Le Guide Khamenei soutient le Hamas et les Palestiniens, Téhéran, 1er novembre 2023


Un débat sur le rôle de l’Iran dans la préparation en amont de l’attaque sanglante du Hamas contre Israël le 7 octobre s’est ouvert pratiquement immédiatement après l’événement. Certaines parties au conflit, en Israël particulièrement, ont initialement soutenu la thèse de la décision iranienne, avant de faire machine arrière, faute de preuves si l’on peut dire. Au contraire même, eu égard aux dénégations iraniennes (en forme de semi-reproche au Hamas : « Nous n’avions pas été prévenus [du 7 octobre] », cette thèse de la manipulation iranienne tend à s’éloigner. Sans évidemment, pour autant, occulter les relations anciennes et multiformes entre Téhéran et le Hamas palestinien.



On sait que, ces derniers mois (en amont du 7 octobre, et depuis le 7 octobre) se sont tenues de nombreuses réunions à Beyrouth entre :

– des représentants iraniens (le ministre des Affaires étrangères, l’ambassadeur iranien à Beyrouth, des officiers de la Force Al-Qods des Gardiens, dont les traces du passage ont été relevées) ;

– le Hezbollah chiite, et son secrétaire général Hassan Nasrallah . On rappellera que la Hezbollah créé en 1982 avec des pasdaran iraniens, est la seule organisation politique d’importance qui reconnaît l’autorité du velayat-e faqih, c’est-à-dire qu’elle a prêté allégeance au Guide suprême Khomeyni ;

– le Hamas palestinien, hégémonique à Gaza depuis 2006 (élections) et 2007 (coup de force contre le Fatah). Or le Hamas (créé en 1987) est une émanation palestinienne radicalisée des Frères musulmans sunnites égyptiens.

– Et le Djihad islamique (créé à la fin des années 1970), scission révolutionnaire sunnite et pro-iranienne des Frères musulmans égyptiens…. Ces réunions attestent des liens entre les différents acteurs, sans pour autant permettre d’affirmer que l’Iran avait été mis au courant de l’attaque planifiée par la branche militaire du Hamas à Gaza. Ces réunions sont aussi un rappel que l’Iran ne s’est jamais confiné, dans l’oumma musulmane, à l’argument chiite.

Même si l’Iran n’est pas à l’initiative directe de l’attaque du Hamas, Téhéran en profite cependant pour rappeler bruyamment son rôle à la tête de « l’Axe de la résistance » anti-israélien. Axe organisé par Qassem Soleimani (le chef de la Force Al-Qods des Gardiens de la révolution, assassiné le 3 janvier 2020 à Bagdad par un drone américain,) en Syrie en 2002, en réponse à la proclamation de « l’Axe du Mal » de George W.Bush (incluant Iran, Irak, et Corée du Nord).

Le régime a organisé en Iran les habituelles manifestations où l’on brûle rituellement des drapeaux américains et israéliens. La « rue arabe » peut être sensible à ce rappel de positionnement radical. Mais l’opinion publique iranienne est depuis longtemps très majoritairement hostile aux coûteux engagements extérieurs du régime. Le slogan « Ni Gaza, ni Liban, ni Irak !» est entendu au moins depuis 2009 dans les manifestations anti-régime en Iran même.



L’Iran entend profiter de la guerre à Gaza pour se réaffirmer en pays leader du monde musulman contre « l’entité sioniste », et le seul vrai défenseur des Palestiniens. Le président Raïssi a multipliées dernières semaines les « dernières mises en garde » contre « l’agression sioniste », en menaçant d’une régionalisation du conflit (par l’ouverture d’un front nord, sur la frontière Liban-Israël), relayé en cela verbalement par le Hezbollah, et les milices irakiennes qui harcèlent épisodiquement des installations américaines (ambassade, camps militaires). Les médias internationaux offrent une caisse de résonance à ces discours radicaux. On remarquera cependant que l’Iran a deux concurrents  dans cette prétention à être à la tête du monde sunnite pro-palestinien : l’Arabie de Mohamed ben Salmane ; et la Turquie d’Erdogan.

Pourtant les observateurs ne peuvent que relayer -au moins à ce stade, la prudence de Téhéran dans les premières étapes de la guerre à Gaza. Prudence illustrée par son proxy libanais, Hassan Nasrallah, dirigeant du Hezbollah, qui a reçu les instructions de Téhéran, et temporise dans son discours du 3 novembre (très tardif donc, presque un mois après l’attaque du 7 octobre: « cette bataille est palestinienne , et n’est pas liée à une question régionale ». Prudence qui ne peut s’analyser que par l’évidence que le Hezbollah et l’Iran auraient énormément à perdre s’engager dans la guerre. Si le Liban était écrasé sous les frappes israéliennes, le Hezbollah perdrait et son prestige, et son hégémonie politique sur un Liban sans Etat. Et l’Iran, déjà affaibli par les sanctions internationales, pourrait subir des frappes parties de la Ve Flotte américaine dans le Golfe, ou lancées par une opération israélienne.

Dans l’affaire des otages, on aura relevé le rôle actif de l’Iran pour la libération de plusieurs dizaines d’otages thaïlandais (ouvriers agricoles remplaçant depuis des décennies les Gazaouis, progressivement évincés des kibboutz proches de Gaza). Ces otages ont été libérés sur demande de Bangkok à Téhéran via un dirigeant chiite thaïlandais et des chiites malaisiens. Ce qui permet de rappeler que la plupart des pays d’Asie orientale ont des relations non conflictuelles avec Téhéran. Sans parler de la Chine, devenue un parrain important de l‘Iran en lui achetant la majorité de son pétrole (en contournant les sanctions américaines) et en l’intégrant à des accords bilatéraux ou multilatéraux: l’alliance stratégique de 2021 ; l’Organisation de coopération de Shanghai en 2022, les BRICS à partir de janvier 2024.

Au bilan, les dirigeants iraniens tiennent des discours enflammés de soutien aux Palestiniens, sans, à ce stade, aller plus loin. On est, une fois de plus, dans l’exploitation opportuniste par le régime de Téhéran d’un événement extérieur dont il n’est pas à l’initiative directe, sinon à la marge. Avec cependant déjà un gros gain stratégique: le blocage du processus d’adhésion du royaume d’Arabie saoudite aux accords d’Abraham avec Israël…