
Une des dimensions secondaires de la question syrienne est la concurrence récente de la Turquie et de l’Iran au Liban. On connaît l’importance de la contribution iranienne, depuis 1979, à la structuration politique du chiisme libanais. L’un de ses aspects les plus impressionnants a été la naissance et la croissance du Hezbollah, devenu en trois décennies un acteur religieux, social, politique et militaire central dans le paysage libanais. On sait que le financement et l’armement du Hezbollah sont très largement d’origine iranienne, et transitent nécessairement par la Syrie. On n’a donc pas été surpris que le voyage du président Ahmadinejad au Liban (et au sud-Liban tout particulièrement, jusqu’à la frontière avec Israël) ait été remarquablement organisé les 13 et 14 octobre 2010 par le Hezbollah et l’ambassade iranienne, au point d’avoir pu être qualifié de « voyage triomphal » par des organes de presse dévoués, et en Iran même. Ce voyage a aussi conforté la montée en puissance politique du Hezbollah.
24 novembre 2010: visite officielle de R.T.Erdoğan au Liban, avec Saad Hariri
Dans une certaine mesure, la Turquie est un concurrent récent de l’Iran au Liban. C’est largement grâce à sa quasi « lune de miel » avec la Syrie (puissance tutélaire sur le Liban au moins jusqu’à son retrait militaire contraint en 2005, mais qui reste toujours très influente à Beyrouth), depuis le milieu de la décennie 2000, qu’Ankara a pris pied économiquement et politiquement au Liban. Appliquant à Beyrouth sa politique de « bon voisinage-zéro conflit », Ankara a noué des relations avec toutes les parties et tous les partis, et a financé écoles et dispensaires. Et le premier ministre Erdoğan s’est rendu en visite officielle au Liban, les 25 et 26 novembre 2010, sur les brisées du président Ahmadinejad donc. Il a été chaleureusement accueilli par son « ami Saad Hariri », et particulièrement par les sunnites à Beyrouth et au nord-Liban. Même s’il a critiqué de manière virulente « les crimes d’Israël », évoqué « la victoire de 2006 » (dans la guerre Hezbollah-Tsahal), rencontré des dirigeants du Hezbollah et mis en garde contre les risques d’une stigmatisation d’un pays [la Syrie] par le réquisitoire à venir du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), ce déplacement a fortement indisposé Téhéran, et vraisemblablement aussi le Hezbollah et la Syrie. On en a eu quelques preuves ultérieures, quand, après la chute du gouvernement de Saad Hariri, le Hezbollah, force politique incontournable, a catégoriquement refusé de participer à une médiation conjointe Turquie-Qatar pour sortir de la crise gouvernementale. On sait qu’il sortira de celle-ci, quelques semaines plus tard, la formation début 2011 d’un gouvernement de coalition dirigé par le sunnite Najib Mikatil, mais que l’on dit dominé par le Hezbollah et très proche de Damas.

13-14 novembre 2010: le Hezbollah accueille M.Ahmadinejad
Rappelons-aussi, au plan du conflit israélo-palestinien, un autre terrain de concurrence avec Téhéran, qui se veut le fer de lance d’un combat politico-militaire contre Israël. La dégradation des relations turco-israéliennes, en particulier suite à la guerre à Gaza fin 2008-début 2009 ; l’affaire de la flottille pour Gaza et du Navi Marmara en mai 2010 ; l’annonce d’un projet de visite du premier ministre Erdoğan à Gaza 1er août 2011 : autant de manifestations du renforcement de l’engagement politique pro-palestinien d’Ankara, qui privent Téhéran d’un monopole discursif sur ce dossier.