Depuis le 7 octobre et la riposte israélienne à Gaza, les tensions sont allées croissant au Bahreïn autour des accords d’Abraham signés avec Israël en 2020. De multiples déclarations, émanant non seulement de la plupart des groupes d’opposition au régime, mais également de sociétés (partis) loyalistes, demandent au roi de rompre avec Israël – ce que le régime n’entend évidemment pas faire. Or, on a assisté en ce début novembre à un épisode difficile à décrypter : l’annonce de la rupture des relations diplomatiques avec Israël.



Tout début novembre, huit sociétés politiques d’opposition (chiites, mais pas seulement) exhortent le gouvernement de Bahreïn à « rompre rapidement les relations diplomatiques avec l’entité sioniste et à annuler toutes les formes de normalisation résultant de ces relations ». Elles en appellent également à la Chambre des représentants – la chambre basse. Mais s’ajoute à ces appels d’opposants la même demande émanant de groupes sunnites loyalistes, dont Al-Minbar (les frères musulmans bahreïnis, pro-régime) et la National Unity Gathering Society : ils en appellent à l’expulsion de l’ambassadeur d’Israël (et parfois aussi de l’ambassadeur américain…).

La Chambre des représentants bahreïnie– dont on n’entend jamais parler une fois les élections législatives passées, et qui ne prend jamais aucune initiative politique notable (sauf à relayer des « suggestions » de la Cour royale), annonce, jeudi 2 novembre 2023, par une déclaration de son président publié sur le site internet de l’assemblée, le retrait réciproque des ambassadeurs israélien à Manama, et bahreïni à Tel Aviv. « La Chambre des Représentants confirme que l’ambassadeur d’Israël auprès du Royaume de Bahreïn a quitté le pays et que le Royaume de Bahreïn a décidé de rappeler l’ambassadeur de Bahreïn d’Israël. Les relations économiques avec Israël ont également été rompues » Et ceci «au nom de la position historique et ferme de Bahreïn de soutien à la cause palestinienne ».

Sous le titre générique: « Rupture des relations diplomatiques entre Bahreïn et Israël », cette déclaration est immédiatement relayée par des agences de presse étrangères, en particulier en Tunisie (pays en pointe dans son soutien aux Palestiniens) et au Maroc (qui a toléré d’importantes manifestations pro-palestiniennes) ; et répercuté dans toute la région (en particulier au Liban, en Turquie, et en Israël). Le Times of Israël titre : « Le Parlement de Bahreïn vote le rappel de son envoyé en Israël » – alors évidemment qu’aucun vote n’a eu lieu…. En revanche, le «Communiqué du président de la Chambre des représentants » n’apparaît pas sur le fil ou le site de la Bahrain News Agency, l’agence de presse officielle – dont l’activité consiste principalement à tenir la chronique des activités de la dynastie régnante.

Une cascade de démentis

Les démentis s’accumulent dans les heures qui suivent. Mais guère du côté de Manama, où on fait le gros dos. Un porte-parole du gouvernement de Manama publie un communiqué qui dément qu’il y ait eu « rappel » de l’ambassadeur bahreïni, mais laisse entendre qu’il y a eu, « pour des raisons de sécurité » dans le contexte de guerre, « retours » de celui-ci à Manama, et de l’ambassadeur israélien à Jérusalem. Rien de plus.

Les démentis les plus vigoureux émanent d’Israël. L’ambassadeur d’Israël à Manama, Eitan Na’eh, confirme très vite que « les ambassadeurs bahreïnien et israélien n’ont pas été retirés d’Israël et de Bahreïn » ; « les relations entre les deux parties sont « stables » ». Dans une interview accordée à la chaîne de télévision Al-Hurra, Na’eh qualifie la déclaration du parlement bahreïni sur le départ de l’ambassadeur israélien à Manama et le retour de l’ambassadeur bahreïni de Tel Aviv de « présentation erronée de la vérité », ajoutant : « Nous sommes en état de guerre, mais il n’y a aucun changement au niveau des relations [bilatérales] ; cette relation est « stable », et donc le mot «retrait » est incorrect.

Le ministère israélien des Affaires étrangères confirme les propos de son ambassadeur. Il souligne que « le gouvernement de Bahreïn n’a publié aucune annonce officielle » concernant le départ de l’ambassadeur israélien ; que la Chambre des représentants n’a pas autorité à publier une telle déclaration, qui ne pourrait émaner que du ministère bahreïni des Affaires étrangères.

Quelles interprétations peut-on faire de cette (fausse) nouvelle immédiatement démentie ?

« L’information » sur la rupture diplomatique avec Israël est en soi explosive, puisqu’elle ouvrirait une première faille majeure dans les accords d’Abraham de 2020 (signés sous égide américaine par Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Maroc et le Soudan).

A ce stade, on a du mal à qualifier ce Communiqué de la Chambre basse : coup politique ? Tentative de manipulation ? Faux pur et simple ?

Première hypothèse, le régime, sous pression des sociétés politiques et de l’opinion publique, aurait utilisé le vecteur de l’assemblée pour préparer le terrain à une rupture sans apparaître au premier plan.Ce serait donc une forme de ballon d’essai pour « calmer l’opinion publique bahreïnie ». C’est très peu vraisemblable, à aucun moment le Palais n’ayant envisagé une telle rupture.

Deuxième hypothèse : des tensions internes très fortes au sein des factions politiques locales, qui auraient exercé une pression telle que le président aurait cédé et publié ce communiqué. Avec un couac de communication autour des termes de « retour » et de « retrait » des diplomates, et une confusion entre la « suspension des échanges économiques » (et des vols commerciaux) et la « suspension des relations diplomatiques ».

Troisième hypothèse : une fake news concoctée à Bahreïn par des opposants ou des loyalistes anti-israéliens et pro-palestiniens, qui ont cherché à mettre un coup de pression très fort sur le Palais. Et qui ont trouvé des relais instantanés à l’étranger. En Tunisie, ce qui n’est pas surprenant. Au Maroc, ce qui l’est beaucoup plus, le monarque ayant signé les accords d’Abraham et tenant – en principe- ses médias. Les organes de la gauche pro-palestinienne en Occident ont également été très prompts à relayer « l’information »…

Au final, cette annonce a très vite fait long feu, mais elle reste à élucider dans ses tenants et aboutissants.