis la mémorable visite de l’émir Hamad et sa deuxième épouse Moza à Gaza le 23 octobre 2012 (venu avec un chèque de 200 millions de dollars, porté à 400 millions dans la journée), Doha finance le Hamas à Gaza (30 millions de dollars par mois, officiellement pour payer la fonction publique gazaouie). Le tout avec l’autorisation et la bénédiction politique d’Israël, qui depuis des décennies a toujours soutenu les islamistes palestiniens pour casser le Fatah et l’OLP laïques et socialistes. Depuis le 7 octobre, et comme lors des Printemps arabes de 2011, et la guerre à Gaza en 2014, le fil arabe d’Al-Jazeera prend fait et cause pour le Hamas. Et Doha joue à ce jour un rôle central pour la libération des otages. Le Qatar a désormais supplanté le rôle d’Oman au temps du sultan Qabous (1970-2020) comme médiateur dans les conflits locaux et la libération d’otages.

Pour mémoire: le camp palestinien de Yarmouk, à Damas, écrasé par les bombes et le siège total imposé par Bachar Al-Assad entre 2012 et 2014. Photographie de l’UNRWA, fin janvier 2014, lors de la première distribution de vivre aux populations palestiniennes assiégées…